Ce qu'il faut de nuit m'a tellement touché droit au coeur que j'ai ouvert presque timidement
Ainsi Berlin. Ce n'est pas bon d'avoir trop d'attentes et de se dire qu'on va revivre la même superbe expérience avec un auteur, qu'il le faut. J'ai essayé de mettre de côté la très forte émotion ressentie à la lecture de son précédent roman pour aborder le plus virginalement possible son suivant.
Laurent Petitmangin a eu la grande intelligence de changer radicalement de décor, histoire d'éviter les comparaisons. de la Lorraine à Berlin de l'après-guerre, le dépaysement est total et parfaitement ancré dans une géographie qui va évolue, de la dévastation de la ville sous les bombardements alliés jusqu'à sa reconstruction sous la guerre froide, d'abord divisée en quatre zones d'occupation alliées puis en deux par le Mur érigé en 1961. Les descriptions urbaines sonnent toutes très justes.
Ce décor d'un Berlin coupé en deux se fait le miroir de l'intrigue, resserrée autour d'un narrateur tiraillé entre deux femmes puissantes et déterminées, toutes deux énergiquement mues par une conviction idéologique inébranlable. C'est l'heure des choix pour Gerd, résistant communiste allemand de la première heure. Mais il est complètement dépassé par le vent nouveau qui souffle, par le bulldozer dictatorial qui se met en place à l'Est avec son cortège d'espionnage, d'endoctrinement, de répression et de broyage de vies. Sa compagne Käthe, elle, est parfaitement à l'aise, dure, rigide, obsédé par la doxa communiste ; alors que l'américaine Liz qui oeuvre à l'Ouest le séduit par sa joie de vivre et sa pétillance. le duo polaire Liz / Käthe répond à la dichotomie Ouest / Est. Ce parallèle est sans doute un peu facile, mais ça fonctionne très bien.
L'auteur a un talent évident pour sonder les nuances et les contradictions de la condition humaine. Gerd est un héros assez falot, pas nécessairement attachant au départ. Et pourtant, on s'y attache sans même sans rendre compte, car la construction narrative avance très subtilement autour de thématiques fortes ( paternité et filiation, conflit entre les sentiments et la conviction politique, les mêmes que dans
Ce qu'il faut de nuit ) pour décrire en filigrane un personnage terriblement humain par les doutes qui l'habitent et les failles qui se creusent en lui à mesure qu'il découvre les ambiguïtés des deux femmes de sa vie à travers le programme Spitzweiler, un projet consistant à créer à l'Est une pouponnière pour enfants supérieurement intelligent nés de scientifiques afin de les endoctriner pour en faire des vitrines de la RDA.
Le récit coule avec une fluidité impeccable avec toujours ce sens de l'épure romanesque, particulièrement visible dans la maitrise des ellipses temporelles ( sur plusieurs décennies ) dont le nombre ne heurte jamais le cheminement des personnages ni la compréhension des personnages ni celle de l'époque. Jusqu'à un vibrant épilogue à la dramaturgie assumée. La plume peut sembler très simple mais elle est juste élégamment sans esbroufe, resserré sur l'humain et un certain désenchantement inhérent à sa condition.