Me voici revenu dans l'univers étrange, décalé, parfois un peu tendre et désenchanté de
Christian Pernath, auteur nantais, peu connu et je trouve cela regrettable. Il semble n'avoir publié pour l'heure que cinq livres, il est un écrivain discret, loin des médias.
C'est Anne (que beaucoup d'entre nous connaissent ici sous le pseudo de rabanne) qui me l'a fait connaître à travers le livre le plus connu de l'auteur,
Séraphin Verre, et que je n'ai pas encore lu...
Nous faisons connaissance ici avec Bélouard qui va nous accompagner tout au long du roman. Il a cinquante-cinq ans, il exerce le métier de vétérinaire dans une commune rurale au nord de Nantes, pas très loin de Notre-Dame-des-Landes pour vous situer un peu le lieu. Que se passe-t-il en ce matin de juin un peu comme
les autres ? Nous découvrons un personnage qui démarre sa journée de manière ordinaire, un peu comme tant d'autres matins dans cet endroit paisible, la conjonctivite d'un chat apporté à son cabinet par un gamin, puis plus tard ici et là sillonnant d'un village alentours à l'autre, allant soigner ici une vache, là un cheval, bref le quotidien d'un vétérinaire de campagne. Les premières pages nous décrivent un personnage qui doute de lui, un peu mal dans sa peau, qui juge sa vie morne, peut-être l'a-t-il un peu ratée, pense-t-il.
Son amour pour les animaux l'aide peut-être à tenir debout. Il y a cette scène touchante, l'attention presque désespérée portée à un petit cheval isabelle qu'un enfant de fermier ne parvient pas à bien traiter malgré les recommandations répétées du vétérinaire...
Alors, que se passe-t-il en ce matin de juin un peu comme
les-autres ? Les habitants vont rapidement découvrir l'effroi, le massacre de toute une famille dans un hameau à quelques lieues de là, dans des conditions sordides et qui restent pour l'heure inexpliquées... La police est dépêchée pour mener l'enquête. Et voilà qui va venir bousculer la quiétude des habitants de la commune pendant quelques temps avec son cortège de regards suspicieux, de commentaires, de rumeurs, de non-dits, de tensions muettes...
Étrangement, Bélouard semble peu touché par l'événement... Il continue d'avancer dans l'histoire avec ses gestes maladroits, ses paroles qu'ils trouvent lui-même parfois un peu ridicules... Il soigne des chats, des chiens, des vaches, et il rêve d'exotisme, son rêve, tout quitter, aller plus loin sur des terres exotiques, soigner pourquoi pas un jour d'autres animaux, tiens pourquoi pas des dragons du Komodo, c'est son fantasme, car après tout ceux-là n'ont-ils pas aussi besoin de soin comme
les autres bêtes ? Mais à d'autres moments, empli de doutes, il pense qu'on s'ennuie autant à Bénarès ou à Samarcande qu'ici...
Nous le voyons dans sa relation avec les habitants, ceux de la commune, ceux des fermes environnantes, et puis il y a le hasard de la rencontre avec une femme, un soir, au détour d'une route, Claire, blessée, violentée, hagarde...
Chronique rurale, roman policier, thriller psychologique ? En tous cas, oui c'est sans doute sous l'angle du roman policier qu'il faut aborder ce livre, et du reste, l'intrigue ne manque pas de cachet, mais ce serait un peu réducteur de le classer dans cette seule catégorie, tant
les autres espaces visités par l'auteur sont riches.
À commencer par la sociologie du lieu... On découvre la misère humaine, une terre lourde, des gens bourrus, taiseux, des visages rougeauds, avinés, de vieilles histoires ancrées dans le terroir et qui ne demandent qu'à resurgir du passé... Par moments, j'ai retrouvé l'atmosphère de certains romans de
Franck Bouysse, de
Georges Simenon ou bien encore de Guy de
Maupassant, mais
Christian Pernath, c'est aussi une musique qui lui est propre, pour dire les voix, les regards, un coeur qui bat, la solitude insondable, l'enfermement, l'intime révélé devant ce qui est plus grand que nous.
La trajectoire de deux regards blessés dans la tourmente peut-elle apporter un peu d'apaisement ? Ici et là, à travers cette chronique rurale sur fond d'enquête policière, ou bien c'est peut-être l'inverse, j'ai beaucoup aimé la manière dont
Christian Pernath, dévoile le mal-être abyssal des personnages, leurs tendresses enfouis, leurs rêves écorchés, l'espoir comme si la vie revenait un peu dans ce sang qui bat dans les veines, mais parfois derrière les battements de coeurs, viennent des battements de portes, le temps d'
un matin de juin comme les autres...