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Françoise Laye (Traducteur)Antonio Tabucchi (Auteur de la postface, du colophon, etc.)Richard Zenith (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782267015362
107 pages
Christian Bourgois Editeur (26/02/2000)
4.12/5   16 notes
Résumé :
On ne peut pas publier le Baron de Teive sans évoquer aussitôt Bernardo Soares : ces deux "hétéronymes" ont été tour à tour les "auteurs", prévus par Pessoa, du Livre de l'intranquillité, et le parallèle s'impose de lui-même. Ou plus exactement l'opposition, comme dans un miroir. Si Le Livre de l'intranquillité est le livre du désespoir, L’Éducation du stoïcien est le livre du suicide - non seulement d'un homme, mais d'un créateur se heurtant à ses propres limites. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Tous les manuscrits des grands hommes semblent être des écrits reclus au fond des tiroirs d'obscures chambres d'hôtel. Passés ici à moisir des décennies, ce sont toujours leurs confrères, écrivains eux aussi –quelle heureuse coïncidence- qui les retrouvent, les lisent, les aiment et prennent la pose du publicateur. Ainsi, le Baron de Teives, « écrivain » de L'éducation du stoïcien me rappelle certains traits du Gog de Giovanni Papini, ce dernier relevant de la démesure là où le baron découvert par Fernando Pessoa reste encore crédible. Toutefois, on l'aura bien compris, cette supposée découverte des manuscrits fait elles aussi partie du mythe de ces personnages extrêmes. On comprend qu'une telle ruse soit nécessaire : pour que ceux-ci restent crédibles jusqu'au bout de leur misanthropie et/ou de leur désespoir face à l'existence, il faut que jamais ils n'aient sciemment décidé de mêler leurs écrits à la foule bruissante qu'ils méprisent, mais bien plutôt que quelqu'un les ait découverts fortuitement.


L'éducation du stoïcien est souvent rapproché du Livre de l'intranquillité en ce que leurs deux auteurs supposés –le Baron de Teives d'une part, Bernardo Soares d'autre part- apparaissent comme les deux versants contradictoires qui forment une somme de la personnalité ambivalente de leur créateur –Fernando Pessoa. Faut-il avoir lu les deux textes pour apprécier l'un ou l'autre ? Peut-être en émergera-t-il une meilleure compréhension mais ce n'est absolument pas nécessaire, et l'éducation du stoïcien se suffit amplement à elle-même.


Le personnage du Baron de Teives semble incarner un des possibles que Fernando Pessoa lui-même aurait pu devenir s'il s'était laissé aller à exacerber certaines des composantes de sa personnalité. On dit que Bernardo Soares du Livre de l'intranquillité a la prose calme, fluide et imagée du bourgeois cultivé, tandis que le Baron de Teives s'exprime d'une manière sèche et rigoureuse. Même si je n'ai pas pu faire la comparaison, ce stoïcien ne m'apparaît pas si rude qu'on ne le dit. Si ces jugements peuvent parfois sembler catégoriques, c'est parce qu'ils sont concis, dénudés de tous les apprêts du langage, et ce dépouillement est morbide dans la liaison étroite qu'il entretient avec son évocation du suicide. Il semble alors évoquer l'abandon progressif des liens qui relient l'homme à son existence. L'écriture attribuée au Baron de Teives n'est donc pas impitoyable en elle-même mais en ce qu'elle évoque la réalité non bariolée du suicide qui l'attend –impitoyable dans son réalisme.


Ici, le Baron de Teives, tout stoïque qu'il se revendique, ne pourrait certainement s'empêcher d'être flatté : le réalisme, voilà ce qu'il recherche ! et dans les quelques pages qu'il écrit, en préparation mentale à l'acte du suicide qui l'attend, il explique quelles sont les raisons qui l'ont conduit à cette extrémité de derniers recours. C'est ici que le réalisme est glorifié au détriment d'un romantisme qui pousse l'homme à s'accabler et à se complaire dans les malheurs qui gravitent autour de sa pauvre petite personne. le stoïcien, lui, refuse toute focalisation égocentrique sur lui-même, jusqu'au déni de sa souffrance psychologique, jusqu'au mépris de son existence passée. Oui, le Baron de Teives est dur avec lui-même, mais c'est pour l'être moins avec le monde qui l'entoure.


