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EAN : 9782080414656
208 pages
Mialet Barrault (01/02/2023)
4.13/5   81 notes
Résumé :
Il adorait ses parents. Joyeux, déjantés, imprévisibles, la vie à leurs côtés était un tourbillon de fantaisies. Jusqu'à cette nuit où ils ont couru vers la mer pour un bain de minuit, oubliant la falaise. Le chagrin causé par leur mort est immense. Désormais, son quotidien routinier lui semble dérisoire. Il décide de changer radicalement d'existence.

Abandonnant ses certitudes, il s'installe à la «Plateforme» : un treizième étage entièrement vide où ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
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Quand la vie bascule…

Le nouveau roman de Frédéric Perrot met en scène un jeune homme qui vient de perdre ses parents et s'installe dans un vaste espace vide. Pour y faire son deuil et pour tenter de se construire un avenir avec une liberté retrouvée.

Ce roman, c'est d'abord celui d'un lieu. Un immeuble incendié, un propriétaire contraint à une vente aux enchères, et les parents du narrateur se retrouvent propriétaires d'une vaste plateforme au treizième étage d'un immeuble. 400m2 qu'ils se proposent de rentabiliser en y organisant des mariages, car la vue sur la ville y est imprenable. Mais cela ne suffit pas à éponger les dettes. Alors leur fantaisie transforme cette dalle de béton «en un espace de liberté étonnant, un lieu de tous les possibles. (...) Ils ont troqué les mariages contre des représentations artistiques éphémères, des veillées de lecture, des projections privées ou des concerts. L'endroit est devenu le lieu le plus couru de la ville, accueillant artistes et créateurs de tous horizons».
Pour leur fils, cet espace est synonyme de liberté, de fête, de création. Il y organise des boums, des matchs de foot, y échange son premier baiser. Une certaine idée du bonheur qui se voile brutalement quand il apprend la mort de ses parents. «J'avais trente-neuf ans, quatre mois, six jours, quatre heures, trente-sept minutes et cinq secondes quand on me l'a annoncé.» Ils avaient décidé de prendre un bain de minuit et avaient couru main dans la main vers la mer en oubliant la falaise qui les séparaient du rivage.
À compter de ce jour, la vie n'a plus eu de saveur. Mais il a bien fallu avancer. Alors, pas à pas, notre narrateur a cherché du sens à ses actions, un peu aidé par Tartuffe, le chien de ses parents, qu'il fallait bien promener. Il a démissionné, quitté son appartement, donné les clefs de sa voiture et s'est installé au treizième étage.
Vivre consistait alors à regarder le paysage, suivre l'eau qui s'infiltrait par la toiture, regarder pousser les plantes, marcher pieds nus. Ou encore essayer d'atteindre des endroits pointés au hasard depuis sa tour. Après le toit d'un gymnase, il s'est «retrouvé à pousser des cris sur la cime d'un arbre, le parking d'un supermarché ou une piste de karting, un jour de compétition.» En collectionnant les lieux, il a atterri chez une vieille dame puis en répondant à une petite annonce, il a fait la connaissance de Sampras, joueur d'un tennis aux règles très particulières. Deux rencontres qui vont lui donner l'idée d'organiser un repas pour ses nouveaux amis. «Une armoire à glace en marcel, un chien aux poils hirsutes, une vieille dame en tenue de gala et un type aux pieds nus. Quatre solitudes réunies. le début d'un peuple.»
Leurs extravagances réjouissent Mme de Marigneau qui lui confie alors combien elle apprécie sa façon de vivre: «C'est beau, mon garçon, ce truc que t'as dans le ventre, Je ne sais pas où tu l'as puisé mais cette fièvre vaut de l'or. Moi je n'ai pas eu la chance de le découvrir assez tôt, mais j'aurais aimé vivre comme toi. D'ailleurs c'est comme ça qu'on devrait mourir aussi.»
Comme son personnage principal, Frédéric Perrot sait accompagner sa prose d'un brin de fantaisie et de très jolies formules que l'on voudrait toutes noter, comme «Les déceptions amoureuses sont le plus puissant moteur que l'Homme ait jamais créé» ou encore « Il n'y a rien de plus puissant que l'absence pour donner de la présence à ceux qui sont partis.» Cette chronique d'un deuil difficile à surmonter pourrait être une plongée dramatique vers la folie, mais par la plume allègre de son auteur devient un hymne à la vraie liberté. Celle qui ne nous enjoint pas de rester dans un cadre défini, mais celle qui n'est plus régie que par nos envies et nos désirs.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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J'avais déjà lu « Pour une heure oubliée » de l'auteur et j'avais adoré sa plume légère et décalée.
Ce roman là n'a rien à voir. La très belle couverture en retranscrit très bien l'ambiance, entre joie et mélancolie.

