A Dangerous Mourning
Traduction :
Elisabeth Kern
ISBN : 9782264033079
Second volume de la série "Monk", "
Un Deuil Dangereux" le découvre encore inspecteur pour le compte du Yard mais nous mène droit à sa démission (et à son installation en qualité de détective privé) parce qu'il considère l'exécution du coupable comme une énorme, et surtout volontaire, erreur judiciaire, là encore destinée à préserver une certaine classe sociale au détriment d'une autre.
Les faits sont à la fois simples et compliqués : la toute puissante famille Moidore, qui accueillait chez elle dans ses fabuleuses réceptions jusqu'au Prince de Galles [= futur Edward VII] en personne, trouve un matin l'une des filles de la maison, Octavia, revenue vivre chez ses parents à la mort de son mari, mort en Crimée lors de la fameuse "Charge de la Brigade Légère", étendue sur son lit, morte d'un coup de couteau, dans sa propre chambre. Bien qu'il n'y ait aucune apparence de violences sexuelles, on sent le crime à plein nez car, d'abord, quelles raisons aurait-eu la jeune femme de se suicider ? ensuite, se suicider d'un coup de couteau dans sa chambre ... Et puis, ce jour-là, l'oncle Septimus surtout s'en souvient, elle était rentrée en rage de sa sortie de l'après-midi, en disant grosso modo qu'elle dénoncerait ce qu'elle avait découvert si cela s'avérait exact ...
Enfin, tout cela est très bizarre et Monk, accompagné de son inséparable Evan, le repère tout de suite.
La famille Moidore est représentative du siècle victorien, à peu près autant que les Forsyte de
Galsworthy, avec cette différence néanmoins qu'il ne viendrait jamais l'idée d'assassiner quelqu'un à par exemple Soames Forsyte, l'un des personnages les plus attachants de la série. Patriarcale à fond, elle est dominée par Sir Basil Moidore, alias la City dans toute sa gloire. Sa femme, Beatrice, est douce et soumise, comme le sont en général les femmes de l'époque. Elle appartient à cette espèce qui ne lit jamais les journaux parce que son mari le lui interdit, tout comme, jadis, le lui avait interdit son père. La génération suivante comprend, deux filles : Araminta, la plus proche de son père, la plus Moidore de l'ensemble, tantôt froide et sèche, tantôt (mais rarement) attachante, mariée, pour complaire à son père, à un homme de son niveau, Myles Kellard, lequel la trompe allègrement (dès leur nuit de noces, il l'a prise de force et il a déjà été compromis dans une histoire de viol d'une domestique sur lequel son beau-père a jeté l'étouffant manteau de sa puissance sociale) ; Octavia, la seule à avoir cherché à s'échapper et qui avait épousé de son côté un militaire, le capitaine
Haslett, dont elle était amoureuse folle, militaire qui, signalons-le, a dû son affectation en Crimée à l'influence de son beau-père ; et un fils, Cyprian, assez sympathique au demeurant, marié à une créature sans grande envergure, Romola. Ajoutons à cela l'oncle Septimus, ancien militaire et frère de lady Moidore, à qui son fastueux beau-frère offre un toit pour vivre de sa petite retraite ... et ne manque jamais de le lui rappeler. Et puis la tante Fenella Sandeman, nymphomane vieillie et commère des moins sympathiques, qui, elle, est la soeur du maître de maison.
Côté office, avec tant de "maîtres" à servir, ça grouille mais je vous citerai seulement Percival, valet de pied beaucoup plus séduisant qu'il ne convient à un domestique, cynique, détestable par moments et, à d'autres, très émouvant.
Pour les Moidore, cela va sans dire, l'hypothèse du suicide pourrait peut-être passer (le désespoir de savoir son mari mort même s'il l'est depuis deux ans déjà, un brusque moment de dépression, etc ... ) mais celle du meurtre ... S'il y a eu meurtre, le coupable, évidemment, est un ou une domestique - dans une telle occurrence, on ne regarde pas au sexe. Les domestiques ne sont-ils pas de simples objets, bons à renvoyer du jour au lendemain sans lettre de recommandation et même à pendre si cela peut sauver l'un de leurs "maîtres" ?
La critique sociale est tout bonnement passionnante, l'intrigue menée au triple galop avec, outre le Sergent Evan déjà cité, Oliver Rathbone et, bien sûr, Hester Latterly, que Monk va expédier chez les Moidore pour donner des soins à une lady Beatrice gravement atteinte par la mort de sa fille cadette, en croupe d'un Monk déterminé à obtenir la vérité, celle-ci dût-elle être mal-pensante et scandaleuse.
Quatre-cent-soixante-dix-sept pages qu'il vous sera impossible de laisser tomber tant vous voudrez connaître le mobile - un mobile ignoble qui a conduit à une véritable tragédie. Un mobile qui rampe de loin, qui naît même des Moidore et de l'air du temps : paraître à tout prix, et de la haine d'un homme qui ne supporte pas qu'on se rebelle. Si la fin n'est pas gaie et même écoeurante dans le fond, elle a au moins le mérite de libérer en quelque sorte Monk de son vieil ennemi Runcorn mais laisse présager aussi des aventures un peu plus délicates encore à mener : qu'est-ce qu'un détective privé à Londres, en cette époque, alors que les membres officiels de la Police doivent passer par la porte de service pour entrer chez ceux-là mêmes qui réclament leur aide ?
L'un des meilleurs
Anne Perry. A lire ABSOLUMENT. Ah ! j'oubliais : Monk continue, bien sûr, à enquêter sur son propre passé. Donc, si vous pouviez respecter l'ordre chronologique de la série ... A bientôt pour une nouvelle fiche et, d'ici là, bonne lecture ! ;o)