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Critique de Pasoa


C'est toujours avec un sentiment très particulier que je reviens vers l'écriture de Fernando Pessoa, vers ce recueil des Poèmes païens d'Alberto Caeiro et de Ricardo Reis.

Des soixante-dix hétéronymes qu'il a imaginés, Fernando Pessoa reconnaît Alberto Caeiro comme le maître, pour celui qui a été le déclencheur de tout son processus d'écriture poétique. Ce moment de révélation a une date, celle de la nuit du 8 mars 1914, nuit durant laquelle il aurait écrit les 49 poèmes d'O Guardador de Rebanhos (Le Gardeur de troupeaux).

Comme dans Le Berger amoureux et les autres poèmes du recueil, Alberto Caeiro fait la place belle à l'expérience des choses vécues, au rapport immédiat que nous avons avec elles. Dans ses vers, tout tend à la simplicité, au dépouillement. Une poésie lumineuse où les sens donnent bien plus à voir, à comprendre, que la pensée même. La sensation immédiate des saveurs de l'été, les couleurs, les senteurs, le vent qui passe sur le paysage, le bruit de la rivière et des arbres,… Dans ses poèmes, Alberto Caeiro exprime aussi la difficulté que nous avons de voir le visible, d'entretenir un rapport direct à la nature toute proche. Sa poésie apparaît comme une invitation à accepter notre modestie, notre petitesse paradoxale. Nous passons et disparaissons sans trop de bruit dans la permanence du monde. Pour absurde et particulière que soit la situation, elle est pourtant aussi simple que cela.

Si Fernando Pessoa a construit peu de choses sur la vie d'Alberto Caeiro (on sait seulement qu'il est né en 1889 à la campagne, qu'il a été très tôt orphelin, et qu'il est mort de la tuberculose en 1935), le portrait imaginé de Ricardo Reis est plus complet. Fernando Pessoa le fait naître en 1887 à Porto. Il lui attribue une grande culture classique, il lui obtient un diplôme en médecine, le fait monarchiste et pour échapper au régime républicain qui a pris le pouvoir au Portugal, l'oblige à s'expatrier au Brésil en 1919.

La poésie de Ricardo Reis, si elle n'est dans l'esprit, pas très éloignée de celle d'Alberto Caeiro, a dans le style et dans la forme bien des différences. Comme chez l'auteur du Gardien de troupeaux, l'homme n'est pas maître de sa condition, il ne peut la modifier. Il ne peut qu'en apprécier le moment présent, tendre vers une sérénité de l'instant, un Carpe Diem. L'écriture de Ricardo Reis est plus classique, le vocabulaire plus érudit, la structure des poèmes plus formalisée. Les influences de la culture gréco-latine, de l'épicurisme, du stoïcisme et du poète latin Horace apparaissent en pleine lumière. Il y a dans les vers de Ricardo Reis l'expression d'une recherche, celle d'un apaisement qui libèrerait la conscience des contingences de la vie, de ses émotions et de ses sentiments exacerbés.

« Nombreux sont ceux qui vivent en nous ;
Si je pense, si je ressens, j'ignore
Qui est celui qui pense, qui ressent.
Je suis seulement le lieu
Où l'on pense, où l'on ressent.

J'ai d'avantage d'âmes qu'une seule.
Il est plus de moi que moi-même.
J'existe cependant
À tous indifférent.
Je les fais taire : je parle.

Les influx entrecroisés
De ce que je ressens ou passages
Polémiquent en qui je suis.
Je les ignore. Ils ne dictent rien
À celui que je me connais : j'écris.»

Comme dans les Odes de Ricardo Reis, les poèmes d'Alberto Caeiro libèrent un sens qui, du bout des doigts, touche au sublime, dévoilent une vérité que seule la poésie peut nous faire éprouver et partager.
Dans une entreprise littéraire comme celle de Fernando Pessoa, travail d'écriture unique, incomparable, indépassable, chacun des hétéronymes, avec leurs écrits, leur histoire, est un moyen d'approcher au plus près de Fernando Pessoa et de son oeuvre.
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