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François Maspero (Traducteur)
EAN : 9782020550772
568 pages
Seuil (18/05/2004)
3.66/5   413 notes
Résumé :
Un marin exilé de la mer, follement épris d'une femme dangereuse et belle. Un brigantin englouti depuis plus de deux siècles dans la pénombre verte de la Méditerranée. Une ancienne carte nautique qui n'en finit pas de révéler ses énigmes.
Un secret dont les bribes éparpillées dans les liasses jaunies des bibliothèques et des musées excite la convoitise de chasseurs d'épaves sans scrupules.
Et une fabuleuse histoire d'amour et d'aventure dont l'inoublia... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
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L'expulsion des Jésuites par le gouvernement espagnol ce Charles III le 31 mars 1767 succédait à leur bannissement par le Portugal en 1759, la France en 1764 et anticipait la suppression de l'ordre décrétée par le Pape en 1773.

La Compagnie de Jésus représentait tout ce que les Lumières combattaient : un ordre religieux, riche, aux nombreux collèges, au pouvoir incontrôlable relevant directement du Vatican. Paradoxalement Voltaire se fit leur avocat « Rien de plus contradictoire que d'accuser de morale relâchée des hommes qui mènent en Europe la vie la plus dure et qui vont chercher la mort au bout de l'Asie et de l'Amérique ».

Anticipant leur condamnation, les religieux espagnols affrètent au début de l'an 1767 le vaisseau Gloria Dei, embarquent à La Havane leur trésor et font voile vers Valence … mais à proximité de Cadix ils sont pris en chasse par le corsaire Chergui et coulés au large de Carthagène.

Deux siècles plus tard les chercheurs de trésors s'interrogent :
- Où précisément est l'épave ?
- Comment interpréter les cartes et témoignages de l'époque et déterminer la latitude et la longitude du naufrage ?
- Quel est ce trésor ? argent, or ou émeraudes ?
- Comment le remonter à la surface ?
- Par quel itinéraire quitter discrètement l'Espagne ?
- Comment monnayer les bijoux avec les réseaux d'Anvers en échappant au fisc et à la législation protectrice des épaves ?
- Et enfin comment refaire sa vie en profitant de la richesse ainsi acquise ?

Voici de quoi écrire un bon roman, me direz vous.

Ajoutez Tanger Soho dans un rôle de femme séduisante, intrigante et manipulatrice, Manuel Coy, officier de marine, interdit de navigation pour deux ans, Nestor Perona, maitre cartographe, Nino Palermo, une vraie crapule, et l'argentin Kiskoros, héros de la guerre des Malouines, voué aux gémonies à la chute de la dictature militaire dans les rôles principaux et confiez la plume à Arturo Pérez-Reverte et vous obtenez un chef d'oeuvre, de surcroit fort bien traduit par François Maspero.

Associant étude historique, recherche cartographique, intrigue policière à un immense amour de la mer et de la littérature maritime, « Le cimetière des bateaux sans nom » se lit et se relit au fil des années comme un des plus beaux romans espagnols contemporains.

PS : mon regard sur La Reine du Sud
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Je préviens tout de suite : ce livre m'a mis de mauvais poil.
Pourtant, il avait tout pour me plaire : une énigme historique, une chasse au trésor, une aventure maritime, et tout ça par un auteur dont j'avais beaucoup apprécié un précédent roman (Le Tableau du maître flamand). Après quelques lectures austères, j'espérais un délassement de haute volée. C'est raté.

