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Critique de nilebeh


Muette n'a plus ni nom ni prénom, elle ne sera que « Muette » pendant un peu plus de 200 pages. Muette, elle ne l'est pas vraiment. Sauf si l'on considère que le fait de n'être jamais entendue, encore moins écoutée, finit par faire de vous une Muette ? Elle n'a que seize ans et devrait passer son bac français. Au lieu de quoi elle est partie de chez elle, préparant soigneusement sa fugue (duvet, camping-gaz, provisions et dix euros pour tout viatique). Fera-t-elle du camping ? Non, pas vraiment, elle a repéré une grange à une heure de chez elle et s'y installe, dans la fraîcheur du printemps sur les bords de Loire, le froid de la nuit, l'humidité du sous-bois. Mais qu'importe ? Muette se repaît de sa solitude,, supporte tout et se crée un monde magique où les animaux sont ses amis, jusqu'aux redoutables fourmis qui la dévorent. Elle sent la présence humide et douce d'un jeune chevreuil, écoute les oiseaux, nous parle d'un « harpail » ( = harde de bêtes sauvages) de chevreuils et de biches, des « chaintres »( = partie creuse laissée au bord des champs pour servir d'égouts) au bord des champs où elle se cache des hommes. Car sa plus grande crainte semble provenir des hommes, non tant qu'elle redoute de les voir la saisir et la ramener à ses parents. On sent qu'il s'est passé « quelque chose », à peine évoqué dans des paroles entendues (on peut parler de ces choses-là, même si cela fait mal, attention à ne pas dire n'importe quoi, tu pourrais faire beaucoup de mal).

Car le fil des pensées et observations de Muette est entrecoupé de phrases entendues, encore et encore à la maison, de ces phrases qui pourraient faire l'objet d'une plainte pour maltraitance morale et défaut de soins : Si tu n'étais pas là, on avait vraiment besoin de toi, mais tu vas nous tuer, mais tu es folle, mais pourquoi est-ce qu'on t'a eue etc...D'ailleurs, Muette a bien failli naître sur la pierre tombale de sa grand-mère maternelle, le jour des obsèques de celle-ci. Tu te rends compte, par ta faute je n'ai pas pu rendre hommage à ma pauvre mère ! dira la sienne. Et la voilà coupable de naissance intempestive ! Et puis on entend les cancans du village (telle mère, telle fille, sa mère était une pute, forcément, enceinte même pas majeure! Et d'un « vieux » de trente ans !).

Mais comment trouver sa place dans un tel contexte ? Alors Muette fait ce que beaucoup feraient à sa place : elle se tait, elle s'enferme dans sa chambre puis elle s'enfuit.
Pourtant la crainte de ressembler à sa mère l'habite : « ...terrifiée, elle sent sa mère pousser et croître en elle, c'est comme si elle rendait tardivement la monnaie de la pièce, comme si elle finissait par accoucher à rebours. »
Avec le secret espoir que « là-bas », on la cherche, on pleure, on s'inquiète pour elle (et si elle se faisait maltraiter, enlever ? Violer, non, on ne parle pas de « ces choses ». Car chez ces gens-là, monsieur, on lave son linge sale en famille. Alors, pas de gendarmes, pas de plainte, pas de signalement.
Et notre jeune fille devient un Robin des bois en jupons (enfin non, en jean, comme toutes les filles de son âge), souffre de la saleté et du froid, mais s'invente un monde où elle devient animal, chevreuil, lapin : « Être animal, c'est rendre la vue à un aveugle, Muette prend conscience de l'extraordinaire parfum du monde. »
Comment peut finir une telle équipée ? Après bien des moments savourés dans la forêt la fin sera bien décevante, à l'image du monde de Muette ! Elle qui entrevoyait des retrouvailles larmoyantes et médiatiques, en sera pour ses frais !

Un joli livre où s'expriment la sensibilité, le caractère bien marqué de la jeune fille et son extraordinaire sensibilité au monde vivant, en une langue alerte et précise, très agréable à lire. Les notations animalières et botaniques (dans la digitale pourprée, ce sont les feuilles qui tuent, pas les fleurs!) sont bienvenues.
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