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Michel Chandeigne (Traducteur)Patrick Quillier (Traducteur)Robert Bréchon (Éditeur scientifique)Eduardo Prado Coelho (Éditeur scientifique)
EAN : 9782267005424
265 pages
Christian Bourgois Editeur (30/11/-1)
4.47/5   15 notes
Résumé :

Pessoa n'a jamais cessé de travailler à ce Faust. D'abord réellement dramatique, sur le modèle de Goethe, l'œuvre en cours d'élaboration s'est peu à peu transformée pour devenir un soliloque lyrique et métaphysique, un drame sans autre personnage que le protagoniste, sans autre théâtre que sa conscience. Ce n'est qu'en 1988 qu'a été publiée la totalité des fragments de cette œuvre posthume, assemblés dans un ordre plausible, suivant les indications de l'... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Oeuvre de toute une vie, Livro do Desassossego (Le Livre de l'Intranquillité) de Fernando Pessoa apparaît comme un livre unique, indépassable. Pourtant, l'écrivain aux multiples hétéronymes qui aura laissé à sa mort une malle de près de 27000 manuscrits prêts à être publiés, a été aussi l'auteur d'une oeuvre poétique majeure.

Comme une constante dans son écriture, Pessoa livre une inquiétude et un désarroi profonds d'un être (s'agit-il bien de lui ?) confronté à sa propre conscience. Déjà très perceptible dans le recueil des "Poèmes païens" que j'ai lus précédemment, cette saudade, cette mélancolie est aussi très présente dans "Cancioneiro" (poèmes publiés sous la véritable identité et du vivant du poète entre 1911 et 1935).

L'écriture se trouve au creux de nombreuses tensions que porte en lui l'écrivain. Dans son style si particulier, Pessoa semble pousser à l'extrême ce rapport intime à l'évanescence, à la dissolution de l'être.
Dans sa poésie, tout est comme livré au trouble de l'émotion. Pour lui, la sensation est l'origine de tout notre rapport au monde, de toute création. La poésie est une incessante tentative de faire passer cette sensation primordiale, de faire du poème un objet de transmission, d'en faire un objet charnel, corporel, presque spirituel.

" Je ne suis rien
Jamais je ne serai rien.
Je ne puis vouloir être rien.
Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde. "*

Ces quelques vers révèlent toute cette conscience de l'être livrée à elle-même, à son ambivalence. Une conscience qui malgré cela, reste ouverte à tous les possibles, à l'étendue du rêve, à cet au-delà de la conscience qui n'est que sensation pure.
La mélancolie, la saudade, reviennent sans cesse dans les textes de Pessoa, comme un état qu'il veut dire et réaffirmer, comme un rêve troublant dont il ne veut pas perdre le souvenir. Une pensée qui sans cesse se cherche et se perd dans l'éphémère.

" À la fin de la pluie et du vent
Au ciel revenu est revenue
La lune, avec sa douleur cendrée
Qui de nouveau, blanche, s'est bleuie.

À travers l'immensité stellaire
De l'éther profond et replié,
Mes pensées jaillissent et s'en vont
Recherchant à ressentir le monde.

Mais comme une vague elles se perdent
Dans l'universelle marée
Et la pensée ne parvient pas
À sonder ce que penser vaut.

Qu'importe ? Tant de gens ont pensé
Tout comme je pense et penserai. "

Cette sombre douceur se fait insistante et touche au coeur. Nous le sentons en lisant la poésie de Pessoa, quelque chose qui nous a été donné est parti et ne reviendra plus. Un sentiment étrange s'insinue en nous, se déploie. Il s'agit peut-être d'une rencontre avec une partie de nous-mêmes.