Disons pour faire vite que ce roman fleure bon les derniers feux des années 90. La remarque n'a rien ici d'un compliment : à mes yeux, en effet, les années 90 n'ont pas encore conquis le lustre du vintage ni de la nostalgie. Elles continuent de clapoter dans la ringardise.
Le livre insiste tellement sur certains éléments iconiques de l'époque qu'on a parfois l'impression de se trouver face à un roman historique qui tenterait de reconstituer un décor, avec autant de minutie que de lourdeur : par exemple, mises bout à bout, les multiples mentions du walkman et des écouteurs dont le héros ne se sépare jamais remplissent aux moins deux ou trois pages à elles seules. Qui plus est, dès que le walkman entre en scène, le lecteur se ramasse une analyse lourdingue du jazz qu'écoute le héros, et parfois on a même droit à la retranscription de cette musique en mots, ce qui peut donner des choses vertigineuses du genre « Dzim dzim dogodo bam dzim » pour un solo de batterie (je jure que j'exagère à peine). Même démarche pour le carré plongeant déstructuré de l'héroïne, et du jeu fou de ses cheveux soyeux sur la joue, sur la nuque, dans le cou, etc : au bas mot une demi-douzaine de pages cette fois. J'ai revu défiler dans ma tête tout un tas de pubs d'il y a un quart de siècle, avec leur érotisme chic et toc si emblématique. C'était chouette.
Il faut savoir ensuite que le récit n'est pas mené par un narrateur omniscient : l'horizon est strictement borné par le point de vue du héros, Coy. Ce héros ne s'exprime pas directement : on nous dit que Coy pense ceci ou qu'il croit cela. Les autres personnages, et tout le reste de l'action ne sont envisagés que par le prisme de son regard. Pourquoi pas, après tout, même si c'est un procédé usé jusqu'à la corde et qui accuse lui aussi son grand âge.
Sans doute conscient de cette faiblesse, l'auteur décide tardivement (page 446...) que paf son narrateur doit soudain prendre corps. Et par un coup de baguette magique censé en mettre plein les mirettes, ce narrateur se met désormais à dire « je » et devient un nouveau personnage de l'action. On dresse l'oreille, on espère un déplacement intéressant du point de vue, une mise en abyme, enfin quelque chose.
Et puis non en fait, c'est pire : ce narrateur n'est qu'un personnage tout à fait secondaire du récit, le comparse qui doit à grands roulements de tambour dévoiler l'indice miraculeux que personne n'avait encore aperçu (19 pages de roulements de tambour, quand même, hein...). Lui qui nous a infligé chacune des pensées intimes de Coy déclare alors sans y voir le moindre problème qu'il ne l'avait encore jamais rencontré et qu'il ne soupçonnait même pas son existence.
Toujours plus fort : une fois son message délivré, ce personnage disparaît de l'histoire aussi soudainement qu'il était apparu. Mais jusqu'à la dernière page, il n'en continue pas moins de re-commenter l'action depuis la tête du héros, tout en avouant candidement qu'il n'a appris la fin de l'histoire qu'à travers la page des faits divers dans son journal... Incohérence majeure dans la conduite du récit. La faiblesse s'ajoute à la faiblesse.

Quelle est en outre la pertinence d'un narrateur qui déverse sa psychologie de comptoir par fûts de cinquante litres ? La tristesse du marin quand il est à terre, son bonheur quand il est en mer, le mystère fondamental de la femme fatale, à propos de laquelle la question essentielle est de savoir si elle est ou si elle n'est pas une garce, etc ? le roman voudrait jouer sur les codes du roman noir et les stéréotypes de ses personnages mais il se contente surtout de les reproduire sans grande imagination.

