Certains peuvent jouer avec leurs vies multiples, les sacrifier sans vraiment compter, prendre tous les risques pour satisfaire leurs envies. Pendant ce temps, d'autres luttent pour essayer de préserver la seule vie qu'ils ont.
Franchement, si on doit consacrer toutes ses vies bonus à sauver d’autres vies, alors ce n’est plus un cadeau d’avoir plusieurs vies. Juste une responsabilité.
(p. 57, Chapitre 17, Partie 3, “Quatre”).
J’inspire, j’expire.
Attention, à trois !
Un, deux…
Je me jette.
Avec seulement cent un mètres, je dois activer mon parachute immédiatement. Je vais pour tirer la poignée quand je sens le vent se lever. Il souffle droit sur la paroi. Je me cabre de toutes mes forces, mais il me rabat sur les rochers.
Je vais les percuter de plein fouet et m’écraser cent un mètres plus bas.
Heureusement, je peux me le permettre.
Statistiquement, 91% de la population n'a qu'une seule vie. C'était le cas de mon père, c'est aussi le cas de mon beau-père, ainsi que de plus de neuf élèves sur dix dans mon collège. 6% des gens ont deux vies, comme ma mère, 2% en ont trois, et une personne sur cent en a de quatre à sept. (p.18)
C'est ça être courageux. C'est avoir peur et y aller quand même.
Alors que c'est quoi une vie bonus quand on y pense ? Une garantie à usage unique contre un sale accident ou une méchante maladie. C'est tellement fragile une vie bonus. la preuve, j'en ai déjà perdu une ! (p.32)
La vie est précieuse, finit-il par déclarer, même si elle est bonus.
Six ! Mes oreilles se sont mises à bourdonner, mon corps à trembler. C'était comme s'il venait de m'annoncer que j'étais immortel !
J’attends que la porte se referme. Puis je compte jusqu’à cent, au cas où ma mère aurait oublié son portable et déciderait de faire demi-tour.
À cent, je sors de ma chambre et jette un œil par la fenêtre. C’est bon, la voiture n’est plus là. J’enfile mon blouson. Mes yeux accrochent comme à chaque fois la Bible des risques, posée sur une console dans l’entrée. Impossible de la manquer. C’est sûrement la raison pour laquelle ma mère la laisse si souvent traîner ici. Pour que jamais on ne l’oublie.
— Où tu vas ?
Je sursaute. Louison, mais qu’est-ce qu’elle fait là ?
— Je croyais que tu passais la journée chez Nina ?
— On s’est disputées. Tu sors ?
— Je vais faire un tour à vélo.
— Maman est au courant ?
— Bien sûr.
Ma voix sonne faux. Louison continue de m’observer, en mâchant son chewing-gum.
— Combien pour que je dise rien ? poursuit-elle.
Je n’ai pas le temps de négocier. La nuit tombe vite à cette saison.
— Mon argent de poche de la semaine.
— De deux semaines.
Tout juste douze ans et déjà la reine du chantage, ça promet !
— Si tu veux. Bon, je peux y aller maintenant ?
— De trois semaines, continue ma sœur.
Je crois que je vais l’étrangler. Louison doit prendre mon silence pour un oui, parce qu’elle m’ouvre la porte.
Je dévale les escaliers et sors mon vélo du local.
À présent, direction la falaise. Elle se dresse à quatre kilomètres après la sortie de la ville, surplombant de ses cent un mètres un champ de pierres. Elle serait, d’après M. Gallot notre prof d’histoire-géo, l’une des plus hautes falaises de France. La route qui y mène n’est qu’une succession de virages secs, greffés sur une pente raide. En danseuse sur mon vélo, j’explose mes poumons à chaque coup de pédale.