N°487– Décembre 2010.
Un cabinet d'amateur – Georges Perec - Balland.
Les familiers de Perec pourraient probablement émettre des doutes au seul énoncé du titre de ce roman, se demandant où l'auteur de « La vie mode d'emploi » voulait bien les emmener une fois encore. L'exergue puisée chez Jules Verne donnait à penser qu'il allait s'agir de tableaux, mais attention, notre auteur à la fois érudit et génial provocateur n'aime rien tant que d'embarquer son lecteur dans un univers où lui seul possède la clé ! Il ne faut pas non plus perdre de vue sa parenté plus que naturelle avec Boris Vian qui, lui aussi excellait dans cet exercice. Il convient donc d'aborder ce livre avec circonspection, mais surtout en évitant de trop faire montre de préjugés puisque, bien qu'il s'agisse d'un roman, c'est à dire d'une fiction, il recèle des détails techniques, historiques et érudits qui font qu'il ne peut être autre chose que véridique !
Si on en croit Perec, « Un cabinet d'amateur » est une toile du peintre américain d'origine allemande, Henrich Kürz. Elle fut exposée pour la première fois en 1913 à Pittsburg en Pensylvanie (USA), mais passa quasiment inaperçue à cause de la présence, ce jour-là, de critiques célèbres et de collectionneurs illustres parmi lesquels Hermann Raffke, riche amateur d'art. L'exposition fut néanmoins un franc succès pour les autres artistes. On s'intéressa à partir de ce moment-là d'un peu plus près au tableau de Kürz notamment à cause de la notice, par ailleurs anonyme, du catalogue. Grâce à une description grandement laudative, on apprit qu'elle représentait Raffke lui-même, entouré des tableaux de sa collection. Dès lors on se passionna pour ce peintre inconnu. Ainsi organisa-t-on, la semaine suivante, une présentation de l'oeuvre dans une pièce qui reprenait la topographie exacte des lieux décrits dans le tableau de Kürz.
En réalité, Perec, s'est inspiré d'une tradition picturale ancienne pratiquée notamment par le peintre flamand du XVII° Guillaume van Haecht. Dans une série de mises en abyme, il emmène son lecteur où il veut, c'est à dire dans une sorte de maelström où la mise en scène le dispute au culte du plus petit détail et où le faux, qui est toujours possible en peinture, voisine avec les informations les plus crédibles, s'appuyant notamment sur des articles de la presse spécialisée de l'époque. Cela est rappelé par le papier d'un critique dont le thème était « Toute oeuvre est le miroir d'une autre », ce qui constitue un terrain de réflexion intéressant en matière d'art et l'occasion d'une mise en perspective passionnante ! Il mettait l'acte de peindre le « cabinet d'amateur » dans une sorte de jeu de miroirs comme une « dynamique réflexive » au terme de laquelle l'oeuvre d'un artiste nourrit et inspire celle des autres.
Comme toujours, j'ai bien aimé, même si, je dois l'avouer, je me suis laissé un peu emporté, en me demandant où Perec voulait bien en venir, avec l'énoncé de cette liste un peu longue et très technique qui ressemble, pendant de nombreuses pages, davantage à un catalogue de vente à l'usage d'un commissaire-priseur ou d'acheteurs potentiels ! L'effet labyrinthique, bien dans l'esprit de la philosophie pataphysicienne, est justement obtenu par la rédaction de l'index de la deuxième vente initiée après la mort de Raffke. Les précisions techniques apportées par l'auteur en font un documents crédible et, de page en page, Perec réussit à convaincre son lecteur qu'il a entre les mains la description d'une collection authentique et qui d'ailleurs fait référence en matière d'art. Un véritable effet de trompe-l'oeil où le spectateur est à la fois mystifié et séduit par ce qu'il perçoit.
Il faut attendre la dernière ligne du dernier paragraphe de cette « histoire d'un tableau » pour en avoir le fin-mot, c'est à dire le mot de la fin.
La circonspection du début était donc parfaitement justifiée autant d'ailleurs que la référence à Vian puisque, à l'occasion de ce roman, il me souvient de l'exergue de « L'écume des jours » ainsi rédigée « Cette histoire est entièrement vraie puisque je l'ai imaginée d'un bout à l'autre. Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion. On le voit, c'est un procédé avouable s'il en fut.»