Et puis, le walkman, les écouteurs, le carré plongeant, c'est déjà difficile. Mais le lecteur est surtout assommé par tout un tas de détails dont on se demande quel intérêt ils présentent pour l'action. Se rend-on réellement compte qu'il est possible dans ce roman de compter le nombre de shampoings faits par l'héroïne ? Et de suivre le rythme auquel elle vide sa boîte de Nautamine ? Ajoutons encore à cela que Perez Reverte insiste vraiment beaucoup pour démontrer qu'il s'y connaît un max en navigation à la voile. On a quelquefois le sentiment pénible de devoir réviser son manuel de manoeuvre avant un stage en Optimist. Manque plus que le petit schéma expliquant comment faire un noeud de chaise pour que le tableau soit complet. Ces suintements didactiques plaqués sur l'action m'ont agacé au possible. Et l'auteur a beau citer sans arrêt Conrad, Stevenson ou Melville, la poésie de ce discours marin trop bling-bling n'a pas opéré sur moi, alors que je suis d'ordinaire bon public sur le sujet. L'avalanche est d'autant plus indigeste qu'il a en plus fallu patienter trois cents pages avant d'embarquer enfin sur ce fichu voilier...
Dommage. Deux fois plus court, cela pouvait faire un bon roman.
De l'intérêt qu'il y a, en fin de compte, à ne pas confondre narrateur omniscient et narrateur omnichiant.
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Sunny afternoon des Kinks... sympa de réentendre cette chanson.

J'aime les romans qui me mettent sur la piste de musiques oubliées. Je note et retrouve des sons mais surtout des ambiances et des souvenirs. Comme il faisait bon cette après-midi ensoleillée. Suis sur ce bateau et j'attends le retour des plongeurs. Pas loin, près du Cimetière des bateaux sans nom.

« ...avec le temps qui passe et les jolies années qui s'envolent comme une bande d'étourneaux, ces petites émotions amoureuses, pour cruelles qu'elle fussent, m'apparaîtraient un jour comme exquises. »

Allez, un autre... I'am believer des Monkees ? Non j'aime moins. With a girl like you des Troggs. Bof. Dernière chance : Just a gigolo de Louis Prima. Ah oui ! Merci Monsieur Perez-Reverte pour ces flash backs. Et le roman, on en parle un jour ? Ben c'est un auteur que j'aime tant. Je ne serai pas objective.

En revanche, une chose est certaine, si vous aimez la mer, les bateaux et les marins au sang chaud qui attendent la femme fatale et ses trésors, vous ne serez pas déçus. N'y a-t-il pas plus belle richesse enfouie que celle que tout à chacun cherche dans la plus profonde pénétration des mystères qui se cachent dans les mers chaudes. Il vous faudra chercher dans les tréfonds d'un brigantin et sortir la grand-voile au bon moment. Mais on le sait tous, la mer décide du moment. Tanger, je te cherchais et je t'ai trouvée avec toute la brume qui t'entoure. Mais je suis mon cap et mon capitaine « comme le MacWhirr de Typhon », jusqu'à la prochaine tempête de noroît. Gare à la « Vague de tempête extrême. » En attendant j'aurais compter ses taches de rousseurs, une par une, « en les parcourant du doigt comme s'il s'agissait d'une carte marine. Je veux tracer sur elle des routes de bout en bout, jeter l'ancre dans ses anses, brasser sa peau... Tu comprends ? » Oui Coy, je comprends surtout que « la science nautique ne sert à rien quand il s'agit de naviguer à terre, ou autour d'une femme. »