C'est une lecture qu'il est difficile de lâcher parce qu'on est embarqué dans l'esprit du narrateur, jeune homme élevé par des parents originaux, bourrés de fantaisie et de joie de vivre. le jour de leur disparition, ils tombent d'une falaise alors qu'ils couraient vers la mer pour prendre un bain de minuit, sa vie prend un nouveau tournant.
Il s'installe dans leur ancien appartement « la plateforme », sorte de plateau vide de murs et de meubles avec une vue magnifique, pour y vivre une existence loin de la réalité, afin de se fabriquer son monde, loin des normes, des obligations et des standards.
« Avant de mourir, il voulait vivre »

Le début m'a fait penser au film de 1968 de Yves Robert « Alexandre le bienheureux. »
Mais le chemin du bonheur est bien plus compliqué qu'il n'y parait…

Que d'émotions dans ce roman, sorte de fable qui évoque la crise existentielle d'un quadra, racontée avec une telle beauté qu'elle nous renvoie le vide de notre propre existence et tous ces espoirs auxquels on a renoncé.

C'est plein de fleurs, d'humour, de joie, de poésie.
On est pris dans le tourbillon de cette folie douce, qui cache une vérité bien difficile : Celle de devoir un jour affronter le deuil et faire son propre chemin, s'émanciper de tout ce qu'on nous a appris pour mieux exister sans renier notre passé.
Car c'est cela aussi le sens de ce livre : aimer la vie, ce n'est pas seulement tout rejeter. C'est aussi faire face, mais sans jamais oublier la joie des choses simples.
Une ode à la vie et au bonheur, à la construction difficile de soi et aux rencontres qui sont notre plus belle aventure.

💜 Un magnifique roman où Frédéric Perrot déploie tout son talent un peu fou, sa douce mélancolie et son sens de la formule magique pour nous évader de notre quotidien.
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En tant que libraire, j'ai eu la chance de lire « Ce qu'il reste d'horizon » en avant-première. J'ai été totalement emportée par ce roman plein de fantaisie. Une histoire originale et poétique, souvent drôle. Celle d'un homme qui va tenter de faire le deuil de ses parents grâce à deux antidotes inattendus : la fantaisie et la joie.

