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Critique de lafilledepassage


La date : le vendredi 17 juin 2022
L'heure : 15h57
Le lieu : deuxième étage de mon habitation, un bureau noir tout déglingué placé devant la fenêtre qui donne sur la rue. Quelque part en Europe Occidentale.
Le temps : plein soleil et chaud. On attend la canicule pour demain, tandis qu'elle sévit déjà plus au sud, en Espagne et en France.

Je m'assieds devant l'écran, sur la chaise de cuisine (en exil dans le bureau) en plastique blanc, ossature chromée. le PC est allumé et le livre ouvert devant moi. Je suis fin prête pour l'exercice du vendredi, et je rejoins derechef Perec sur la place Saint-Supplice (Paris). Nous sommes en octobre 1974.

p9 : d'emblée Perec nous explique son intention : décrire ce qui n'a pas d'importance. Je pense même qu'il faut lire «décrire TOUT ce qui n'a pas d'importance ». En tout cas c'est comme ça que je comprends le mot « épuisement » du titre.

p11 : tentative d'inventaire des lettres de l'alphabet visibles, des symboles conventionnels (p12) , des chiffres (p12), des slogans (p12 encore), de la terre (p12 toujours), des véhicules (p13), des gens(p13), des pigeons(p13), …(p13). Puis il nous dresse une liste – non exhaustive -des trajectoires (p13 encore) et note tout ce qu'il voit. Je remarque qu'il se focalise uniquement sur le visuel, avec une attention sur les couleurs d'ailleurs, négligeant les autres sensations. Pourra-t-on alors vraiment parler d'« épuisement » ?

p17 : le focus est maintenant sur le dénombrement. Et de compter les passants, les voyageurs, les véhicules. Puis (p18) liste des positions du corps, des expressions du visage, des modes de portage.

p21 : je perçois un début d'interprétation dans la démarche d'un jeune homme aveugle. La tentation de fabuler est perceptible … En bas de la p21 : première apparition de la 2CV vert pomme. p23 : une autre 2CV vert pomme.

p24 : le tocsin sonne. Qui enterre-t-on ? Un peu plus bas, Perec ne peut s'empêcher une déduction : le curé rentre de voyage, puisqu'une étiquette de compagnie aérienne pend à sa sacoche.

p25 : Perec reconnait les « limites évidentes d'une telle entreprise : même en me fixant comme seul but de regarder, je ne vois pas ce qui se passe à quelques mètres de moi : je ne remarque pas, par exemple, que des voitures se garent ».

P25 : tentative d'explication de ce qui motivent les pigeons à se mouvoir ensemble. Va-ton glisser vers le documentaire animalier ? Ou vers le burlesque, avec, p26, une tentative d'absurde : « j'ai l'impression que la place est vide (mais il y a au moins vingt êtres humains dans mon champ visuel) ». Ou peut-être glissera-t-on vers le thriller, avec des revenants. Brrrrrr…

p27 : enterrement. On meurt aussi dans ce livre.

p28 : suite décroissante : quintette de bridgeurs-4 jouent – 3 de trèfle – paire de saucisse- un ballon de Bourgueil. Des grands-mères gantées poussent des landaus, des employés à pipe et chapeau noir pressent le pas, des belles oisives envahissent les magasins de mode. Un peu de math, ça peut pas faire de tort.

p31 : une camionnette citroën vert pomme (une 2CV peut-être ?)

p34 : brève dissertation philosophique sur l'opportunité de compter les bus, plutôt que les voitures ou les passants. Et possiblement d'y appliquer la loi des vases communicants (p34). Je me dis que ce livre devient une encyclopédie, une grande foire, une farce géante … Et je crois de moins en moins au fait que Perec se soit vraiment assis et ait écrit tout ce qu'il voyait, sans aucun plan, sans aucune intention. On ne me l'a fait pas à moi. Allez, à d'autres, M Perec ! Tiens, d'ailleurs cette phrase « passe un papa poussant poussette », bien plus qu'un fait, une allitération, non peut-être?

P36 : du vide, du plein …. un essai de taoïsme, alors ?

PAUSE : J'ai trouvé le titre de mon billet. Ce sera « Tentative d'épuisement de Georges Perec ». Ou peut-être plus modestement : « Tentative d'épuisement de la tentative d'épuisement d'un lieu parisien »

P41 : ah de nouveau des considérations philosophiques, sur l'impermanence. Je me reprends donc : c'est un essai de bouddhisme, non? En tout cas, ce livre illustre l'impossibilité de ne pas interpréter, de ne pas construire des histoires, de ne pas faire des liens entre les événements. L'impossibilité de ne pas dresser des listes, des classifications, de ne pas jouer, de ne pas rêver, ….

p48 : Perec avoue une hantise de 2CV vert pomme. Quart d'heure du roman psychologique, tension dramatique à son comble … D'ailleurs voilà que les aubergines qui, hier, étaient « toniques », semblent aujourd'hui « soucieuses ». Bientôt elles porteront un pantalon !

P51 : les cloches de Saint Supplice sonnent : baptême. Je te parie que bientôt on parlera mariage. Bingo : p52

P59 : dernier passage d'une 2CV vert pomme. Je lis « instants de vide » … ça fait du bien, un peu de vide.

p65 : je lis « Quatre enfants. Un chien. Un petit rayon de soleil. le 96. Il est deux heures » Et oui, vous notez bien : PAS DE POINT FINAL. Serait-ce comme disent nos cousins d'Outre-Manche « an endless story », pour les plus francophiles d'entre nous je veux dire une histoire sans fin ? La tentative d'épuisement de Perec est-elle vouée à l'échec ? Je le pense, tout comme est vouée à l'échec ma modeste « Tentative d'épuisement de la tentative d'épuisement d'un lieu parisien »
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