©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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Voilà Perec dans un nouvel effet de style, à mon goût malheureusement raté. Celui-ci se mit en tête de traiter d'une collection de tableaux, chose qui durant les 30 premières pages est assez intéressante (puisque s'appuyant sur la description de ceux-ci). Pourtant le reste de ce tout petit livre m'a vraiment ennuyé, traitant essentiellement de l'histoire des tableaux. J'avais un peu l'impression de lire une succession de noms propres, de dates et de prix; un peu comme si je lisait une liste de commandes ou de courses. On connait la passion de Perec pour les listes, en étant un fervent amateur, mais celle-ci m'a vraiment ennuyé. Au final, s'il n'avait pas contenu que 80 pages, j'en aurais très certainement sautées - n'en déplaise à mes habitudes. Sans doute faudrait -il pousser à fond l'étude de ce livre, en décortiquer les moindres détails pour savourer le travail de Perec, mais le lire rapidement n'a pas vraiment d'intérêt selon moi (il vaut mieux se rabattre sur un de ses autres romans).
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Le matin du jeudi 2 avril 1914, Hermann Raffke fut trouvé mort. Ses obsèques eurent lieu huit jours plus tard selon un protocole qu'il avait très précisément décrit dans son testament et qui prolonge d'une façon quelque peu macabre certaines des analyses de Lester Nowak. Son corps, naturalisé par le meilleur taxidermiste de l'époque, que l'on fit venir tout exprès du Mexique, fut revêtu de la robe de chambre grise à liséré rouge qu'il portait sur le tableau de Kürz, et installé dans le même fauteuil que celui dans lequel il avait pris la pose. Fauteuil et cadavre furent alors descendus dans un caveau qui reproduisait fidèlement, mais à un échelle sensiblement réduite, la pièce où Raffke avait accroché les toiles qu'il préférait. Le grand tableau de Heinrich Kürz en occupait tout le mur du fond. Le mort fut placé en face du tableau dans une position très exactement semblable à celle qu'il y occupait. A la droite du tableau, à l'emplacement correspondant au portrait de Bronco McGinnis, on disposa sur un chevalet un portrait en pied représentant Hermann Raffke lui-même, un portrait exécuté une quarantaine d'années auparavant, alors que le brasseur séjournait en Égypte, et qui le montrait sur fonds d'oasis, vêtu d'un costume de flanelle impeccablement blanc, les mollets pris dans des guêtres de toile grise, et coiffé d'une casque colonial. Puis le caveau fut scellé.
Nombreux sont sans doute les visiteurs qui tiendront à comparer les oeuvres originales et les si scrupuleuses réductions qu’en a données Heinrich Kürz. Et c’est là qu’ils auront une merveilleuse surprise : car le peintre a mis son tableau dans le tableau, et le collectionneur assis dans son cabinet voit sur le mur du fond, dans l’axe de son regard, le tableau qui le représente en train de regarder sa collection de tableaux, et tous ces tableaux à nouveau reproduits, et ainsi de suite sans rien perdre de leur précision dans la première, dans la seconde, dans la troisième réflexion, jusqu’à n’être plus sur la toile que d’infimes traces de pinceaux : Un cabinet d’amateur n’est pas seulement la représentation anecdotique d’un musée particulier ; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu’opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c’est une oeuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s’amplifie jusqu’à l’infini, et où la précision exacerbée de la matière picturale, loin d’être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l’Éternel Retour.
Au milieu de ces productions colossales dont les publicités fracassantes couvraient des pages entières de magazines, l'exposition de peintures, qui se tint d'avril à octobre dans les salons de l'hôtel Bavaria, faillit bien passer inaperçue .
…il ne fallait pas s’y tromper : cette œuvre était une image de la mort de l’art, une réflexion spéculaire sur ce monde condamné à la répétition infinie de ses propres modèles.
Un cabinet d'amateur n'est pas seulement la représentation anecdotique d'un musée particulier; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu'opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c'est une œuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s'amplifie jusqu'à l'infini, et où la précision exacerbée de la manière picturale, loin d'être sa propre fin débouche tout coup sur la spiritualité vertigineuse de l'Eternel retour.
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