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Critique de Deleatur


Je préviens tout de suite : ce livre m'a mis de mauvais poil.
Pourtant, il avait tout pour me plaire : une énigme historique, une chasse au trésor, une aventure maritime, et tout ça par un auteur dont j'avais beaucoup apprécié un précédent roman (Le Tableau du maître flamand). Après quelques lectures austères, j'espérais un délassement de haute volée. C'est raté.

Disons pour faire vite que ce roman fleure bon les derniers feux des années 90. La remarque n'a rien ici d'un compliment : à mes yeux, en effet, les années 90 n'ont pas encore conquis le lustre du vintage ni de la nostalgie. Elles continuent de clapoter dans la ringardise.
Le livre insiste tellement sur certains éléments iconiques de l'époque qu'on a parfois l'impression de se trouver face à un roman historique qui tenterait de reconstituer un décor, avec autant de minutie que de lourdeur : par exemple, mises bout à bout, les multiples mentions du walkman et des écouteurs dont le héros ne se sépare jamais remplissent aux moins deux ou trois pages à elles seules. Qui plus est, dès que le walkman entre en scène, le lecteur se ramasse une analyse lourdingue du jazz qu'écoute le héros, et parfois on a même droit à la retranscription de cette musique en mots, ce qui peut donner des choses vertigineuses du genre « Dzim dzim dogodo bam dzim » pour un solo de batterie (je jure que j'exagère à peine). Même démarche pour le carré plongeant déstructuré de l'héroïne, et du jeu fou de ses cheveux soyeux sur la joue, sur la nuque, dans le cou, etc : au bas mot une demi-douzaine de pages cette fois. J'ai revu défiler dans ma tête tout un tas de pubs d'il y a un quart de siècle, avec leur érotisme chic et toc si emblématique. C'était chouette.
Il faut savoir ensuite que le récit n'est pas mené par un narrateur omniscient : l'horizon est strictement borné par le point de vue du héros, Coy. Ce héros ne s'exprime pas directement : on nous dit que Coy pense ceci ou qu'il croit cela. Les autres personnages, et tout le reste de l'action ne sont envisagés que par le prisme de son regard. Pourquoi pas, après tout, même si c'est un procédé usé jusqu'à la corde et qui accuse lui aussi son grand âge.
Sans doute conscient de cette faiblesse, l'auteur décide tardivement (page 446...) que paf son narrateur doit soudain prendre corps. Et par un coup de baguette magique censé en mettre plein les mirettes, ce narrateur se met désormais à dire « je » et devient un nouveau personnage de l'action. On dresse l'oreille, on espère un déplacement intéressant du point de vue, une mise en abyme, enfin quelque chose.
Et puis non en fait, c'est pire : ce narrateur n'est qu'un personnage tout à fait secondaire du récit, le comparse qui doit à grands roulements de tambour dévoiler l'indice miraculeux que personne n'avait encore aperçu (19 pages de roulements de tambour, quand même, hein...). Lui qui nous a infligé chacune des pensées intimes de Coy déclare alors sans y voir le moindre problème qu'il ne l'avait encore jamais rencontré et qu'il ne soupçonnait même pas son existence.
Toujours plus fort : une fois son message délivré, ce personnage disparaît de l'histoire aussi soudainement qu'il était apparu. Mais jusqu'à la dernière page, il n'en continue pas moins de re-commenter l'action depuis la tête du héros, tout en avouant candidement qu'il n'a appris la fin de l'histoire qu'à travers la page des faits divers dans son journal... Incohérence majeure dans la conduite du récit. La faiblesse s'ajoute à la faiblesse.

Quelle est en outre la pertinence d'un narrateur qui déverse sa psychologie de comptoir par fûts de cinquante litres ? La tristesse du marin quand il est à terre, son bonheur quand il est en mer, le mystère fondamental de la femme fatale, à propos de laquelle la question essentielle est de savoir si elle est ou si elle n'est pas une garce, etc ? le roman voudrait jouer sur les codes du roman noir et les stéréotypes de ses personnages mais il se contente surtout de les reproduire sans grande imagination.

Et puis, le walkman, les écouteurs, le carré plongeant, c'est déjà difficile. Mais le lecteur est surtout assommé par tout un tas de détails dont on se demande quel intérêt ils présentent pour l'action. Se rend-on réellement compte qu'il est possible dans ce roman de compter le nombre de shampoings faits par l'héroïne ? Et de suivre le rythme auquel elle vide sa boîte de Nautamine ? Ajoutons encore à cela que Perez Reverte insiste vraiment beaucoup pour démontrer qu'il s'y connaît un max en navigation à la voile. On a quelquefois le sentiment pénible de devoir réviser son manuel de manoeuvre avant un stage en Optimist. Manque plus que le petit schéma expliquant comment faire un noeud de chaise pour que le tableau soit complet. Ces suintements didactiques plaqués sur l'action m'ont agacé au possible. Et l'auteur a beau citer sans arrêt Conrad, Stevenson ou Melville, la poésie de ce discours marin trop bling-bling n'a pas opéré sur moi, alors que je suis d'ordinaire bon public sur le sujet. L'avalanche est d'autant plus indigeste qu'il a en plus fallu patienter trois cents pages avant d'embarquer enfin sur ce fichu voilier...
Dommage. Deux fois plus court, cela pouvait faire un bon roman.
De l'intérêt qu'il y a, en fin de compte, à ne pas confondre narrateur omniscient et narrateur omnichiant.
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