On aimait bien ça, jouer aux Monstres dans le noir:
on prenait des airs d’écoliers, les yeux baissés, tout penauds,
et on les regardait s’agiter et rugir
en nous livrant leurs récits. (*)
On se mettait au lit, à n’importe quelle heure,
du moment qu’il n’était pas encore minuit.
Alors, on faisait une cabane avec la couette
et une lampe torche et on se racontait des histoires
en frissonnant délicieusement
et en regardant les Monstres en colère sous le faisceau lumineux.
Puis, L.(---) entrouvrait très légèrement les bocaux
– pas assez pour qu’ils s’enfuient et me terrorisent à nouveau,
mais suffisamment pour qu’ils puissent diffuser leur halo blême
qui venait s’étaler contre les murs de la chambre transformés
en écrans de cinéma.
(*) On aimait bien ça, jouer aux Monstres dans le noir:
on prenait des airs d’écoliers, les yeux baissés, tout penauds,
et on les regardait s’agiter et rugir
en nous livrant leurs récits.
- Lucy -
Lucy in the sky with diamonds
https://www.youtube.com/watch?v=O4hTUPFBaaQ
Picture yourself in a boat on a river
With tangerine trees and marmalade skies
Somebody calls you, you answer quite slowly
A girl with kaleidoscope eyes
Cellophane flowers of yellow and green
Towering over your head
Look for the girl with the sun in her eyes
And she's gone
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds
Ah
Follow her down to a bridge by a fountain
Where rocking horse people eat marshmallow pies
Everyone smiles as you drift past the flowers
That grow so incredibly high
Newspaper taxis appear on the shore
Waiting to take you away
Climb in the back with your head in the clouds
And you're gone
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds
Lucy in the sky with diamonds
Ah
Picture yourself on a train in a station
With plasticine porters with looking glass ties
Suddenly someone is there at the turnstile
The girl with the kaleidoscope eyes
Parce que, si l’on y réfléchissait, même juste un peu, on comprenait que l’esprit n’était qu’un caméléon qui se teintait des mille nuances du désir de l’Autre, afin de rêver du corps d’une femme comme d’un ciel en forme de parapluie où les étoiles tombent par les petits trous qui laissent filtrer quand même un peu de poussière de monde.
(p. 66-67)
En tout cas, j’étais fier de mon intronisation auprès d’eux. À présent que je faisais partie des leurs, ils m’avaient d’ailleurs confié quelques-uns de leurs secrets. J’avais appris, par exemple, qu’ils quittaient régulièrement le Centre, à l’heure des ombres. Qui à cheval sur un mouton d’écume, qui traversant des catacombes secrètes, d’autres encore attachés aux pattes d’oiseaux de nuit, ils s’en allaient rendre visite aux enfants malades.
Peut-être parce que je leur avais lu Les Araignées, de Boris Vian, en leur expliquant ce que voulait dire ce poème : les enfants malades veillés par les vieilles personnes n’y meurent pas de leur maladie, mais leur maladie est elle-même une construction des vieilles personnes qui engendre leur mort.
Alors, les Monuments s’en allaient et entraient par les fenêtres des enfants malades pour leur faire le récit de vies extraordinaires, de trouvailles miraculeuses : ils réveillaient l’imagination éteinte des enfants malades de la pensée filtrée. Puis ils revenaient et n’en parlaient plus. Sauf, à demi-mots, dans mon bureau.
Et parfois, ils ne rendaient pas visite aux enfants. Quand la pensée était trop lisse, qu’il n’y avait plus de prise pour y accrocher les émotions humaines et que la pesanteur s’en trouvait si complètement altérée qu’on ne pouvait plus marcher droit, ils s’amusaient à terrifier leurs parents. Enfin, ils considéraient cela comme leur devoir, mais il me semble tout de même que ça les amusait beaucoup. Ils les réveillaient en pleine nuit, dans leur chambre d’honnêtes gens anesthésiés, et ils leur parlaient des fantômes des noëls passés ou de la vieillesse en gelée qui vit dans la télévision. Je savais qu’ils pouvaient être très impressionnants. Si les honnêtes gens étaient trop sages, ils les secouaient doucement. C’était nécessaire. Et ils n’aimaient pas abîmer leurs affaires, mais en prélevaient des échantillons qu’ils rapportaient au Centre.
Quelques jours plus tard, ils retournaient voir les enfants. S’ils n’étaient plus malades et que leurs pensées avaient brisé leurs chaînes, il y avait des sourires d’enfants qui se dessinaient dans les fines particules au-dessus des oreillers, pour indiquer qu’ils rêvaient. Il faisait nuit, mais les sourires d’enfants qui rêvent projettent toujours une lueur pâle autour d’eux quand il y a des Monuments. Alors les Monuments rapportaient aux parents les échantillons de leurs affaires, emballés comme des cadeaux de Noël. Normalement, les enfants n’étaient plus malheureux, après.
Cependant, parfois, cela ne fonctionnait pas, lorsque les circonstances familiales étaient compliquées. Peu après, certains parents disparaissaient, sans laisser de trace. Comme ça, le hasard. Ou alors, les Monuments avaient simplement fait leur travail.
Puis, l’on pouvait voir des sourires revenir dans la chambre des enfants…
Certes, j’étais le plus souvent incapable de les suivre, n’étant en somme que novice dans le registre de la décompensation poétique, et mon esprit se perdait rêveusement au fil de l’onirisme ambiant.
En somme, j’étais là où je devais être depuis que je vivais dans le Centre. Même si je n’ai jamais cessé d’y penser avec nostalgie, comme si je savais déjà que cela prendrait fin prochainement.
Je savais que je devrais quitter le Centre, mais un retour à la vie normale me terrifiait.
Parce qu’il signifiait devoir réapprendre à faire avec moi-même et mes petits passagers clandestins…
À moins que…
Par exemple, j'ai toujours considéré que mon métier de psychologue consistait, en quelque sorte, en un poste d'assistant auprès d'inventeurs. Cela me semblait le seul positionnement défendable. Mais aujourd'hui, ce n'est plus cela qu'on nous demande. On attend du psychologue qu'il entrave l'avènement de la pensée singulière. On nous impose même des outils de mesure : on estime la quantité de pensée singulière d'une personne par rapport à une norme établie par des experts. Ensuite, en fonction des résultats, on la filtre à l'aide des nouvelles méthodologies en vigueur.
Blanche-Colombe, par exemple, me déposait régulièrement son tamis de vent agglutiné qui lui servait à passer le temps, afin que je le répare. Je partais alors capturer les aquilons et les papéliotes en bas âge, dans le parc, avec une éolienne de poche, puis j'enfermais les vents dans le tamis. Ce n'était pas évident : les vents se tordaient comme des cordes, se brisant dès lors que l'imagination venait à manquer. La moindre pensée filtrée, qui pouvait me visiter à mon insu, en affectait le dynamisme propre et je n'avais plus qu'à retourner courir dans les bois à l'affût des bris d'air.