« La mer reste la mer. Avec ses secrets et ses dangers. » « Elle est dangereuse, pensa-t-il soudain. »
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Au centre il y a Tanger (c'est son prénom) la Femme Fatale. Celle-ci n'est pas cruelle, seulement solitaire et égoïste. Quand elle évoque l'aventure qui se profile, elle cite Tintin « Mille millions de tonnerre de Brest! Ici l'aventure est encore possible. J'ai pu me saouler mille fois avec le capitaine Haddock…j'ai sauté en parachute sur l'île Mystérieuse, traversé la frontière entre la Syldavie et la Bordurie, juré par les moustaches de Plekszy-Gladz, navigué sur le Karaboudjan, le Ramona, le Speedol Star, l'Aurora et le Sirius (sûrement plus de bateaux que toi), cherché le trésor de Rackham le Rouge et marché sur la Lune tandis que Dupont et Dupond faisaient les clowns dans le cirque d'Hipparque ». Elle redevient alors « la petite fille que son père tenait dans ses bras sur la photo »…Il serait imprudent de s'y fier : Tanger, Danger !
Face à elle il y a un méchant qui pourrait ressembler à Rastapopoulos et son homme de main qui serait Allan Thompson celui qui fait tant de misères au capitaine Haddock. de bibliothèques en musées en passant par une salle des ventes, ils vont se disputer les objets, les cartes et les informations qui permettraient de localiser le trésor.
Si les méchants sont en face de Tanger, le trésor est dessous, par une cinquantaine de mètres de profondeur quelque part au large de Carthagène (la ville natale de l'auteur). Il faudrait un bateau et un marin expérimenté capable de lire les cartes anciennes, de naviguer et de plonger. En voici un justement !
Un peu derrière elle (lui aimerait être à côté, tout à côté) et à la manière de Tintin, croyant venir en aide en plein désert à une femme battue alors qu'il ne fait qu'interrompre une scène de cinéma, Coy le marin désoeuvré s'interpose entre Tanger et son adversaire. Coy n'est pas Tintin, (il n'y a pas de Tintin dans cette histoire et personne pour sauver Milou qui ici se nomme Zas) plutôt un capitaine Haddock en plus taciturne mais tout aussi bagarreur.
Que fait donc le capitaine Haddock, fortement décidé (après le sermon de Tintin) à rester définitivement tempérant, lorsqu'il aperçoit une bouteille de Loch Lomond ? Il rechute…idem pour Coy qui tombe sous le charme, bien sûr, et accepte le travail : « trois mois passés près d'elle, en échange du sextant, c'était un bénéfice fabuleux » sans s'illusionner sur la fin « je suis en train de me mettre dans le pétrin » mais en acceptant d'aller recevoir sa peine (comme dit si bien Stephan Eicher) « les sirènes, Homère dit qu'elles chantaient. Elles appelaient les marins, non ?...et ils ne pouvaient pas les éviter. Il décida de sourire. Je sourirai quoi qu'il arrive, quoi qu'elle dise, jusqu'à ce qu'elle m'envoie en enfer ».
Tanger va nous faire voyager avec le Dei Gloria parti de la Havane pour Valence où il n'est jamais arrivé. Elle nous expliquera ce qui lui est arrivé, quels personnages étaient à son bord et quel trésor il contenait. Coy déchiffrera les cartes, fera le coup de poing ainsi que les corrections liées aux méridiens utilisés en 1767, tombera à la mer, plongera, trouvera ou pas (impossible de trop en dire), et Rastapopoulos réapparaîtra pour le final haletant, étonnant et bouleversant. Nous aurons, avant ça, admiré les étoiles, profité d'une Méditerranée calme et bleue et vu surgir au loin « vers l'est, une ligne de nuages noirs, menaçants, bas et compacts ». Tout est subtilement et minutieusement décrit pour que le lecteur se sente présent partout; qu'il s'agisse d'un musée, d'une bibliothèque, d'un restaurant, du bateau qui va couler en même temps que son poursuivant ou dans la cale rouillée d'un vraquier couché dans le cimetière des bateaux sans nom.
C'est la seconde fois que je lis ce roman et quinze ans plus tard, j'ai été secoué et balloté de la même façon. le mal de mer est passé mais la gueule de bois est bien présente parce que le voyage est terminé.
Pour moi, c'est le meilleur de tous les romans écrits par Arturo Pérez-Reverte, celui où il convoque tous les héros mythiques d'Ulysse à Rackham le Rouge en passant par Jim Hawkins, Lord Jim, le capitaine Achab et Ishmaël pour l'aider à composer le meilleur des thrillers historico-maritimes.
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Marin perdu en terre depuis que la marine marchande lui a interdit de naviguer suite à un accident malheureux au large de Cadix, l'ex-officier Manuel Coy trompe son ennui et sa frustration en flânant dans le port de Barcelone et en tuant le temps dans des ventes aux enchères d'outils de navigation. Une nuit de déprime, il manque de se faire casser la gueule pour les beaux yeux d'une mystérieuse blonde. Reconnaissante, la jeune femme lui propose un travail et pas n'importe lequel : une chasse au trésor… Prend garde, matelot ! Tous les signaux d'alerte de Coy virent au rouge. Il le sait, s'associer à la belle Tanger Soho, c'est prendre le risque de partir tôt ou tard à la dérive pour venir finalement s'écraser avec perte et fracas sur le rivage honni. Des craintes amplement justifiées mais qui ne résistent pas longtemps à l'extraordinaire volonté de la jeune femme et à son immense capacité de séduction. Rapidement subjugué, Coy est prêt à toutes les folies pour l'attirer dans son lit, y compris s'embarquer dans une nébuleuse expédition où tromperies et mensonges l'attendront à chaque nouveau coup de barre.