« Je mets fin à une existence qui m'avait semblé pouvoir connaître toutes les grandeurs, mais qui n'a connu que mon incapacité à les vouloir. »


Le futur suicidé apparaît sous une forme inédite… alors que la plupart du temps, le suicide s'accompagne d'une accusation et d'une condamnation de la vie, du système ou de l'humanité, le Baron de Teives reconnaît que ceux-ci n'ont rien qui ne puisse se soumettre au jugement moral –ni de bon ni de mauvais en soi- et que seule son inadaptation au monde tel qu'il est ne lui permet pas de tirer le meilleur parti de cette existence qui lui est proposée. Ceci ayant été radicalement affirmé, et puisque rien ne semble pouvoir dévier la trajectoire sur laquelle s'est lancée le baron, il ne lui reste plus qu'une solution : mettre fin à cette tragédie personnelle, dont il prit garde de ne jamais faire une tragédie générale. La philosophie du Baron de Teives est merveilleuse car, même si elle conduit son créateur à mettre fin à ses jours, elle admet la possibilité d'existences épanouies et heureuses. Elle souligne l'extrême relativité de toute vision du monde et l'illustre à travers un exemple à l'humour ravageur : les plus grands philosophes pessimistes ne l'ont été qu'à force de n'avoir jamais atteint la satisfaction sexuelle.


« Les trois grands poètes pessimistes du siècle dernier –Leopardi, Vigny et Antero- me sont devenus insupportables. La base sexuelle de tout ce pessimisme m'a laissé, dès que je l'ai entrevue dans leur ouvre, et l'ai vue confirmée à la lecture de leur vie, une sorte de nausée de l'intelligence. Je reconnais quelle tragédie ce peut être pour n'importe quel homme […] le fait d'être privé, qu'elle qu'en soit la raison, de relations sexuelles, comme ce fut le cas pour Leopardi et Antero, ou de relations aussi nombreuses ou aussi insatisfaisantes qu'il l'aurait voulu, dans le cas de Vigny. Ces choses-là, cependant, sont du ressort de la vie privée, et ne peuvent donc, ni ne doivent, être exposées à la publicité dans les vers qu'on publie ; elles appartiennent à la vie personnelle de chacun et ne doivent pas, en conséquence, se voir transposées à la généralité de l'oeuvre littéraire, car ni la privation de relations sexuelles, ni l'insatisfaction qu'on retire de celles qu'on a, ne représentent quelque chose de typique ou de largement répandu dans l'expérience de l'humanité. »


Alors certes, si le Baron de Teives n'est qu'un représentant incomplet de la personnalité de Fernando Pessoa, il est toutefois une incarnation réussie de l'idéal stoïcien. Puisqu'il est prêt à endurer toute chose sans broncher, il accepte la conclusion de sa philosophie libératrice : à chaque homme l'existence qu'il mérite. Puisqu'il est incapable de goûter à ce que d'autres appellent la « beauté du monde », puisque son cerveau dégénéré ne capte que la misère et la tristesse de toutes choses, alors il est inapte à la vie, alors il mérite de mourir. Ceci dit, ceci expliqué, le Baron de Teives pose sa plume et disparaît. Il laisse son lecteur seul face à lui-même ; seul mais non désoeuvré, car à celui-ci revient maintenant la tâche de se confronter à la même interrogation que celle qui poussa le baron à quitter Terre : apte à la survie, oui ou non ?

Lien : http://colimasson.over-blog...
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http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2007/07/tout-ou-rien-donc-rien-baron-de-teive.html

Extrait :

Le baron de Teive est l'un des nombreux hétéronymes de Fernando Pessoa, pas l'un des plus connus, peut-être parce qu'il n'est l'auteur que d'un seul texte : L'éducation du stoïcien.
Ce texte est un « manuscrit trouvé dans le tiroir d'une chambre d'hôtel » où le baron s'est sans doute suicidé le 11 juillet 1920. Il s'agit d'une sorte de testament qui raconte le cheminement qui conduisit le baron au suicide. En voici les premières lignes :

« Nous avons vu s'abattre sur nous la plus profonde, la plus mortelle des sécheresses – celle qui naît de la connaissance intime de la vacuité de tous nos efforts, et de la vanité de tous nos desseins. Je suis parvenu à la satiété du néant, à la plénitude du rien absolu. Ce qui me poussera au suicide, ce sera une impulsion comme celle qui nous pousse à nous lever tôt. J'éprouve un sommeil intime de toutes mes intentions. »