C'est précisément ce prisme singulier choisit par l'auteur qui fait mouche : produire un texte joyeux sur la tristesse. Pari réussi, on oscille entre rire et émotion grâce à des personnages truculents (et souvent hilarants!) qui décident de laisser libre cours à leur pulsion de vie. Des « enragés de vivre » comme le dit l'auteur qui vont n'avoir qu'une obsession : redonner du sens à cette existence trop éphémère. Lui injecter ce qu'il faut de fête, de rencontres, de joie, de poésie, d'imagination. En bref, un roman jubilatoire !
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Cette couverture est sublime et très parlante. Elle correspond à la peine mais aussi à toute la beauté qui se dégagent de l'histoire et du style de ce livre.
Le narrateur perd ses parents. Des parents exubérants qui lui laissent une Plateforme au 13ème étage d'un immeuble et un chien Tartuffe. Ils utilisaient déjà cette plateforme de manière insolite pour des célébrations. A leur mort, le narrateur quitte son travail et son appartement. Sa vie et celle des autres lui paraissant absurde, à faire quelque chose qu'il n'aime pas pour payer un loyer exorbitant. Il s'installe avec Tartuffe au 13ème, improvise un petit potager pour vivre comme en autosuffisance et en harmonie avec ce qui l'entoure, même avec les fuites, une sorte de douce folie. Il rencontre un alcoolique qui aime jouer au tennis, une vieille dame solitaire mais délurée et il a toujours sa fidèle amie Anita.
L'auteur manipule avec agilité le bouleversement et la tristesse du deuil avec la beauté de l'amitié, la joie que le narrateur veut retrouver, l'entraide, l'euphorie vers laquelle entraîne le désespoir. La relation entre les personnages apporte du souffle et beaucoup de baume au coeur.
J'ai aimé le style doux et poétique employé pour accompagner le cheminement du narrateur qui se perd et doit retrouver ses repères.
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Il y a des livres, parmi d'autres, qui appellent directement le coeur. C'est une écriture, une sensibilité, un langage, une présence, c'est l'auteur et le fruit de son travail, le résultat d'une gestation parfois longue mais prometteuse. C'était le cas pour moi ici avec le 3ème roman de Frédéric Perrot. Un rien a suffi à déclencher cet allant nourri d'impatience. Éloquent, drôle, touchant et loufoque à la fois, ce roman convoque un florilège d'émotions. F.Perrot est un écrivain original et sensible, et il le prouve encore avec un récit sur l'urgence et la soif de vivre, malgré la difficulté des épreuves et des entailles. Il nous montre avec humour et tendresse que la vie n'est pas forcément qu'une bataille, mais peut être aussi un formidable terrain de jeu, ou un immense champ de fleurs qui rendent possibles nos désirs les plus fous. En déjouant le quotidien à coups d'inventions folles et fantasques, l'auteur se pose ici en défenseur de nos vies malmenées. Dans un jeu d'ombre et de lumière, on s'élève, on prend de la hauteur, et on recule pour mieux sauter, au sens propre comme au figuré. Les phrases claquent, la plume est unique, et puis toujours ce sens juste de la formule, si propre à F.Perrot.
Plus rien ne compte alors que les plaisirs simples, il faut vivre malgré les détours et les retards, tout prendre avant qu'il ne soit trop tard. On s'interroge avec lui sur ce qui meut réellement les gens ? Ou au contraire ce qui les retient ?
Ce roman arrive à point nommé, dans cette période où un rien peut faire basculer un tout. On peut toujours être tentés de vouloir rester figés dans le passé, mais les fins annoncent parfois de très beaux débuts.
Merci à F.Perrot et ses éditeurs, grâce auxquels j'ai presque effacé la barrière entre fiction et réalité.
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critiques presse (1)
LeMonde
07 mars 2023
Ce treizième étage transformé en une plate-forme immense est bien plus qu’une dalle de béton : la page blanche où inscrire tous les rêves, toutes les folies.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (36) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
J’avais tout ce qu’il me fallait puisque je n’avais rien. Rien qu’on puisse me voler, rien à devoir à personne. C’est un luxe notable, je m’en suis rendu compte avec le temps. Si on me retirait tout, je ne perdrais rien. Y a t il plus grande richesse ?
Cette fortune durait depuis longtemps déjà, je ne comptais plus les jours, laissant tourner le compteur dans mon dos. Je me réveillais au chant du coq, passais mes journées à contempler le soleil et le monde qui fourmillait en contrebas. Je buvais un peu, lisais beaucoup. Je faisais des festins des légumes que j’avais moi-même cultivés et prenais des douches avec vue sur la ville entière, sans vis-à-vis. Plus que jamais je profitais de l’existence et du temps, ce sable qui file entre les doigts.

