Jusqu'ici j'ignorais tout de Georges Perros (1923-1978) qui a eu deux vies, la première comme comédien basé à Paris, la seconde comme poète en Bretagne. Il a laissé une oeuvre importante (dont une partie posthume). Une vie ordinaire est un recueil dont il a commenté l'achèvement en 1965 par ces mots: « J'ai fini de chier mes octosyllabiques. Il était temps. Ça fait un petit paquet, que j'ai peur d'aller voir. Plein d'âneries, sûrement ». En fait, ce sont des fragments de l'autobiographie d'un homme modeste, écrits sobrement et avec une pointe d'autodérision. Le livre, facile à lire, me semble empreint d'authenticité. Il constitue pour moi une heureuse surprise . Je mets en citation trois de ces poésies.
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Ne pas dire plus qu'on ne voit
plus qu'on ne sait plus qu'on ne sent
c'est un métier très difficile
car la fable est au bout du compte
Deux hommes face à même chose
la décrivent tout autrement
et combien d'hommes dans un homme ?
Je ne saurais vous dire tout
Et ne pourrais car le mystère
c'est bien cela vouloir tout dire
et s'apercevoir à la fin
que la marge est tout aussi grande
qui nous sépare du prochain
Pendant qu'on écrit l'existence
que l'on dit avoir bouge et change
et quand on parle à un poète
de son dernier recueil il est
depuis longtemps miné par l'autre
aussi brûlant définitif
qu'il nous fera lire demain
Si nous vivions siècles durant
on n'en finirait pas d'aller
au seuil de notre vérité
qui recule quand on la presse
et nous envahit quand on dort.
p.92
Un moment d'enfer conjugal
mots lancés à fendre le crâne
pulvérise dans son horreur
six mois de calme relatif
Avec les enfants le contraire
cinq minutes délicieuses
vous font oublier sur-le-champ
leur dictature pleurnicheuse.
Qu'il faille tenir le coup pour
vivre chacun le sait bien
mais quel coup ? Je me le demande
souvent quand je ne sens plus rien
du désastre qui m'environne
Je pense alors que tout est blanc
comme ta baleine ô Melville
et cependant en moi menace
le coup impossible à prévoir
comme à éviter C'est la vie
dit-on et qu'est-elle si l'on
ne peut en réduire à merci
la traître clandestinité
Voilà que tout à coup la grêle
me tombe dessus Je n'ai fait
que bien travailler métier d'homme
en aimable sécurité
Voilà que je ne sais quelle onde
perturbe antenne dedans moi
Alors je dois me rebeller
tenir debout malgré série
de coups plus ou moins attendus
D'où viennent-ils ceux-là qui sont
comme si j'avais tout perdu
malgré mon très peu d'innocence
Vous savez quand l'oreille siffle
c'est qu'on parle de vous Ainsi
me trouble ce degré d'absence
On doit dire du mal de moi
dans les nuages Le voisin
prendra le relais si demain
j'existe toujours Car mourir
fait bien ressortir nos vertus
comme salade et laitues
après que le corps a fait pouce
parmi les herbes et la mousse.
(P174)
… Et la vie
elle recommence demain
jusqu’à la mort de cette main
qui tient ce stylo main fébrile
et qu’un maigre poignet retient
elle s’en irait aussi bien
main qui me fit moquer de moi
pour n’avoir que doigts inutiles
inaptes aux sacrés travaux
sinon pour cueillir une fleur
et encore main de fortune
on ne sait comment venue là
pour finir un corps sans présence
que seule allume la douleur…
….
…J’ai force suffisante en moi
pour me lever chaque matin
Le dur est de s’acclimater
à nouveau après cette halte
en luminosité lunaire
où le rêve tisse une toile
que l’on déchire dans la rue
Pas à pas ramendons filet
de notre vie imaginaire.
...J’avance en âge, mais vraiment
je recule en toute autre chose
et si l’enfance a pris du temps
à trouver place en moi je pense
voilà qui est fait et je suis
devenu susceptible au point
qu’on peut me faire pleurer rien
qu’en me prenant la main Je traîne
en moi je ne sais quelle santé
plus prompte que la maladie
à me faire sentir la mort
Tout m’émeut comme si j’allais
disparaître dans le moment
Ce n’est pas toujours amusant.
....
Je suis pour le discours humain
Je suis pour la moitié de pain
Le désespoir c’est de se taire
Et si mon langage vous pèse
quoique si léger si fuyant
rien de plus facile à votre aise
que de jeter ce livre au vent.
......
Et si je fais un peu exprès
D’écrire de près de trop près
C’est qu’à des amis inconnus
Je les jette très loin de moi
Ces mots qui paraissent dit-on
D’une banalité sans nom.
Lecture par l'auteur & Julien Adam
« partout je me suis toujours cherché / mais j'ai toujours veillé / à ne jamais me trouver / de peur de me faire mal / de me faire la peau / de me régler enfin / mon compte. » Il y a l'empreinte d'un Georges Perros dans cette façon de se regarder en face. Franche. Désolée. Il y a surtout le premier et très inspiré recueil de poèmes d'Olivier Adam, fragments murmurés d'une « contrevie ». du passé bien passé, bien perdu. Des manquements, des remords, des incompréhensions, des impossibilités à jouer la comédie. Ce rôle-là, il ne le tient pas « de travers ». Tout au contraire : c'est sa peau.
À lire – Olivier Adam, Personne n'a besoin de savoir, éd. Bruno Doucey, 2023.
Lumière : Valérie Allouche
Son : William Lopez
Direction technique : Guillaume Parra
Captation : Claire Jarlan
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