J'avais gardé un fort bon souvenir de mes précédentes excursions dans la bibliographie d'Arturo Perez-Reverte, sans en être tombée complétement amoureuse pour autant. « le cimetière des bateaux sans nom » marque une nouvelle étape dans ma reverte-philie : coup de foudre intégral ! Dès les premières pages du prologue, je suis tombée sous le charme de cette histoire de bateaux perdus, de mers étoilées, de trésors enfouis et d'amours trahis. J'ai immédiatement été séduite par l'atmosphère toute particulière qui exsude de ce récit – moite, sombre, nostalgique, poétique, sans cesse à cheval entre désabusement et émerveillement – et par son personnage principal, grand paumé rêveur au sourire timide et au regard calme, sujet aux plus profonds accès de mélancolie comme aux plus sauvages explosions de brutalité. La décortication de ses rapports complexes et houleux avec l'ensorcelante Tanger Soho n'a rien à envier avec les descriptions maritimes et les séquences plus violentes qui parsèment le roman – preuve que Perez-Reverte est décidément un écrivain accompli, aussi à l'aise dans le registre de l'émotion que dans celui de l'action.

Passionnant récit d'aventure, histoire d'amour, enquête maritime, roman noir… « le cimetière des bateaux sans nom » rassemble de nombreux genres littéraires, mais il est avant tout une déclaration d'amour fervente et lyrique à la mer et à la littérature maritime. A l'instar de Herman Melville, Coy a navigué « par les océans et les bibliothèques » : dès ses plus jeunes années, il a dévoré Conrad, Jack London, Jules Verne, Patrick O'Brian et Stevenson et a forgé ainsi ses rêveries d'enfance. Entre deux voyages de Barcelone à Singapour, il a navigué en imagination sur la corvette de Jack Aubrey, affronté le poulpe géant de «20 000 lieues sous les mers», survécu au Typhon en compagnie du capitaine Mac Whirr... Références et clins d'oeil à ses grands noms de la littérature maritime abondent donc dans le récit de ses aventures et flattent doucement notre imagination.