Près de quatre décennies plus tôt, un incendie ravageait les bureaux du dernier étage d’un immeuble d’habitation. Le propriétaire s’est vu contraint de tout raser pour les reconstruire, mais n’a jamais obtenu son crédit pour le faire. Pour éviter la banqueroute, il a fini par proposer son bien aux enchères. Mes parents ont assisté à la vente par hasard, en accompagnant un ami. C’était un jour de canicule, la plus importante depuis vingt-six ans. La salle était déserte. La seule personne présente somnolait au dernier rang, assommée par la chaleur. En entendant que la mise à prix débutait à un franc symbolique, mon père a jeté un regard amusé à ma mère, et il a levé la main. Voilà comment ils se sont retrouvés propriétaires d’un étage totalement vide. Quatre cents mètres carrés de rien. Un plateau de béton désaffecté pour un franc… et quelques dizaines de milliers d’impayés, compris dans le lot. Mais peu importe, ce coup du sort a été l’élan qu’ils attendaient pour redonner du sens aux jours. Ils commençaient à trouver les journées un peu longues, dans une vie qui en comporte si peu.
Quand ils ont découvert qu’il s’agissait d’un treizième étage, il fallait voir leur enthousiasme, deux adolescents, ni plus ni moins. Ils répétaient à qui voulait bien l’entendre que ça leur porterait chance. Ils n’avaient pourtant pas pour habitude de croire aux porte-bonheur ou aux grigris. Combien de fois les avais-je entendus dire : La chance, c’est toi et toi seul qui vas te la construire, mon garçon, sûrement pas le loto. Mais on venait de leur filer un ticket gratuit, alors ils ont délaissé leurs grandes théories, le temps d’y croire un peu.
Ils ont mis des mois à éponger les dettes, en y organisant d’abord des mariages low cost – un peu d’imagination suffisait à rendre cette dalle de béton accueillante, et le point de vue incroyable finissait par convaincre même les plus récalcitrants. L’architecture de l’immeuble était étonnante pour l’époque : les murs extérieurs du bâtiment, vitrés, donnaient l’illusion de leur absence. Il fallait pour y vivre ne pas avoir le vertige. Une excentricité de l’architecte qui baignait en permanence l’étage de lumière, grâce au panorama à trois cent soixante degrés de la ville. De là-haut, tout prenait de l’ampleur, la pluie, les orages, le défilé des voitures et la danse des arbres, le bruit lointain du monde.
Mes parents n’ont jamais eu les moyens pour lancer la reconstruction de l’étage, je ne suis pas sûr qu’ils en aient eu un jour le projet. Mais pour la première fois de leur vie ils étaient propriétaires. Alors ils l’ont gardé, comme un trophée.

