La lecture c'est avant tout une histoire de rencontre. Parfois le rapport est fusionnel, parfois tendre, parfois désastreux. En général lorsqu' un livre a été vraiment pénible pour moi, j'évite tout bonnement d'écrire mon article. J'aime moyennement l'idée de critiquer un travail aussi fastidieux que celui de l'auteur.
Mais voilà, les partenariats l'exigent ...
Au départ j'avais de grandes attentes , l'histoire me parlait, m'intéressait avant même d'avoir lu la première ligne. le questionnement identitaire d'une petite fille marchant à cloche pieds, habitée par le manque, l'absence et les non-dits. Puis l'urgence, après le décès de la tante Lida, peut-être la dernière dépositaire de l'histoire familiale, des vérités enfouies, tues ...
Commence alors un voyage initiatique, à la recherche de la vérité, des faits, de l'histoire dans laquelle sa famille a inscrit son destin, sa tragédie.
Sujet poignant, qui ne peut laisser indifférent.
Oui mais voilà, l'auteure choisit un style d'écriture qui me laisse sur le bord de la route avant de me perdre définitivement. J'aurais aimé l'entendre me raconter son voyage avec émotion et sagesse. Pour moi il y a beaucoup trop de remarques inutiles qui parasitent le texte, des choses que l'auteure a pensé au moment de son voyage et qui n'ont pas d'intérêt, et ce, dès les premières pages avec des élucubrations sur un panneau de gare qui durent quatre pages. Je ne dis pas qu'elle a eut tort, que le choix est mauvais, elle m'a juste laissée en dehors de l'histoire, dès le départ. Je voulais rester au coeur de ses souvenirs, au plus proche, cette foule de détails s'est placée entre nous, me distanciant.
Ce livre et moi aurait pu être une rencontre remarquable, malheureusement j'ai compté les pages qui me rapprochaient de la fin.
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Les histoires des Krzewin ne formaient pas une ligne droite, elles tournaient en rond, se rompaient comme les dentelles de Kalisz, je ne voyais pas d'ornement, juste des petits lambeaux, des enfants illégitimes, des noms inouïs, des fils perdu, des détails superflus. […]
Pendant la guerre, alors qu'il n'y avait plus de Juifs à Kalisz, on avait retiré du cimetière les matzevahs, ces pierres tombales juives, on les avait sciées en carrés et posées dans la rue, le dos tourné vers le haut, de sorte qu'on ne voie pas les lettres hébraïques quand on marchait dessus. C'était un système d'extermination à sécurité multiple.
Kiev, la plus ancienne ville russe, où les Juifs aussi vivaient depuis mille ans, fut débarrassée de tous ses Juifs. Oui, on a l'habitude de nommer ces victimes des Juifs, mais pour beaucoup ce sont juste les autres. C'est trompeur, car ceux qui ont dû mourir à Babi Yar n'étaient pas les autres, mais les camarades de classe, les enfants de l'arrière-cour, les voisins, les grands-mères et les oncles, les vieillards bibliques et leurs petits-enfants soviétiques, qu'en ce jour du 29 septembre on a vu longer la Bolchaïa Jitomirskaïa de Kiev dans le cortège infini de leur propre enterrement.
Lorsque l'Ukraine est devenue indépendante, il y a vingt ans, chaque groupe de victimes a peu à peu obtenu son mémorial (…). Dix monuments, mais pas de mémoire commune, la sélection se poursuit jusque dans la commémoration.
Ce qui me manque, c'est le terme "être humain". A qui appartiennent ces victimes ? Sont-elles les orphelins de notre mémoire ratée ? Ou sont-elles toutes les nôtres ?
Nous étions heureux, et tout en moi s'opposait à la phrase que nous avait transmise Léon Tolstoï, selon laquelle toutes les familles heureuses se ressemblent tandis que chaque famille malheureuse l'est à sa façon, une phrase qui nous attirait dans un guet-apens en réveillant notre penchant pour le malheur, comme si seul le malheur méritait qu'on en parle et que le bonheur fût vide.
"Cette nuit là je n'ai pas pu dormir, j'ai rêvé du sauna, du ghetto, de corps nus, tordus dans la mort ou dans la jouissance, j'ai rêvé d'être autre, hommes et femmes mélangés, j'avais de la fièvre, j'ai raconté à katarzyna que je m'appelais comme aussi katerina, je tremblais, je pourrais aussi être polonaise, lui ai-je dit, la double vie, comme il fait froid ici, je ne suis pas obligée de jouer, je pourrais être chacune, mais il ne vaut mieux pas, je ne le ferais jamais, non, plutôt ne rien faire, je me suis aussi cachée parmi les autres, ou non, plutôt exhibée, regarde, quel show, je n'ai pas dit shoah, tu as dit shoah, toi ou moi, l'une ou l'autre, je ne sais pas si j'ai jamais été parmi les miens ni qui ils sont, les miens, toutes ces ruines autour de nous et en tous, et les changements de langue que j'effectue pour habiter les deux parties, pour éprouver à la fois moi et pas moi, quelle ambition, je suis différente, mais je ne me cache pas, chaude, et sinon je suis farouche, chaude, quel show, shoah, froide, à nouveau toute froide, mais je peux faire semblant, et moi et moi et moi, quel mot étrange ce moi, comme toi, comme toit, comme si moi j'appartenais à quelqu'un, à une famille, à une langue, mon sexe collé, en allemand la langue est féminine et en russe elle est masculine, qu'est-ce que j'ai fait de ce changement ? je peux me coller ce truc, comme toi, katarzyna, je peux monter sur la table et le montrer, regardez tous, je l'ai, en bas, ô mon allemand ! je transpire avec ma langue allemande collée sur la lange."