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Critique de MarcoKerma


J'avais trouvé Je me souviens sympathique, original. J'ai arrêté le pavé la Vie mode d'emploi car j'en avais trouvé le début rébarbatif. Espèces d'espaces étant bien moins épais, j'ai tenté.
J'ai lu ce livre avec à la fois indifférence (j'ai même sauté 1 ou 2 passages - ce que je fais très rarement -, des listes de verbes..) et curiosité car Perec est original, créatif, imaginatif, décalé, audacieux (moi aussi j'aime bien les listes pourtant). J'étais curieux de découvrir les idées, comme nonchalamment, en apparence, extraites de carnets de notes, les sujets, la manière.. mais je trouvais le résultat sympathique mais quand même un peu léger..
Je me suis dit "où veut-il en venir ?" et j'ai réalisé que cette interrogation, formulée ainsi, était appropriée vu le sujet du livre..
Je me suis dit aussi : cet homme est paumé dans la vie et pour se rassurer, en espérant trouver un sens (dans tous les sens du terme) il tente de regarder, de voir, d'écrire et de décrire tout ce qui l'entoure.
Même si la démarche est originale - comme en général chez Perec - j'ai été tenté de prendre quelques phrases des pages 70/71 (aux 3/4 du livre) comme étant un résumé de la réalisation de Perec et de mon sentiment : " se forcer à écrire ce qui n'a pas d'intérêt, ce qui est le plus évident, le plus commun, le plus terne (..) se forcer à épuiser le sujet, même si ça a l'air grotesque, ou futile, ou stupide". Ou encore, p.73 "il ne se passe rien, en somme".
Tentant de penser et d'écrire " dont acte", il y a aussi le sujet lisant qui est épuisé.. même s'il sait que les années 50/60 ont été l'époque d'audaces littéraires regroupées sous le nom de "nouveau roman" où un Michel Butor, par exemple, n'hésitait pas à (d)écrire par le menu un compartiment de train (la Modification, autre classique sur le thème de l'espace..)..
mais je trouve p.105 (le livre a 124 pages, en comptant le répertoire choisi de la fin) une phrase qui me semble enfin un peu consistante, intéressante : " (..) le sentiment de la concrétude du monde : quelque chose de clair, de plus proche de nous : le monde, non pas comme un parcours sans cesse à refaire, non pas comme une course sans fin, un défi sans cesse à relever, non pas comme le seul prétexte d'une accumulation désespérante, ni comme illusion d'une conquête, mais comme retrouvaille d'un sens, perception d'une écriture terrestre, d'une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs."
"retrouvaille d'un sens".. Il m'a semblé tenir là enfin une clef, dans cette formulation, comme si quelque chose avait été interrompu qu'il faut retrouver, quelque chose (un "sens") ou plutôt quelqu'un, quelques-uns car le mot retrouvaille est plutôt utilisé quand il s'agit de personne(s).
Or il me semblait avoir entendu que Perec avait "perdu" ses parents quand il était encore enfant. Son père, engagé volontaire, est tué en juin 40, par un obus allemand. Georges est né en mars 36. Georges a été envoyé par sa mère en 41 en zone libre dans une partie de la famille paternelle et sera envoyée à Auschwitz en février 43.. Georges Perec a 7 ans..
Et c'est à cause - ou grâce à - de cela que j'ai trouvé un sens aux dernières pages, à l'antépénultième : la reproduction d'un courrier administratif d'un chef d'Auschwitz, mis là, avec avec une pudeur désespérée et ironique, par Perec, après la rubrique "l'inhabitable" sous le titre "l'aménagement"..
Les deux dernières pages prennent alors tout leur sens et sont bouleversantes.
" Ecrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes possibles au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes.
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