En cet âge métallique de barbares, il nous faut rendre un culte méthodiquement exagéré à notre capacité à rêver, à analyser et à captiver, si nous voulons sauvegarder notre personnalité et éviter qu'elle ne dégénère, soit en s'annulant, soit en s'identifiant à celle des autres.
Texte n° 369.
La vie se ramène pour nous à ce que nous sommes capables d’en concevoir. Aux yeux du paysan, pour lequel son champ est tout au monde, ce champ est un empire. Aux yeux de César, pour qui son empire est encore peu de chose, cet empire n’est qu’un champ. Le pauvre possède un empire ; le puissant possède un champ. En fait, nous ne possédons jamais que nos impressions ; c’est donc sur elles, et non sur ce qu’elles perçoivent, que nous devons fonder la réalité de notre existence.
Chaque fois que mes desseins se sont élevés, sous l’influence de mes rêves, au-dessus du niveau de ma vie quotidienne, et que, pour un instant, je me suis senti pourvu d’ailes, comme l’enfant en haut de sa balançoire — chaque fois j’ai dû, tout comme lui, redescendre au niveau du jardin public et reconnaître ma défaite, sans drapeau hissé pour la bataille, sans nulle épée que j’aurais eu la force de dégainer.
Les sentiments qui nous font le plus souffrir, les émotions qui nous étreignent le plus douloureusement, sont aussi les plus absurdes : l’envie de choses impossibles, justement parce qu’elles sont impossibles, la nostalgie de ce qui n’a jamais été, le désir de ce qui aurait pu être, le regret de ne pas être différent, l’insatisfaction de voir le monde exister.
O nuit, où les étoiles mentent de leur lumière, ô nuit, seule chose à la taille de l’Univers, change-moi, corps et âme, en une partie de ton propre corps afin que je me perde, devenu pure ténèbre, et devienne nuit à mon tour, sans rêves telles des étoiles au fond de moi, sans astre dont l’attente resplendirait depuis l’avenir.
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.