Le tout donne une très belle invitation au voyage – sans aucun doute mon roman préféré de Perez-Reverte parmi ceux lus jusqu'à aujourd'hui – que l'on referme avec une pointe lancinante de nostalgie et l'envie de dévorer des dizaines d'autres récits maritimes. Superbe.
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Citations et extraits (66) Voir plus Ajouter une citation
Sur la place, une horloge lointaine sonna trois coups. Coy les entendit amortis par les écouteurs et la musique, puis il sentit arriver la fin du saxo de Hawkins: le troisième solo qui nouait tout le morceau. Il ferma à demi les yeux, emporté par la cadence des notes familières, apaisante comme peut l'être la répétition impatiemment attendue. Mais Tanger s'était introduite dans la mélodie et en altérait la structure délicate. Il avait perdu le fil. Il pressa le bouton du walkman et se retrouva, déconcerté, les écouteurs à la main. Un instant, il crut entendre des pas au-dessus de lui, tout comme l'équipage du Pequod entendait le bruit de la jambe en os de baleine de son capitaine quand il ruminait solitairement ses obsessions, la nuit, sur le pont. Puis, irrité, il lança le walkman sur le lit, sans débrancher les écouteurs. Ca n'allait pas du tout, il mélangeait les genres sans pudeur. L'étape Melville, comme la précédente -- l'étape Stevenson -- , était passée depuis longtemps. En théorie, Coy se trouvait clairement dans l'étape Conrad; et tous les héros autorisés à se déplacer sur ce territoire devaient être des héros fatigués, plus ou moins lucides, conscients du danger de rêver quand on a la main sur la barre. Des adultes enlisés dans la résignation et l'ennui, et qui ne voyaient plus flotter dans leur insomnie d'interminables processions de cétacés allant deux par deux et escortant un fantôme dont le front ressemblait à une montagne neigeuse.
Et cependant, le "Si" conditionnel par quoi commençait l'oracle de Delphes, que Coy connaissait par Melville mais que celui-ci avait sans doute pris lui-même dans d'autres livres, continuait de vibrer dans l'air, à l'instar de la tempête qui jouait de la harpe dans le gréement: la mer s'était refermée sur le faucon de mer naufragé, pris entre le marteau de Tashtego et le pavillon du mât, et la Rachel n'avait recueilli qu'un autre orphelin. Soudain, à sa profonde surprise, Coy découvrait que les étapes, celles des livres comme celles de la vie, et quel que soit le nom qu'on leur donne, ne se closent pas d'une façon parfaite; et que même si les héros perdent leur innocence et sont désormais trop épuisés pour croire encore aux bateaux fantômes et aux trésors engloutis, la mer n'en continue pas moins d'être ce qu'elle est, inaltérable, pleine de sa propre mémoire qui, elle, ne cesse jamais de croire en elle-même. La mer ne se soucie pas que les hommes perdent leur foi dans l'aventure, la chasse, le bateau coulé, le trésor. Les énigmes et les histoires qu'elle recèle possèdent une vie autonome, se suffisent à elles-mêmes et perdureront même quand la vie se sera éteinte pour toujours. Voilà pourquoi il y aura, jusqu'au dernier instant, des hommes et des femmes pour interroger le cachalot agonisant au moment où il tourne sa face vers le soleil et expire.
Et donc, malgré toute la lucidité dont il pouvait faire preuve, il s'appelait de nouveau Ismaël après avoir fait naufrage et s'être appelé Jim, trempant encore une fois, comme jadis, le harpon de son propre sang et lançant le vieux cri de rigueur: qu'au moment ultime on lui apporte de quoi boire ou le Diable, avant que ne vienne le navire disloqué, etc., etc. Fasciné par la certitude d'un destin inévitable -- pour l'avoir lu cent fois --, il contemplait la femme à la peau ocellée en train de clouer son doublon d'or espagnol au grand mât: clic, clac. Et ce n'était pas seulement ces coups de marteau-là qui résonnaient dans son imagination. Il était revenu à la fenêtre, en quête de la brise de la mer proche et, en tendant le bruit, il avait de nouveau regardé le plafond. Maintenant il croyait percevoir des pas inquiets, en haut, sur le pont. Clic,clac. Clic, clac. Apparemment, elle ne dormait pas non plus, elle poursuivait ses propres fantômes blancs, corbillards funèbres portant de vieux fers tordus sur ses flancs. Et il n'avait jamais rêvé, sur aucun bateau, dans aucun livre, aucun port, aucune de ses vies antérieures et innocentes, un Achab aussi séduisant qui l'entraînait pour naviguer sur sa tombe.