Le Baron de Teive, par son questionnement et ses angoisses, est proche de Bernardo Soarès et d'Alvaro de Campos, mais, alors que ceux-ci sont capables de se moquer d'eux-mêmes, de faire preuve de détachement et d'ironie, le baron prend tout au sérieux et c'est ce qui va progressivement le mener au suicide. Il faut effectivement bien comprendre que le suicide du baron n'est pas le fruit d'une décision brutale dû à une soudaine crise d'angoisse, mais il n'est que l'aboutissement d'un long processus, le couronnement logique, nécessaire d'un échec. Héritier de quatorze générations de barons, Teive souffre d'une inaptitude à vivre. Cette inaptitude aurait pour raison principale le haut degré d'exigence, dû à sa race, qu'a le baron envers lui-même. Lucide, le baron reconnaît que son pire ennemi, celui qui a fini par le vaincre est le concept de perfection.
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
Il n’est pas de plus grande tragédie que l’égale intensité, dans la même âme ou le même homme, du sentiment intellectuel et du sentiment moral. Pour être indiscutablement et « absolument » moral, on doit être quelque peu stupide. Pour être absolument intellectuel, on doit être quelque peu immoral. Je ne sais quel jeu ou quelle ironie des choses condamne chez l’homme cette dualité portée à un degré élevé. Pour mon plus grand malheur, elle se réalise en moi. Je n’ai donc, possédant deux vertus, jamais rien pu faire de moi. Ce n’est pas l’excès d’une qualité, mais bien de deux, qui m’a tué à la vie.
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Les trois grands poètes pessimistes du siècle dernier –Leopardi, Vigny et Antero- me sont devenus insupportables. La base sexuelle de tout ce pessimisme m’a laissé, dès que je l’ai entrevue dans leur œuvre, et l’ai vue confirmée à la lecture de leur vie, une sorte de nausée de l’intelligence. Je reconnais quelle tragédie ce peut être pour n’importe quel homme […] le fait d’être privé, qu’elle qu’en soit la raison, de relations sexuelles, comme ce fut le cas pour Leopardi et Antero, ou de relations aussi nombreuses ou aussi insatisfaisantes qu’il l’aurait voulu, dans le cas de Vigny. Ces choses-là, cependant, sont du ressort de la vie privée, et ne peuvent donc, ni ne doivent, être exposées à la publicité dans les vers qu’on publie ; elles appartiennent à la vie personnelle de chacun et ne doivent pas, en conséquence, se voir transposées à la généralité de l’œuvre littéraire, car ni la privation de relations sexuelles, ni l’insatisfaction qu’on retire de celles qu’on a, ne représentent quelque chose de typique ou de largement répandu dans l’expérience de l’humanité.
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L’abstrait m’a toujours paru plus impressionnant que le concret. Je me rappelle qu’étant enfant, je ne craignais personne, pas même les bêtes ; mais j’avais peur, et comment ! des pièces obscures… Je me souviens que cette apparente singularité déroutait la psychologie simpliste dont j’étais entouré.
De même, et contrairement aux gens ordinaires, j’ai toujours craint davantage la mort que de mourir. Je méprisais d’ailleurs, et je méprise toujours, la douleur. J’ai toujours attaché plus de valeur à ma conscience qu’aux sensations agréables de ma peau.
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Le fait que je souffre peut sembler, effectivement, incompatible avec l’existence d’un Créateur intégralement bon, sans prouver pour autant l’inexistence d’un tel Créateur, ni d’ailleurs l’existence d’un Créateur mauvais, ni même l’existence d’un Créateur impartial. Il prouve simplement l’existence du mal dans le monde –ce qui ne représente guère une découverte et ce que personne encore n’a eu l’idée de nier.
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Je ne me plains pas de ceux qui m’entourent ou m’ont entouré. Personne ne m’a jamais fait le moindre mal, en aucun sens ni d’aucune façon. On m’a toujours traité avec affabilité, mais à distance. J’ai compris bien vite que cette distance était en moi-même, et qu’elle venait de moi. C’est pourquoi je puis dire, sans me flatter, que j’ai toujours été respecté. Mais aimé ou chéri, jamais. Je reconnais aujourd’hui que je ne pouvais pas l’être. J’avais de grandes qualités, j’avais des émotions intenses, […] mais je n’ai pas eu ce qui s’appelle l’amour.
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Vidéo de Fernando Pessoa
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
Dans la catégorie : Littérature portugaiseVoir plus
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