(...) le passage à l'écriture contribue dans ces expériences à une amélioration de l'estime de soi et une sortie de la position de victime. Ce que retrouve, de l'autre côté de l'Atlantique, Elisabeth Brami dans des ateliers d'écriture en hôpital de jour, avec des adolescents : elle aussi insiste sur la restauration de l'image de soi, souvent mise à mal par la "blessure scolaire", que cette pratique rend possible. (...) elle leur lance par exemple treize mots choisis au hasard, qui seront comme une colonne vertébrale : sans contrainte, pas de sujet. Produisant des textes différents avec ces mêmes mots, les participants s'autorisent à être uniques et rompent avec leur statut d'élèves et de malades. Même s'ils mettent des mois à écrire une seule phrase, "la naissance du texte est naissance du sujet", dit-elle ; et elle cite Duras : "Ecrire, c'est crier sans bruit".
Brodsky, condamné aux travaux forcés près du cercle polaire, lisait Auden où il puisait des forces pour survivre et affronter ses geôliers.
Les livres sont hospitaliers et ils nous permettent de supporter les exils dont chaque vie est faite, de les penser, de construire nos maisons intérieures, d'inventer un fil conducteur à nos histoires, de les réécrire jour après jour. Et quelquefois, ils font traverser des océans, nous donnent le désir et la force de découvrir des paysages, des visages jamais vus, des terres où autre chose, d'autres rencontres seront peut-être possibles. Ouvrons donc les fenêtres, ouvrons des livres.
Ce qui fait le bonheur de l'un ennuiera l'autre ou l'angoissera, tant les lecteurs diffèrent par l'âge, le sexe, les générations, les contextes sociaux et culturels où ils vivent, l'histoire propre à chacun et ce à quoi ils doivent faire face. Tant l'inattendu est là : car les récits, les phrases qui leur parlent, qui les révèlent, qui les aident à donner du sens à leur vie et à résister sont souvent très surprenants.
Dans les jours où j'écris cette préface, il me faut trier les ouvrages composant la bibliothèque de ma mère qui a quitté ce monde récemment. Je découvre que démanteler la bibliothèque d'un disparu est un geste sacrilège, bien plus que disperser ses habits ou les objets qui l'entouraient. La bibliothèque de quelqu'un, fut-elle constituée de dix volumes ou de cinq mille, ce sont ses rêves. En touchant ses livres, j'avance avec impudeur dans ses territoires les plus intimes. Et en détruisant leur ordonnancement, je démantèle un univers composé comme un bouquet de fleurs. J'y sabre à coups d'une atroce rationalité économique (ceux-ci peuvent se donner, ceux-là peut-être se vendre, ces ouvrages techniques ou pratiques se jeter).
Imposer ou émerveiller ?
Comprendre ce qui bouge dans la relation des jeunes à la lecture pour mesurer ce qui est en jeu. Y a-t-il une nouvelle nécessité de la lecture ? Que savons-nous de neuf dans la relation des enfants aux livres ? Quelles nouvelles pistes, nouvelles actions, nouveaux projets ?
Avec Rana Esseily, psychologue et universitaire (Psychologie du développement, avec Bahia Guellaï, Armand Colin), Régine Hatchondo, présidente du CNL, Anne-Louise Mésadieu, Conseillère régionale et Michèle Petit, anthropologue (Nous sommes des animaux poétiques, Sciences humaines Éditions).
Avec la participation de Sylvie Vassallo, directrice du SLPJ.
Animé par Antonella Francini.
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