Ce joli écrin à la couverture enneigée invite à se faufiler par la porte entrebâillée de cette vieille maison de l'île de Montréal. Mais à qui appartient cette voix chaleureuse dont je perçois le petit accent québécois ? Oui, je ne me trompe pas, c'est bien la maison, craquant sous les vents glacés de l'hiver, dans l'impossibilité de garder dans ses murs la chaleur des fourneaux, qui me parle de celle, seule, qui l'habite aujourd'hui et gratte les vieux papiers peints et les peintures écaillées, arrache la moquette, décrasse, lessive, dégraisse. Il semble qu'elle soit là depuis le début de l'été, travaillant avec rudesse et obsession pour redonner de l'éclat à cet intérieur abandonné depuis longtemps. Et, sous ses mains qui s'affairent, la maison se sent respectée même si sa petite Française, comme elle la nomme, ignore encore qu'elle a une âme.
Elle a choisi la grande chambre du fond avec son poêle en faïence blanche jamais utilisé. Celle-ci est la plus belle, mais son choix a été aussi motivé par la sensation que cette pièce n'exhale aucun parfum du passé, aucune histoire, contrairement au salon regorgeant d'objets remisés, témoins d'un vécu dont elle ne désire pas encombrer ses pensées. D'ailleurs penser, elle ne veut pas. C'est pour cela qu'elle gratte, qu'elle frotte et s'acharne de plus belle dès que des vagues de chagrin déferlent en elle.
Elle nous parle aussi, et la fragilité blottie dans ses propos fait peine.
Dehors, à la porte de la maison, la fureur des huit voies de l'autoroute charriant ses milliers de véhicules. le bois et les fenêtres vibrent sous l'assaut de la circulation mais pas que…
Le gros hiver sévit, se gonfle sous le souffle du vent, se pétrifie dans ses stalactites et son verglas. L'hiver polaire québécois nous saisit, avec la dégringolade de ses températures.
Valérie Péronnet nous offre ici un roman attendrissant, une lecture d'une grande douceur, pleine d'émotions, qui vient nous réchauffer au coeur de l'hiver. Une histoire touchante dans laquelle on se love, bien installé sous un édredon, collé à sa bouillotte, un poêle à bois faisant entendre son chaleureux crépitement.
Passée la surprise de certains verbes et adjectifs, devenus des archaïsmes chez nous, leur petite musique chatouille agréablement les oreilles. Une mélodie québécoise, un petit air d'ailleurs.
Cette maison bleue m'a fait d'émouvantes confessions, replongeant dans ses souvenirs avec son ancienne occupante Dumontine. Elle est nostalgique des temps de bonheur, des bonnes odeurs de pain d'épices et de chocolat chaud, du violoncelle qu'elle n'entend plus depuis des lustres.
Et qui mieux placé qu'une maison peut parler intimement de ceux qui se sont abrités dans ses murs ?
Ne pensez pas que cette maison bleue soit hantée, non. Elle est juste emplie des autres.
Au début, sa nouvelle occupante ne veut rien savoir mais la mémoire des lieux est là. de la maison envers celle qui la rénove émanent de la curiosité, de la tendresse, la volonté de comprendre pourquoi ce choix de complète solitude, cette « non-vie », cette sensation de mort intérieure, ce chagrin contenu dans la hargne à la décaper.
Elle est à l'écoute de ses moindres sursauts de mieux-être, du plus petit soupçon de vie, s'attendrit de la petite toune fredonnée de plus en plus souvent, de plus en plus puissamment.
Travaux et reconstruction s'imbriquent. L'idée de lier l'abandon d'une demeure à l'abandon d'une vie donne à ce très joli roman de l'originalité et un charme fou. Un petit bijou à déguster et redéguster dès les premiers froids. Je lui donne donc rendez-vous l'hiver prochain.