(*) extrait de « Bureau de tabac » in Oeuvres poétiques d'Alvaro de Campos. Éditions Christian Bourgois, 1988.
(**) poème sans titre, écrit entre 1928 et juillet 1930.
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N°288– Décembre 2007
CANCIONEIRO[Poèmes 1911- 1935] – Fernando Pessoa – Christian BOURGOIS Éditeur.
Il n'est pas aisé de parler de Fernando Pessoa. Il est un paradoxe à lui tout seul. Modeste employé de commerce, citoyen qui n'a jamais cherché les honneurs ni la réussite, écrivain qui n'a jamais vraiment connu la consécration littéraire de son vivant, poète sans succès mais surtout pas sans talent, il reste l'écrivain le plus célèbre de la littérature portugaise. Pour cela, il est une énigme pour le lecteur et sans doute encore plus pour l'exégète, à cause notamment de l'existence des « hétéronymes », manifestation protéiforme dans son écriture et des nombreuses facettes de lui-même. Sa silhouette nous est connue, mais elle est fuyante, son ombre, au contraire, s'étend et n'en finit pas de questionner, mais ce ne sont pas ses poèmes qui apporteront une réponse. Ils suscitent, au contraire, bien des interrogations! Tout jeune, il a reçu l'empreinte de la culture anglaise victorienne, mais c'est en portugais, « sa langue », qu'il choisit de s'exprimer. Son style post-romantique et symboliste va du naïf au mystique en passant par l'érotisme, mais reste baigné par cette « saudade » qui caractérise tant l'âme portugaise. C'est un homme qui a sacrifié sa courte vie à une oeuvre immense mais quasiment inédite de sa propre volonté.
C'est sous ce titre original et pratiquement intraduisible en français, mais qui évoque la musique, que Pessoa souhaitait publier sa poésie lyrique. Il n'en a pas eu le temps. Il s'agit ici d'une oeuvre « orthonyme », c'est à dire sous la seule signature de Pessoa et non sous le masque de ses nombreux hétéronymes, ainsi, qu'on y prenne bien garde, Pessoa est tellement complexe que lorsqu'il a décidé, comme ici, d'être son propre personnage, il tisse à nouveau, et à l'insu de son lecteur, un masque supplémentaire. En effet, ce qu'on peut interpréter comme une tentative de connaissance de lui-même, n'est peut-être pas autre chose qu'une couche supplémentaire de mystère que l'auteur rajoute. Cet ouvrage est organisé en trois temps «  Loin de moi en moi  », « Entre le sommeil et le songe » et « Sur le chemin de ma dissonance » qui sont des titre empruntés à Pessoa lui-même. Cette somme de poèmes, malgré l'impression première, possède une grande unité, celle de la recherche de soi-même et de la conscience de soi, à la fois plénitude et vacuité. Comment, en effet, concevoir que Pessoa puisse se définir lui-même en dehors des hétéronymes qu'il a si génialement créés et à qui il a insufflé la vie. On a beaucoup glosé sur « le cas Pessoa » qui a brouillé les pistes, ou, à tout le moins, défini ses propres aspirations littéraires et philosophiques à travers eux. Dédoublement de la personnalité, recherche véritable du moi ou simple exercice de style visant à une création littéraire certes originale mais avant tout intellectuelle ? Chaque hétéronymes a-t-il sa propre personnalité, sa propre vision du monde, sa propre sensibilité ou sont-elles autant de facettes de Pessoa. Pire, dans cette pléiade de poètes, seul Pessoa a existé réellement , a habité cette terre portugaise et y est mort, mais a-t-il été le géniteur de ces hétéronymes, ne les a-t-il crée que pour mieux leur insufflé une vie qu'il n'a pas connue et dont il a rêvé? Cela révèle-t-il de profondes contradictions, des apparences fuyantes ou une réalité insondable. En effet, son oeuvre est un constant affrontement entre deux réalités que les langues ibériques rendent parfaitement par la dualité de forme du verbe être, l'une transitoire[estar] et l'autre définitive [ser]. de plus Pessoa fait usage de l'oxymore qui est la forme de rhétorique des contraires.
Il aggrave même son cas en analysant en quelque sorte sa créativité et en la caractérisant avec des mots. Pour lui, le poète est un « fingidor », celui qui feint, parce que la « saudade », cette nostalgie qui chez Pessoa prend sa source dans l'enfance perdue, trouve dans les mots du poète adulte, une tentative d'antidote.
De tout cela naît pour le lecteur un véritable vertige qui peut s'expliquer dans la connaissance que Pessoa avait de l'astrologie, dans la certitude de sa médiumnité, à la fois celle du poète mais aussi celle des relations bien réelles qu'il a eues avec le mage anglais Aleister Crowley. Tout se tient et se manifeste en mots puisqu'on ne peut scinder le Pessoa poète du Pessoa passionné de sciences occultes, de société secrètes et d'hermétisme. Elles nourrissent son imaginaire et son écriture n'en est que le reflet.
La notoriété de Pessoa est telle aujourd'hui que nombre d'exégètes notoires en font chacun une lecture différente, ce qui influence forcément le simple lecteur et qui bouleverse encore plus les pistes sinon de la compréhension, à tout le moins de l'appréhension de Pessoa. Et après tout qu'importe! Chacun d'entre nous lit Pessoa avec sa propre sensibilité et ce que nous en retirons nous regarde et nous comble. C'est là le signe d'un véritable écrivain.

© Hervé GAUTIER - Décembre 2007.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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Nombre de poèmes de ce recueil tourne autour de la question de l'identité humaine. Qui suis-je ?
"Mon âme est à ma recherche / Mais je suis en cavale,
Puisse-t-elle ne jamais / Me rencontrer !
Être un, c'est une prison. / Être moi, c'est ne pas être.
Je vivrai dans la fuite / Mais vivant pour de bon."

Fernando Pessoa se vit comme un être multiple, dont les personnalités successives l'égarent, au point de ne plus savoir qui il est.
"J'aurais aimé, réellement,
Sentir avec une âme unique,
Ne pas être à moi seul tant de gens.
Pour eux tous, je ressens de la pitié.

