L'Espagne on le sait est un des thèmes de prédilection de
Joseph Peyré, avec le désert et la montagne. Mais même s'il les a très bien décrits dans ses romans, il n'a pas avec ces thèmes la même proximité qu'il a avec l'Espagne. Pour
Joseph Peyré, l'Espagne est une deuxième patrie. Il la connaît en voisin (il est né à Aydie, une cinquantaine de kilomètres au nord de Pau) et la connaît comme sa poche. Ses romans « espagnols » montrent une réelle connaissance du pays, son histoire, sa géographie et ses coutumes, mais aussi une belle osmose avec l'âme espagnole, faite de fierté et de grandeur.
Plusieurs romans sont consacrés à la tauromachie, dont deux majeurs «
Sang et lumières » (1935) et «
Guadalquivir » (1952). Aujourd'hui le débat est enflammé entre les pro-corrida et les anti-corrida. Les uns invoquant la tradition, les autres le bien-être animal.
Joseph Peyré, vu son penchant très appuyé pour la civilisation ibérique, est, ne nous le cachons pas plutôt favorable à la « faena », mais reconnaissons-le, il n'appuie pas sur le côté « jeux de l'arène » de cette tradition sanglante, ou de cette boucherie traditionnelle, comme on voudra ; les romans auxquels ce spectacle sert de toile de fond sont avant tout des histoires d'hommes et de femmes, d'amour et de mort.
«
Guadalquivir » ne manque pas à la règle. C'est l'histoire d'une jeune femme Alegria, duchesse d'Ayamonte, qui est amoureuse d'un torero (en Espagne il n'y a que des toreros, les toréadors n'existent qu'à l'Opera) Juan-Fernando. Celui-ci n'a pas la réputation d'être un bon matador (littéralement tueur, je n'invente rien), il ne s'attaque qu'à des bêtes de moindre résistance. C'est du moins ce que disent les connaisseurs. Qu'à cela ne tienne ! Alegria, entichée de son torero le suit partout et devient sa maîtresse. Celui-ci, flatté d'avoir une duchesse pour maîtresse, ne la trompe pas moins à qui mieux-mieux, pour ne pas dire à tout venant. Mais comme on dit tras-os-montes « amor es ciego ». Pourtant tout se paye. Les autorités imposent à Juan Fernando de toréer face à un taureau exceptionnel nommé Marismeño. Et là ce n'est plus la même cancion…
Comme dans «
Sang et lumières »,
Joseph Peyré nous donne un aperçu quasi ethnologique de cette société espagnole, liée à ses traditions : c'est ce qui en fait son charme, et c'est aussi ce qui peut la desservir, parce que le monde change, et fait changer les humains. Sur le seul thème de la corrida,
Joseph Peyré répond à ses détracteurs : le torero n'est pas tout puissant, il peut même être ridicule, et Marismeño, par sa seule présence, venge tous ses congénères qui entre sol y sombra ont laissé les deux oreilles et la queue…
Ajoutons pour finir ce que nous savons déjà :
Joseph Peyré sait à merveille raconter les moments d'intense confrontation : avec le désert, avec la paroi montagneuse, avec la bête dans l'arène, c'est-à-dire avec la mort. Question de courage si l'on veut, de force d'âme, ou peut-être de prise sur soi, avec derrière en filigrane, l'amour.
Ce livre sur la tauromachie ne convaincra personne. Mais si on le lit sans a priori, en goûtant la prose colorée et délicate de l'auteur, on apprend beaucoup de choses sur la mentalité espagnole (mais pas seulement), et on passe somme toute un bon moment de lecture.