C’est ainsi que le donjon qu’occupait la jeune princesse était désigné par le nom très approprié de « Tour d’ivoire ». Le pseudonyme plaisait beaucoup, même, et surtout, en dehors de l’entourage, puisque les valets qui l’entendirent eurent aussitôt fait d’en faire part à des compagnons, qui eux-mêmes ne manquèrent pas d’en faire part dans les tavernes… Et plus le secret était grand, plus il devint vite public. Evidemment, dans ces atmosphères pesantes à forte dominance masculine, des plaisanteries faciles et des hypothèses facétieuses avaient été conçues à ce propos et, parfois, adoptées officiellement. Certains y virent le signe d’une blancheur assimilable à la pureté virginale de la jeune fille, compte tenu de son âge encore nubile, et conclurent qu’il devait ainsi y avoir quelque relation symbolique entre la Tour d’ivoire et son occupante. D’autres pensèrent que l’inaccessibilité de la Tour faisait office de retranchement pour la princesse et prirent l’expression « vivre dans une tour d’ivoire » au pied de la lettre, ce qui, par extension, avait fini par se rapporter à la demoiselle en propre, inaccessible au vu de son caractère plutôt difficile.
- Comment peux-tu en être sûre, tu ne parles pas sa langue et tu le connais à peine ! s'impatienta le roi. Il pourrait tout aussi bien tenter désespérément de sauver sa peau.
- Je ne le crois pas. Je n'ai pas besoin de confirmation, je l'attendais depuis toujours, je l'aime et l'amour est une langue universelle.
Des ténèbres naît la lumière.
Erik ne comprenait pas, n’avait jamais compris, l’engouement de ces gens pour les livres. Ces objets fragiles résistant pourtant aux manipulations et au temps auraient tout aussi bien pu être des briques multicolores à ses yeux. C’était la survivance d’une autre époque, le témoignage laissé par une glorieuse civilisation tombée en désuétude. Il n’avait cure de ces pièces de musée, même s’il en avait fait son métier.
De toute manière personne ne surveillait la côte, ni ne scrutait la mer. Le gardien de nuit ne partageait pas la passion de son employeur pour le contemplations répétées et assidues du paysage, dans le froid et le vent nocturnes. Au contraire, il était à l'abri et bien au chaud, puisqu'il avait élu domicile cette nuit-là entre les bras et les cuisses d'une péronnelle de sa connaissance, sise à quelques pas du château.
Solitaire récipiendaire
Amateur de tout et de rien
Grisé par le mystère
Etranger parmi les siens