En peu de temps, leur fantaisie a transformé cette dalle de béton en un espace de liberté étonnant, un lieu de tous les possibles. Des WC aménagés dans un coin, des dizaines de chaises pliantes et des tréteaux, des draps tendus et des vieilles lampes à franges suffisaient à donner vie à ce treizième étage. Ils ont troqué les mariages contre des représentations artistiques éphémères, des veillées de lecture, des projections privées ou des concerts. L’endroit est devenu le lieu le plus couru de la ville, accueillant artistes et créateurs de tous horizons, et voyant défiler les voisins du dessous, excédés par le bruit, à une vitesse démentielle. Jusqu’à ce qu’ils tombent sur ceux qui profiteraient avec eux de ces fêtes incessantes.
Ils ont fini par quitter leur travail respectif pour ne vivre que des revenus générés par la Plateforme. C’est comme ça qu’on l’a baptisée, au vote à main levée. C’était d’usage pour tout et n’importe quoi dans notre famille, tout se décidait ainsi. Comme on n’était que trois, deux voix suffisaient pour l’emporter : pain aux graines ou baguette tradition ? Balade au parc ou cinéma ? Rue de gauche ou rue de droite ? Pour tous les sujets, si on voulait convaincre, il fallait développer un argumentaire, savoir énoncer clairement son point de vue. Opter pour l’achat d’un cerf-volant plutôt qu’un ballon de foot pouvait nous mener à des diatribes délirantes et spectaculaires. Le résultat, finalement, importait moins que la ferveur pour y parvenir.
Le week-end, ma mère nous lançait souvent des « Ça vous dirait de peindre ? », je levais la main, elle aussi, et on partait à la Plateforme avec des pinceaux et des pots de peinture, et on dessinait des fresques gigantesques sur le sol, des après-midi entiers. Quelquefois pour des occasions particulières, souvent pour notre plaisir personnel. Depuis cette acquisition, le plaisir et la joie étaient devenus leurs seuls guides. Si mes parents avaient été des églises, on se serait empressé de leur graver sur le front cette phrase maintes fois répétée : La norme n’a d’autre forme que celle qu’on veut bien lui donner.
En pleine semaine, à l’heure du dîner, il n’était pas rare que mon père lance « Allons dîner dans les nuages ». Alors on se chargeait d’un nécessaire à pique-nique et on se rendait au treizième étage. Il fallait voir ça, cette excitation en installant les tréteaux près des baies vitrées, face aux lumières de la ville, un ciel étoilé à nos pieds. Chacun de ces dîners, chacun de ces passages à la Plateforme, était des vacances improvisées. Plus besoin de Villers-sur-Mer, de Fréjus ou de Pleubian. On avait ça.
J’ai organisé là-bas mes premières boums, des anniversaires, des parties de foot avec les gars du quartier. Quelques traits à la craie suffisaient à tout changer, à délimiter chaque fois un nouvel espace de jeu. L’imagination est la plus grande des bâtisseuses.
J’y ai décroché mon premier baiser. Une Élodie, impressionnée par cet espace gigantesque dans lequel j’avais allumé des dizaines de bougies, m’a trouvé romantique et, pour la première fois, des lèvres se sont posées sur les miennes. J’ai vite compris que cette dalle de béton était un avantage sur les autres garçons. Je ne m’en suis pas privé quand elle m’a quitté pour un autre. Avec plus ou moins de succès selon les tentatives – les sentiments sont une science hasardeuse – je prenais du galon à mesure qu’on gravissait les étages. Des cloisons, montées par mon père autour de la cage d’ascenseur, créaient l’illusion d’un hall d’entrée donnant sur quatre appartements. Quand j’ouvrais une des portes, toujours la même réaction : bouche bée et yeux écarquillés.
J’ai pris ma première cuite là-bas, après une soirée trop arrosée pour célébrer l’obtention de l’inratable brevet des collèges. L’étage s’était alors transformé en plateforme vacillante, une toupie tournant sur son axe à toute allure, des ados dégueulant sur sa dalle.
J’y ai fumé mon premier joint, aussi, avec un Mathieu. On a tellement ri ce jour-là que la ville entière a dû nous entendre. Comme on était haut perchés et les nuages bas, certains ont dû se dire que Dieu se foutait de leur gueule.

