"Tu lâches le nom de la ville, et y a rien besoin d'expliquer, les gens comprennent immédiatement. Ça se corse. Ça saigne. Ça sonne comme un générateur à emmerdes."
Détroit, synonyme de déroute, symbole d'abandon… Une industrie jadis florissante brutalement sinistrée, des maisons désertées par leurs habitants laissant derrière eux un paysage de ruines et de squats livré à des gangs s'affrontant pour défendre les tristes territoires qu'ils se sont appropriés.
Mais peut-on vraiment réduire l'une des plus grandes villes des Etats-unis à ce laconique constat ?
La journaliste
Judith Perrignon a été envoyée sur place pour rendre compte de la situation et a été saisie par une vitalité qu'elle ne s'attendait pas à trouver. Sans doute parce qu'elle s'est intéressée à ceux qui y sont restés et qui ont continué à y vivre ; sans doute aussi parce qu'elle a fouillé son histoire et qu'elle l'a mise en perspective avec ce qui s'y passe aujourd'hui ; sans doute encore parce qu'elle a écouté battre son pouls, elle y a vu bien autre chose que ces clichés et a voulu donner une autre image de cette ville à travers un roman.
Car on l'a parfois oublié, Détroit n'a pas été qu'un centre industriel. Elle a été le berceau de la Motown, elle a vu naître les plus grands artistes noirs qui ont fait la gloire de la musique made in USA dans le dernier tiers du XXe siècle : Diana Ross et les Suprêmes,
Stevie Wonder et d'autres en sont les enfants. Aujourd'hui comme hier, quiconque voit le jour à Détroit écoute, vibre et joue de la musique. Des plasticiens s'y rassemblent également dans de véritables foyers d'énergie et de créativité.
Remontons aux années 30.
Eleanor Roosevelt porte le projet de sortir les Noirs des taudis auxquels ils sont confinés pour leur permettre l'accès à des logements décents. le Brewster Project est lancé. Dans le même temps, l'essor de l'industrie automobile remodèle entièrement la ville qui devient celle de tous les records, de tous les excès : plus grand centre commercial, plus grande bibliothèque... Véritable emblème du rêve américain, elle s'étend sur des kilomètres. Peu de buildings, mais surtout des alignements de petites maisons individuelles dans des quartiers reliés entre eux par des autoroutes entaillant la ville. C'est le triomphe du rêve américain : un emploi, une maison, une voiture.
Vous connaissez la suite, tout a volé en éclat avec la chute de l'industrie automobile, avant que la crise des subprimes ne vienne donner le coup de grâce, jetant des familles entières à la rue.
Mais Detroit semble aujourd'hui de nouveau susciter la convoitise des financiers et autres promoteurs immobiliers qui font leur retour pour remodeler la ville et en tirer de juteux bénéfices… au risque de reproduire les erreurs du passé.
C'est toute cette histoire que relate
Judith Perrignon à travers celle du Brewster Project et de ses habitants, faisant des allers-retours entre les différentes époques et divers personnages. C'est à mon sens la force et la faiblesse de ce récit qui offre certes une intéressante profondeur de vue, mais qui produit aussi une certaine confusion. On s'intéresse finalement assez peu au jeune homme trouvé mort dans les décombres du Brewster Project alors que sa découverte ouvre le récit et que l'enquête qu'elle génère est censée en être le socle. Quant aux autres protagonistes, certains m'ont semblé un peu perdus dans le tourbillon de la narration.
Peut-être aura-t-il manqué une colonne vertébrale un peu plus solide pour rendre ce récit fort bien documenté aussi captivant et vibrant que celui qui rendait compte de la ferveur populaire suscitée naguère par la figure de
Victor Hugo.
Là où nous dansions n'en reste pas moins un livre sensible et fort instructif sur une ville dont on ne connaît souvent guère plus que quelques stéréotypes.
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