Citations sur De Goupil à Margot (12)
Le soleil qui caressait les faîtes, cherchant
comme un indiscret ami à s’insinuer dans le
mystère familial du haut taillis, décochait
d’espace en espace quelques rayons inquisiteurs
qui venaient s’aplatir ou ricocher sur la terre
après s’être insidieusement faufilés entre les
branches moins feuillues d’alentour, mais de
temps à autre aussi, comme si les grands vétérans
de la forêt, responsables de ses destinées, eussent
été soucieux de n’en rien laisser surprendre à un
intrus, le vaste essor touffu d’un rameau de
chêne, sentinelle avancée dans le ciel, s’étendait
en haut comme une main pudique pour cacher
cette espèce de nudité partielle à tout regard
indiscret.
C'était un de ces premiers jours où la forêt, comme une femme qui a longtemps résisté,se laisse enfin aller toute aux caresses de l'amant,où elle vit de toutes ses fibres,où elle chante de toutes ses sèves,où les grands baisers du soleil l'ont investie comme un amour victorieux et conquise et pénétrée toute, et où elle ne tend plus aux vivants sous les ombrages capiteux, l'asile traitre de son insidieuse fraicheur.
Elle faisait partie des privilégiés de la forêt chez qui les instincts altruistes sont le moins développés, pour l’unique raison que les besoins, ces grands
maîtres des sentiments et des mobiles, étaient pour elle moins impérieux et les dangers moins pressants.
C'était un soir de printemps, un soir tiède de mars que rien ne distinguait des autres, un soir de pleine lune et de grand vent qui maintenait dans leur prison de gomme, sous la menace d'une gelée possible, les bourgeons hésitants.
Ce n'était pas pour Goupil un soir comme les autres.
Déjà l'heure grise qui tend ses crêpes d'ombre sur la campagne, surhaussant les cimes, approfondissant les vallons, avait fait sortir de leur demeure les bêtes des bois. Mais lui, insensible en apparence à la vie mystérieuse qui s'agitait dans cette ombre familière, terré dans le trou du rocher des Moraies où, serré de près par le chien du braconnier Lisée, il s'était venu réfugier le matin, ne se préparait point à s'y mêler comme il le faisait chaque soir...
(extrait du chapitre I de l'édition parue au "Mercure de France")
Roussard était le plus fort et le plus grand des lièvres de Valrimont, mais il n’avait jamais abusé envers un rival de sa taille avantageuse, aussi, avec la sérénité des bons et la tranquille assurance des forts, regardait-il ces petits jeannots qu’il aurait facilement battus à la lutte ou à la course.
D'un seul coup,dans un effort convulsif et désespéré, courbant les pattes du busard elle avait atteint le corps et tels des couteaux inarrachables,lui avait planté violemment dans les flancs les lames froides de ses dents.
Le sentiment de la réalité rentra dans son cerveau comme un coup de dent dans le ventre d'un lièvre, et résigné,il s'affermit sur les jarrets dans la position la plus commode pour rêver,pour jeuner et pour attendre. Et là, devant lui,hantise affolante,ironique défi à sa patience,le piège se dressait.
Mais il la suit, rivé aux pas de la fuyarde dont l'odeur sexuelle excite son énergie et cingle son désir.
L'homme là derrière peut armer son fusil et se préparer à tirer: les plombs ne seront pas pour lui. Car Goupil est sûr que derrière cette croisée silencieuse un homme veille, un de ses ennemis, un assassin de sa race; il a éteint la lampe pour faire croire au sommeil, mais les soupiraux de son poêle, qu'il a négligé de fermer, viennent de déceler sa présence, et Goupil, qui a déjà entendu des coups de feu dans la nuit, sait maintenant pourquoi il veille. Qui sait combien d'autres, moins méfiants, ont payé de leur vie l'imprudence de s'exposer à si belle portée au coup de feu de l'assassin! Et Goupil a reconstitué les drames: l'homme tranquillement assis dans sa maison mystérieuse, spéculant sur la misère des bêtes, offrant à leur faim de quoi s'apaiser, et, le moment venu, protégé par l’ombre complice, fusillant ses victimes par le carreau entr'ouvert.
C'est là qu'ont péri ses frères des bois, qui, moins résistants que lui, se sont aventurés vers le village et qu'il n'a jamais revus.
Il faut fuir, fuir! Brusquement, il va secouer ce charme, tenter le geste, esquisser l'élan. Trop tard! Un immense éclair rouge jaillit de l’œil vide, un saisissement plus grand et plus fou perce le petit crâne bossué et cingle sous le poitrail blanc le cœur chaud de la pauvre petite bête qui sauta et dégringola sur le sol, encore aux dents la grosse noisette jaune déchaulée, qu'elle serrait plus fort entre ses petites mâchoires raidies par l'étonnement suprême de la mort.