En février 2021,
Maria Peters publie son premier roman :
Antonia la cheffe d'orchestre. En mars 2020, sortait au cinéma le biopic éponyme, réalisé par nulle autre que...
Maria Peters. La réalisatrice néerlandaise, fascinée par Antonia Brico, propose ainsi une biographie romancée, retraçant la vie de l'une des premières femme Cheffe d'orchestre.
Willy Wolters cumule deux emplois : dactylo la journée et ouvreuse à l'Opéra la nuit. Fille d'un éboueur et d'une femme au foyer avare
(dite "Madame Kling-Kling) - à qui elle remet docilement ses salaires - Willy, la vingtaine passée, vit toujours chez ses parents. Conditions de vie modestes, ambiance familiale glaciale
sous la tyrannie de "sa marâtre", Willy se raccroche à son rêve : devenir cheffe d'orchestre.
Oreille absolue et pianiste quasiment autodidacte, Willy croit en son talent - mais, hélas, elle semble être la seule.
* A la recherche de ses origines : de Willy (Wilhelmina) à Antonia Brico :
A la suite d'une énième dispute avec sa mère, Willy découvre qu'elle a été adoptée à l'âge de deux ans. Dès lors, elle reprend son nom de naissance - Antonia, rompt les liens avec sa famille adoptive, et met cap vers Rotterdam, en espérant y retrouver sa mère biologique.
Elle apprend - hélas - le décès de cette dernière, et découvre le récit de son adoption du point de vue de sa tante.
* A la poursuite de ses rêves : de dactylo et ouvreuse à Cheffe d'orchestre
Antonia, amoureuse de Franck Thomeson, avait tacitement promis à son amant un retour prompt en Amérique. Or, mue par son rêve, elle force la rencontre avec son idole, le chef d'orchestre Mengelberg, avec une idée fixe en tête : devenir son apprentie. Rejetée, elle obtient tout de même une lettre de recommandation auprès d'un chef d'orchestre allemand, Karl Muck.
Antonia se bat pour être acceptée en tant qu'élève par Muck.
Dirigeant l'orchestre, elle se bat contre la misogynie du premier violon.
De retour en Amérique, elle se bat pour obtenir des concerts.
En tant que femme, sa carrière est un parcours d'obstacles. Bien qu'ayant toujours des détracteurs, la presse sait reconnaître son talent après son premier concert à Berlin.
Lassée de son combat contre les journalistes dénigrant qu'une femme puisse diriger un orchestre ; et fatiguée de se battre pour obtenir des concerts ; Antonia décide de fonder le NEW YORK WOMEN'S SYMPHONY ORCHESTRA, un orchestre exclusivement féminin, soutenu publiquement par la première dame Eleanor Roosevelt. La conclusion du roman nous apprend qu'il ne connaîtra que quatre années de succès.
"Cela fait partie du jeu. Mais voilà : au moins, je le fais. Suis-je une héroïne pour la cause ? Peut-être que personne ne le pense. A part moi... Parfois, c'est suffisant."
* La frontière floue entre biographie et romance
Je ne doute pas que
Maria Peters, pour son film, comme pour ce livre, s'est grandement documentée sur la vie d'Antonia Brico (cf remerciements et liste des sources en fin de livre).
Néanmoins, je regrette qu'il n'y ait pas un récapitulatif plus exhaustif des éléments biographiques avérés, permettant de les distinguer de la pure romance.
Ainsi, je doute que le passage en début de roman dans lequel Willy, lors d'un concert à l'Opéra, joue la cheffe d'orchestre avec une baguette chinoise, dans les toilettes des hommes, soit vraie.
De même, pour la scène dans laquelle elle pose sa chaise pliante juste derrière le chef d'orchestre Mengelberg, en pleine représentation.
Je m'interroge également concernant son histoire d'amour avec Franck Thomeson. le passage final, dans lequel ce dernier, pose sa chaise pliante juste derrière la cheffe d'orchestre Antonia, en pleine représentation - me paraît romancé.
En outre, cet homme, délaissé par une femme qui a fait le choix de sa passion pour la musique avant tout - a-t-il vraiment continué à oeuvrer dans l'ombre afin d'aider à faire décoller sa carrière, et la protéger de la montée de l'extrême droite en Allemagne ?
Enfin, je m'interroge au sujet de Robin, personnage au plot-twist émouvant : Robin est une femme, ayant choisie très tôt de se faire passer pour un homme, s'astreignant à porter un corset comprimant sa poitrine. Elle a choisit cette vie afin de s'offrir la possibilité de jouer de la contrebasse (instrument interdit à l'époque aux femmes, car nécessitant de tenir l'instrument entre ses jambes). Vérité ou élément de romance ?
Bien que la romance permette d'agrémenter le récit ; rien ne vaut l'authenticité d'une vie.
* Sur la forme, des éléments de contexte appréciables - historiques - et musicaux :
J'ai apprécié les éléments de contexte disséminés par
Maria Peters au fil de son roman.
Le lecteur est plongé dans un "American Dream", dans l'ambiance des années folles, avec ses cabarets et ses danseuses - mais aussi, paradoxalement, dans l'Amérique de la Prohibition, marquée par des lois anti-homosexuels. Au cours du récit, certains éléments historiques font échos, notamment le krach boursier de 1929, ou la montée des extrémismes en Europe à la fin des années 30.
Maria Peters multiplie également les citations de grands compositeurs, ou les références aux oeuvres classiques. Eléments de contexte indispensables, bien menés, pour relater la vie de cette passionnée de musique.
* La place des femmes cheffes d'orchestre aujourd'hui ?
Dans l'épilogue,
Maria Peters nous apprend que si Antonia Brico a été invitée à diriger nombre d'orchestres célèbres ; elle n'a cependant jamais eu de poste en tant que cheffe attitrée. En 1941, sa nomination en tant que premier chef d'orchestre au sein de l'Orchestre symphonique de Denver est annulée en dernière minute, au motif qu'elle est une femme.
En guise conclusion,
Maria Peters laisse le lecteur avec deux chiffres :
En 2008, parmi les 20 meilleurs orchestres du monde listés par la revue Gramophone ; aucun n'a jamais eu de premier chef d'orchestre féminin.
En 2017, parmi les 50 meilleurs chefs d'orchestre de tous les temps, il n'y a aucune femme.
De quoi s'interroger.
En conclusion, un roman inspiré de faits réels, mettant à l'honneur une femme courageuse, et remettant sur la table la question de l'égalité homme-femme, cette fois dans le milieu très élitiste des chefs d'orchestre.