Il gagna son lit et s'allongea sur le dos. Jusqu'au dernier port, se souvint-il avant de s'endormir, tous nous vivons pris dans l'emmêlement des harpons à baleine.
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Dans ces conditions, dit-il, le vent apparent s'ajoutait au vent réel, et le brigantin et le chébec devaient voguer à sept ou huit nœuds ; le Dei Gloria avec la brigantine, la grand-voile, les focs et les huniers, les vergues bien brassées sous le vent ; le corsaire avec les voiles latines des mâts de misaine et d'artimon tendues comme des lames de couteau, remontant mieux le vent que sa proie. Tous les deux gîtant fort sur tribord, l'eau envahissant les dalots sous le vent, les timoniers concentrés sur leur barre, les capitaines surveillant sans relâche le vent et la toile, dans une course où le premier qui commettrait une erreur perdrait la partie.
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... le vent apparent s’ajoutait au vent réel, et le brigantin et le chébec devaient voguer à sept ou huit nœuds ; le Dei Gloria avec la brigantine, la grand-voile, les focs et les huniers, les vergues bien brassées sous le vent ; le corsaire avec les voiles latines des mâts de misaine et d’artimon tendues comme des lames de couteau, remontant mieux le vent que sa proie. Tous les deux gîtant fort sur tribord, l’eau envahissant les dalots sous le vent, les timoniers concentrés sur leur barre, les capitaines surveillant sans relâche le vent et la toile, dans une course où le premier qui commettrait une erreur perdrait la partie.
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- Qu'est-ce que tu cherches, chez elle ?
- Je veux compter ses taches de rousseur, Pilote. Tu as vu ? Elle en a des milliers, et je veux les compter toutes, une à une, en les parcourant du doigt comme s'il s'agissait d'une carte marine. Je veux tracer sur elle des routes de bout en bout, jeter l'ancre dans ses anses, brasser sa peau… Tu comprends ?
- Je comprends surtout que tu veux coucher avec elle.
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Il existe ainsi, depuis des milliers d'années, depuis avant même que les barques aux flancs ronds ne se lancent sur Troie, des hommes qui ont des plis autour de la bouche et des coeurs pluvieux de novembre – de ceux que leur nature décide tôt ou tard à regarder avec intérêt le trou noir d'un canon de pistolet – pour qui la mer signifie une solution et qui devinent toujours quand vient l'heure d'embarquer.
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Vidéo de Arturo Pérez-Reverte
Il n'avait ni patrie ni roi, mais une poignée d'hommes fidèles. Ils ne cherchaient pas la gloire, seulement à apaiser leur faim. Ainsi naquit le mythe. Ainsi se raconte une légende.
Après avoir été banni du royaume de Castille par le roi Alphonse VI, Ruy Díaz vend, au mieux offrant, les services de sa troupe de soldats dévoués. Dans cette lutte pour la survie en territoire hostile, sa force de caractère et ses faits d'armes lui vaudront rapidement le surnom de Sidi Qambitur, maître triomphateur.
Avec son talent habituel, Arturo Pérez-Reverte nous plonge dans l'Espagne du XIe siècle, celle des rois rivaux, des batailles sanglantes et des jeux d'alliances entre chrétiens et Maures. Loin du mythe manichéen du Cid patriote, Sidi est le portrait d'un chef de guerre hors pair, d'un formidable meneur d'hommes et d'un stratège au sens de l'honneur inébranlable. Un roman haletant, épique et magistral, une immersion au coeur de l'Histoire.
Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli
« Un récit magnifique, du pur Pérez-Reverte. » El Mundo
Arturo Pérez-Reverte, né à Carthagène, Espagne, en 1951, a été grand reporter et correspondant de guerre pendant vingt et un ans. Avec plus de vingt millions de lecteurs, il est l'auteur espagnol le plus lu au monde, et plusieurs de ses romans ont été portés à l'écran. Il partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et sa passion pour la navigation. Il est membre de l'Académie royale d'Espagne.
En savoir plus : https://bit.ly/3ViUsSE
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