Ne pas avoir de foyer, soit ! Ne pas avoir
De repos ni d'attaches, c'est bon !
Mais moi, parce que je possède tant d'âmes,
Je ne parviens même pas à posséder la mienne."

Une conscience de soi excessive donne le sentiment d'une irréalité de soi-même et du monde.
Adulte, Pessoa a la nostalgie de son enfance et d'un lien direct avec la nature.
Plus grave, il se sent privé de son essence, ce qui le rend malheureux.
"Pourquoi faut-il, pour être heureux / Ne pas le savoir ?"
Les échecs de sa vie le talonnent, déchirent son âme : "Vivre, c'est ne pas réussir."
"Me voici dans le balancement / Où je berce ma vie-douleur."

Toujours, se pose la question : comment vivre ?
Comment continuer à vivre, malgré la lucidité, qui corrode à l'acide le coeur et l'âme ?
"Je ne suis rien, ne peux rien, ne poursuit rien.
J'emporte, pure illusion, mon être avec moi.
Comprendre m'est incompréhensible et je ne sais
Si je serai, n'étant rien, ce que je vais être."

L'insomnie fait de sa vie une hébétude :
"Toujours je me réveille avant le point du jour,
Et j'écris lourd de ce sommeil que j'ai perdu (...)
Quel mal à ne pas dormir ? Nous perdons
Ce que la mort nous donne en avant-goût."

"Y a-t-il une âme, un corps où j'existe ?
Vais-je dormir ou m'éveiller ?
Où suis-je donc si je n'ai pas d'être ?"
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
DANS LA NUIT

le repos de la nuit descend
Sur mes yeux fatigués,
Et comme une fleur qui se fane
Au Fond de mon âme j'oublie
Le souci de mon sort comme du sort d'autrui.

Tombe vague la fraicheur sombre
Du silence sans fin,
Alors le doute du futur
Comme un mendiant obscur
Dort sans être observé le sommeil d'un autre en moi-même.

A quoi nous sert la lutte -
Je me demande - et la douleur ?
Avoir si souvent l'âme fine
Pour ce qu'elle sait, qu'elle scrute,
Et ne trouver jamais dans l'être un temps d'aimer ?

Que dans mon être vienne
Le calme de la nuit sans lune.
Que je me sente voyant l'âme,
Calme sur une barque obscure,
Glisser dans l'incertain, glisser vers le lointain.

Que m'ôte tout désir
Le moment où je suis ;
Que le savoir oublie ce que c'est qu'un baiser,
L'ébauche même d'un désir,
Ce qu'en cette heure en moi je veux rêver que c'est bien moi.

Que l'art et le travail me semblent
Choses sans assise dans l'être.
Que je goûte la joie
Indéfinie de me sentir
Très loin à l'écart de la vie, ne faisant rien que voir.

Que j'oublie ce qui est sanglot...
Les larmes, que sont-elles?
Que je sente le frais manteau
De ce nocturne enchantement
Comme un vague océan autour du cœur glacé.

Et quand la mort viendra,
Qu'elle ne soit que ça...
Sans savoir ce qui est le sort,
Ou bien ce qu'est avoir un nord,
Et la conscience de la fin aussi douce qu'un rêve.


(extrait de "Poèmes posthumes datés", 1908-1910).
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Si vous m’aimiez un peu ?... Par rêve,
Non par amour...
Un rien... L’amour que l’on achève
Est lourd.

Faites de moi un qui vous aime,
Pas qui je suis...
Quand le rêve est beau, le jour même
Sourit.

Que je sois triste ou laid — c’est l’ombre...
Pour que le jour
Vous soit frais, je vous fais ce sombre
Séjour.
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Vous êtes belle : on vous adore.
Vous êtes jeune : on vous sourit.
Si un amour pourrait éclore
Dans ce cœur où rien ne luit.

Ce sourire de ma tristesse
Se tournerait, reflet lointain,
Vers l’or cendré de votre tresse,
Vers le blanc mat de votre main.

Mais je n’en fais que ce sourire
Qui sommeille au fond de mes yeux —
Lac froid qui, en vous voyant rire,
S’oublie en un reflet joyeux.
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J’eus un rêve. L’aube
N’a pu soulever
Du frais de sa robe
Mon sommeil léger.

En vain toute l’ombre
Jettait sa noirceur.
Mon cœur est plus sombre.
C’était dans mon cœur.

Il est mort. J’existe
Par ce qui m’en vint.
Quoi ? J’en suis plus triste...
Ah, ce rêve éteint

Faisait l’heure brève
Et mon cœur moins las...
Quel était ce rêve ?
Je ne le sais pas.
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J'aurais aimé ne pas être à moi seul tant de gens.
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Vidéo de Fernando Pessoa
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Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
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