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Critique de berni_29


Amers ressemble aux flamboyances d'un conte antique. Amers c'est un navire livré aux forces de la nature. Saint-John Perse est plus qu'un poète, c'est un marin, c'est un navigateur, il broie les flots avec ses vers.
Ici ce sont des forces telluriques qui se décuplent pour nous déployer dans un songe.
Il est possible de se laisser étonner, bousculer, désarçonner... D'ailleurs n'est-ce pas le propos de la poésie ?
Amers, c'est la mer bien sûr. Aux premières vagues qui nous assaillent, c'est une ode à l'élément marin. Mais dans l'impatience des mots se détache brusquement autre chose. Derrière le navire bousculé par les océans, c'est l'aventure humaine qui se révèle au premier plan du paysage. C'est l'amour et ses voyages éperdus.
« Amants, Ô tard venus parmi les marbres et les bronzes, dans l'allongement des premiers feux du soir,
Amants qui vous taisiez au sein des foules étrangères,
Vous témoignerez aussi ce soir en l'honneur de la Mer. »
C'est grand, c'est puissant, c'est démesuré, mais il faut se saisir alors de cette vague qui emporte tout et s'y arrimer solidement au risque de rester au bord du rivage.
Amers, c'est un chant, c'est une incantation, ce sont des choeurs qui jaillissent dans la lumière boréale. Cette poésie peut nous éblouir, elle peut nous aveugler, elle peut nous brûler. Comme l'amour et ses rivages. La poésie de Saint-John Perse, c'est le cri d'une poulie.
Il faut entrer lentement dans ce texte abrupte aux premières approches, mais qui s'offre et s'ouvre peu à peu comme une offrande, comme une promesse, comme un tangage érotique.
D'ailleurs l'amour, la mer, la mort sont des mots si proches...
« Tu es là, mon amour, et je n'ai lieu qu'en toi. J'élèverai vers toi la source de mon être, et t'ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d'homme ; et la grandeur en moi d'aimer t'enseignera peut-être la grâce d'être aimé. »
Ceux qui la contemplent savent que la mer recèle dans sa houle et ses reflets d'étranges inspirations féériques.
« Toi, l'homme avide me dévêts : maître plus calme qu'à son bord le maître du navire. Et tant de toile se défait, il n'est plus femme d'agréée. S'ouvre l'Été, qui vit de mer. Et mon coeur t'ouvre femme plus fraîche que l'eau verte : semence et sève de douceur, l'acide avec le lait mêlé, le sel avec le sang très vif, et l'or et l'iode, et la saveur aussi du cuivre et son principe d'amertume - toute la mer en moi portée comme dans l'urne maternelle... »
En lisant Amers il m'est venu dans la bouche ce goût de sel sur les paupières, ce goût de désir qui gonfle sous la peau, ce goût charnel qui appelle dans les yeux le reflet et la houle de l'autre.
Amers, c'est une voix étrange que nous devons apprivoiser car elle ne nous est pas spontanément familière. Elle entre peu à peu dans les interstices de notre corps. Elle nous étreint, elle nous chavire. Elle entre en nous comme une vrille... Elle ne nous quitte plus, longtemps après avoir quitté le paysage de ce texte.
« Et comme nous courions à la promesse de nos songes, sur un très haut versant de terre rouge chargé d'offrandes et d'aumaille, et comme nous foulions la terre rouge du sacrifice, parée de pampres et d'épices, tel un front de bélier sous les crépines d'or et sous les ganses, nous avons vu monter au loin cette autre face de nos songes : la chose sainte à son étiage, la Mer, étrange, là, et qui veillait sa veille d'Étrangère - inconciliable, et singulière, et à jamais inappariée - la Mer errante prise au piège de son aberration. »
Et nous, nous sommes pris au piège de cette beauté dans la nasse des mots.
Un texte à lire à haute voix devant votre océan préféré.
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