Le XVIIIe siècle dans tous ses états sous la Régence et le règne de Louis XV soit trente ans de politique intérieure et étrangère au royaume de France racontées dans le style bondissant de
Gilles Perrault. Guerre de succession d'Autriche (1740-1748) et guerre de sept ans (1756-1763) racontent comment un noyau de quelques hommes, dépêchés en Pologne dans un contexte politique très particulier, devint l'outil de visées stratégiques parallèles à la diplomatie officielle française et constitua l'ébauche d'un véritable service secret organisé. C'est le sujet de ce tome : La passion polonaise.
Premier volet d'une triloge ("Le secret du roi") qui s'ouvre sur les turpitudes politiques de Stanislas Leszczynski partant à la reconquête du trône de Pologne et soutenu par la France (à l'époque, la Pologne est la seule monarchie élective existante et suscite de ce fait toutes sortes de convoitises en Europe). Contre cette entreprise hasardeuse, la Prusse, l'Autriche et la Russie ne vont pas manquer de former des coalitions de circonstances à géométrie très variable. Les renversements d'alliance et les rebondissements politiques de toutes sortes se succédent tout au long de la période. Ce premier volume s'achève à la fin de la Guerre de sept ans sur un traité de Paris (1763), très défavorable à la France.
L'histoire du "Secret", premier service du genre, est charpentée autour de la personnalité des deux frères de Brogglie, issus d'une famille du Piémont venue s'installer en France un siècle auparavant dont le père ambassadeur à Londres était devenu maréchal. Il avait emmené ses deux garçons en campagne lorsqu'ils étaient adolescents ce qui les avait rompu au milieu des armes. Excellents cavaliers, on les remarque par leur très petite taille qui fait aussi leur complexe, construit leur psychologie. le plus jeune, Charles, va devenir le véritable pivot du "Secret", surtout après la disgrâce de Conti, cousin du roi Louis XV. L'aîné, Victor François, officier intrépide, se distingue dans l'armée.
Les deux frères ont servi sous le commandement du prince de Conti. A Varsovie, où il est envoyé, Charles doit mettre en oeuvre une diplomatie d'endiguement de la Russie qui est la puissance montante de la région et favoriser l'élection de Conti au trône de Pologne. On voit également tout au long du livre comment les intrigues de cour menées de Versailles par le clan Pompadour interféreront non seulement dans la diplomatie officielle mais se heurteront aussi aux visées secrètes et souvent contradictoires du Roi, de son cousin et de Charles de Brogglie.
La personnalité de Charles est attachante. Esprit et vivacité le caractérisent. Lui et son frère sont totalement à contre-courant de la mentalité régnant à Versailles. Francs, loyaux et sans langue de bois, dirait-on aujourd'hui, dans une époque où règnent la morgue des grands, le cynisme et le
goût de l'intrigue, où tout le monde trompe tout le monde. Tous deux très liés, ayant des ambitions raisonnables pour des hommes de leur condition et de leur époque. L'un écrit, chiffre et déchiffre des correspondances secrètes, adresse des mémoires au roi, quand l'autre manie les armes avec bravoure pour la gloire de la France. Parfois tous deux combattent et c'est Victor-François qui fait remporter de nombreuses victoires à la France là où d'autres, distingués pour leur appartenance au clan Pompadour, ne font qu'abandonner les places ou se déshonnorer dans les retraites. Cependant, une forme de rigidité de caractère, de susceptibilité, de fierté, leur sera souvent reprochée par le roi et de nombreux contemporains, ce qui leur vaudra beaucoup d'inimitiés à la cour jusqu'à leur disgrâce.
Un des nombreux autres charme du livre est de s'y faire croiser des personnages tel que
Frédéric II de Prusse, Charles VI et
Marie Thérèse d'Autriche,
Catherine II de Russie etc. et d'autres comme
Casanova (toujours magnifique),
Voltaire (décrit en pingre, trempant dans des histoires financières douteuses et empêtré dans une relation tumultueuse avec Frédéric II),
Beaumarchais (horloger inattendu), ou encore plus surprenant le chevalier d'Eon (rempli de l'assurance culotée de la roture). Toute pesanteur historique est évitée grâce au déroulé quasiment romanesque des événements qui donnent lieu parfois à une réflexion clairvoyante sur cette période troublée mais oh combien aventureuse de l'histoire.
Le roi Louis XV, qui fait partie de la galerie de portraits, l'un des principaux acteur du "Secret", apparaît sous un jour insolite. Intelligent et lucide mais timide, avec un
goût prononcé pour la dissimulation, il n'a pas la volonté réelle de faire appliquer ses décisions, s'en remettant trop souvent à son Conseil. En privé, fidèle 8 ans à la reine dont il aura 10 enfants, il mène ensuite une vie débauchée, entrecoupée de chasses qui sont sa vraie passion, entouré de ministres plus ou moins efficaces, de nombreux cardinaux avariés et de maîtresses fort nombreuses. Les documents sont multiples et passionnants le concernant (lettres ou extraits, témoignages, mémoires).
Frédéric II de Prusse disait de lui : "son seul défaut est d'être roi".
Passionnante fresque européenne au Siècle des Lumières formidablement documentée comme sait le faire l'auteur. A recommander à tous les amoureux du XVIIIe. Relire
Gilles Perrault fait aussi aimer l'histoire (chronique du 10 mai 2014).