AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Melpomene125


Dénouement tant attendu des aventures historico-policières des enfants Reavley durant la Première Guerre mondiale, À la mémoire des morts dévoile enfin l'identité du mystérieux assassin de leurs parents. Qui est donc cet homme énigmatique que tout le monde appelle le Pacificateur car il prétend oeuvrer au nom de la paix ?

Un de ses collaborateurs allemands décide de le dénoncer car il est persuadé que le Pacificateur « manigancera une paix qui ne sera qu'une parenthèse entre cette guerre et la prochaine ». Il ne le soutient donc plus et veut l'empêcher d'influer sur les conditions de l'armistice. Nous sommes en novembre 1918 et cet homme, Schenckendorff, se rend à Ypres où les combats font encore rage. Il y rejoint Matthew Reavley, officier des services secrets britanniques, ainsi que Joseph et Judith Reavley, l'aumônier et l'ambulancière du régiment. Ils vont le conduire à Londres pour une entrevue avec le Premier ministre Lloyd George auquel il veut dévoiler l'identité du Pacificateur.

Mais de nombreuses péripéties se dressent sur leur route. Une infirmière est violée et assassinée. Matthew et Schenckendorff se retrouvent tour à tour accusés, obligeant Judith et Joseph à enquêter pour les sortir de ce mauvais pas en trouvant le coupable.

Schenkendorff et Richard Mason, un journaliste pacifiste qui a connu le Pacificateur au moment de la sanglante guerre des Boers et est amoureux de Judith, détiennent la clé de l'énigme. Pourquoi vont-ils choisir de dénoncer leur allié alors qu'ils partageaient ses idéaux de départ ?

Ce dénouement est propice à la réflexion sur les possibles dérives de l'idéologie et la perversion des nobles idéaux. Richard Mason désapprouve les moyens employés : le meurtre et la trahison de son propre pays. Par ailleurs, pour lui, le projet du Pacificateur n'était pas un projet de paix mais un plan liberticide et dominateur où le Royaume-Uni et l'Allemagne s'entendaient pour se partager le monde et récupérer les anciennes colonies dont les États-Unis.

Le Pacificateur se montre néanmoins visionnaire quand il veut « empêcher l'Allemagne d'être l'objet de mesures de rétorsion » car « une récession dans ce pays créerait selon lui un gouffre dans l'économie européenne, susceptible d'engloutir la moitié du monde ». La crise de 1929, la Grande Dépression des années trente, l'avènement d'Hitler au pouvoir et la Seconde Guerre mondiale suivront en effet le traité de Versailles du 28 juin 1919 où l'Allemagne est jugée responsable de la guerre, privée de sa puissance militaire, d'une partie de ses territoires et condamnée à payer de lourdes réparations.

Le Pacificateur est un personnage profondément ambigu, qui perçoit le risque potentiel de laisser se développer l'esprit de revanche chez le peuple allemand, qui ne sera pas pour rien dans l'avènement du national-socialisme et d'Hitler au pouvoir, qui refusait de payer cette dette à cause de la crise. Mais le Pacificateur est aussi parfois aveuglé dans son jugement, comme le constate Richard Mason. le Pacificateur voit « dans la révolution russe la naissance d'un nouvel ordre social qui balaierait la tyrannie et instaurerait une justice universelle » alors que sur le terrain, le journaliste n'a vu qu'un « bain de sang et le recours impitoyable aux mêmes armes éculées de l'oppression, du secret, de la duperie. »

Deux visions du monde s'affrontent dans ce dénouement tragique et poignant où le journaliste Richard Mason risque la peine de mort pour trahison en dénonçant son ancien allié et en avouant sa complicité. Les deux ont pour but d'empêcher une nouvelle guerre, les deux échoueront.

Pour le Pacificateur, la liberté n'a que peu d'importance, il est persuadé d'avoir une vision globale de l'humanité et d'avoir toujours raison tandis que les enfants Reavley, Richard Mason et Schenckendorff défendent la liberté sous toutes ses formes, y compris celle de se tromper : « il vaut la peine de mourir pour défendre le droit d'avoir tort, sinon nos valeurs n'auraient plus de sens ». Ils souhaitent ainsi rendre un ultime et émouvant hommage aux morts, « à leur courage, à leur loyauté, à leur camaraderie » et au libre-arbitre.

Le roman s'achève en un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté qui préfigure le traité de Versailles et le discours du président des États-Unis Woodrow Wilson sur le « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes », même si cet idéalisme inspiré de la philosophie des Lumières ne fut que peu appliqué.
Commenter  J’apprécie          422



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}