Je n’ai jamais souffert de l’exubérance de mes parents, au contraire, elle m’a inspiré, elle a fait de ma jeunesse un joyau, du genre brillant et coloré. On a dérivé ensemble dans ce monde fantaisiste et joyeux, un paradis pour enfants. J’ai lu plus de bouquins que n’importe quel gosse, me suis endormi au bruit de centaines de concerts, ai visionné des films par milliers. Avant mes dix ans, j’avais une culture de vieillard, je pouvais réciter par cœur les dialogues des films de Sautet, je connaissais toutes les chorégraphies de Chaplin et considérais Klimt comme un frère. J’étais capable de réparer une plomberie défaillante, de bricoler un meuble cassé. Et mes bateaux en allumettes, oui mes bateaux en allumettes conception maison qui venaient chaque semaine agrandir l’impressionnante collection de mon chantier naval. Je les faisais naviguer contre vents et marées, des jours entiers, sur la moquette de ma chambre. La seule contrepartie à tout ça, c’était mon ennui abyssal à l’école. Tout était fade, à côté de ce que mes parents m’apprenaient à leur manière.
J’y ai vécu des moments inoubliables et des joies indélébiles, mais avec l’âge, mon intérêt pour cet étage s’est altéré. J’ai fait un pas de côté, et puis des centaines d’autres. Il m’a fallu prendre de la distance pour me construire une vie, un avenir. Devenir adulte puisque mes parents refusaient de le faire. J’ai dû trouver un travail qui me permette de m’assumer et, occasionnellement, d’éponger leurs dettes et leurs excès : les événements organisés à la Plateforme finissaient par leur coûter plus cher que ce qu’ils leur rapportaient. Chacun de mes avertissements redoublait leur cadence, mon père jurant que si tout devait s’arrêter bientôt, il préférait profiter à fond.
Mais peu importe, je leur devais bien ce juste retour des choses, maintenant que j’étais adulte : prendre à ma charge quelques-unes de leurs fins de mois, les laisser donner à leur norme la forme qu’ils voulaient. J’avais un travail qui me permettait de les combler de plaisir et de joie, comme ils l’avaient fait avec moi. Je l’ai fait de bon cœur, pour qu’ils continuent leurs excès.

C’est arrivé un mardi. Un matin comme un autre, doté d’un ciel bleu tout à fait délicat. Ils sont morts cette nuit. On me l’a annoncé par ces mots. Une amie de mes parents qui était avec eux en vacances. Je n’ai rien entendu d’autre que cette phrase :
Ils sont morts cette nuit.
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Allons tous nous faire foutre, tous autant que nous sommes, et que vivent les passionnés discrets, les humbles rêveurs, les marginaux véritables, que vivent les aventuriers silencieux, ceux qui en fixant l’horizon ne se demandent pas comment l’atteindre, mais fantasment ce qu’il y a après. Que vivent les ivrognes, les excessifs, les enragés de vivre, ceux qui pratiquent les pas de côté sans jamais les imposer aux autres.
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Je ne céderai pas aux règles imposées par les larmes, non, je ne céderai pas aux conventions, aux traditions, aux reli-gions. Je ne céderai pas à la tristesse, parce que ce serait me résoudre à leur départ, ce serait les éradiquer de la planète Terre, et ça, pardon, mais ça m'est impossible. Alors qu'on me laisse la joie, qu'on me laisse le plaisir, la folie s'il le faut.
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Il n'y a rien de plus puissant que l'absence pour donner de la présence à ceux qui sont partis. p. 109
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La mort, j’ai pu m’en rendre compte les jours suivants, n’embellit rien. Je ne trouvais pas d’exemple de ce qu’elle pouvait sublimer. Elle met simplement un voile noir sur tout et tout le monde, une tristesse collante et poisseuse. La mort tue, voilà tout ce qu’elle fait.
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Video de Frédéric Perrot (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Frédéric Perrot
Retrouvez l'émission ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/frederic-perrot-pour-une-heure-oubliee-52562.html Une rencontre lors d'une soirée d'été. Un verre de trop… et plus rien ! A son réveil, la jeune femme qu'Emile a draguée la veille au soir est allongée, morte, à ses pieds. Mais lui ne se souvient de rien… Un roman noir qui parle aussi, avec une maîtrise étonnante, du temps qui passe et de la résilience. Avec ce premier titre, Pour une heure oubliée, Frédéric Perrot nous entraîne dans un récit haletant entre passé, présent et futur, en quête d'une vérité aux mille facettes.
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