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Critique de UnKaPart


Un roman corsé, normal vu que l'auteur est originaire de l'Île de Beauté.
Penchons-nous sur ces Carrières noires, pas trop sous peine de tomber dedans. Direction Lezennes.

Carrières noires marque ma première fois avec Piacentini et Leoni – va pas t'imaginer des trucs cochons – et pas la dernière. Je compte bien lire les autres aventures du commissaire corse.
Prenant le train en marche, je ferai l'impasse sur la place de ce roman dans la série, l'évolution du héros d'un tome l'autre et blablabli blablabla.
En tout cas, j'ai pris plaisir à les découvrir, ces personnages. Leoni, les récurrents et les récurants… Ils sont légion, comme les ennemis de nos ancêtres les Gaulois (les fameux…). Très typés aussi. le flic franc-tireur, l'ermite dans sa grotte, le parvenu assoiffé de pouvoir, la femme de l'ombre qui tire les ficelles en coulisses, l'âme damnée…

Caractères labruyériens mais pas que. Piacentini ne se limite pas à ressortir des archétypes mille fois vus et revus. Amis rôlistes, inspirez-vous de la méthode Carrières noires pour vos PNJ ! En plus de son trait principal, chaque protagoniste possède son historique et une flopée de détails qui le rendent unique. Même les personnages secondaires sont travaillés avec soin, ils ne se contentent pas de passer, silhouettes insipides et interchangeables.
Aucun ne se présente comme monolithique, à part peut-être Norbert le politique, salaud manipulateur et dévoré d'ambition dans toute sa splendeur. Mais rien à critiquer, il ne s'agit pas d'une caricature rebattue de grand méchant, son background justifie sa psychologie et son comportement. Même René Laforge, le triste sire, le nervi diligent, mister basses besognes, se définit par une loyauté sans faille à sa Führerin Maes (et aux dernières nouvelles, la loyauté est une qualité). Quant à Leoni, son “sens de la justice pas toujours compatible avec les lois” le place entre Montesquieu et Judge Dredd, animé par l'esprit des lois plutôt que leur lettre, à la fois flic, juge et jury (ce qui est flippant quelque part). Je ne vais pas passer tout le monde en revue, la richesse de la galerie m'obligerait à y consacrer 600 pages. Je m'en voudrais quand même de ne pas parler des “petits”. Chantal, Josy et Marie-Claude, la France d'en bas comme dirait l'autre qui la regarde de haut. Les figures les plus attachantes du roman, qui ne sont pas là juste parce que l'intrigue se déroule dans le Nord et qu'il faut mettre des pauvres. Trois nénettes qui ne s'en laissent pas conter et que j'ai adorées.

Des gens, beaucoup de gens… et autant de points de vue. le roman ne se déroule pas qu'à travers les yeux de Leoni. On suit aussi la sénatrice Maes (pas longtemps vu qu'elle claque), René son âme damnée, Norbert son neveu, la femme du neveu, tel ou tel policier, l'homme-ombre mentionné en quatrième, un gang de femmes de ménage (tu comprends mieux “personnages récurants” ?).
Faut reconnaître que la multiplicité des points de vue, parti-pris foisonnant et touffu, pourra rebuter certains lecteurs. Ce serait sans compter la mise en scène bien menée et justifiée. Rien qui sente le remplissage avec du rien ou le bazar qui perd le lecteur. Chaque scène apporte de la profondeur au personnage dans lequel on se trouve et marque une étape dans la progression de l'histoire…

… ou des histoires. Parce que là aussi, il y a de quoi. Une sénatrice assassinée, un cambriolage, des enfants disparus, du chantage, de la séquestration… On ne manque pas de fils narratifs. Complexité n'exclut pas clarté quand on sait écrire. Piacentini sait assurément.
Bien sûr, tout est lié par la logique du scénario et quelques coïncidences bienvenues. Leoni tombe “comme par hasard” sur le corps de la sénatrice. Oh !… Mais on reste dans le cadre de la convention littéraire acceptable et de la suspension consentie d'incrédulité. Faut bien à un moment que certaines choses “collent”, sinon tintin l'histoire et le roman est plié en deux lignes.
La sénatrice Maes meurt, personne ne se doute que c'est un meurtre, surtout pas Leoni qui est ailleurs (sans doute avec la vérité de X Files), the end.
Piacentini s'y prend bien, tu ne sens pas la facilité, le deus ex machina ou le too much d'un auteur qui n'a pas su trier ses idées. Tout se tient et se lie par un savant jeu de construction logique et cohérent. Un ensemble intelligible grâce à une grande maîtrise de la structure et de la narration.
Bref, un roman dense, fruit d'un travail de fourmi (give me five, La Fontaine).

Carrières noires, comme son nom l'indique, est un roman noir. Pas un personnage qui ne soit marqué par la noirceur de son vécu ou de ses actes. Drames, crimes, mauvais endroit au mauvais moment, conséquences imprévues qui partent en sucette, vive la vie…
Le titre ne renvoie pas qu'aux galeries qui gruyérisent le sous-sol de Lezennes. Les carrières noires font écho aux métiers des uns et des autres. Maes et son neveu ont embrassé un cursus politique pas très honorum où ils se sont bien sali les mains. René le factotum balaie sous le tapis les cochoncetés de la sénatrice. Leoni et les autres policiers passent leur vie confrontés au pire de la nature humaine. Les triplettes de Lezennes ont morflé et trimé toute leur existence sans vraiment en profiter, tout ça pour voir la perspective d'une retraite tranquille leur filer sous le nez.
Un récit placé sous le signe de la saleté des grands et du nettoyage par les petits.
Marqué aussi par la famille et les figures tutélaires. Norbert et sa toute-puissante tante Justine, René à la fois sur les traces de son père et inféodé à la même Justine, Leoni et ses potes terrifiés à l'idée que mémé Angèle leur tire les oreilles, l'homme-ombre et sa MAMAN aux majuscules intimidantes…

Noir, c'est noir, comme dit la chanson. Mais trop de noir égale asphyxie du lecteur. Piacentini n'hésite pas à relâcher la pression avec de subtiles notes d'humour et même quelques passages à se tordre de rire. Je pense au chapitre 38 qui donne une autre dimension à l'expression “scène de ménage”. le roman mérite d'être lu rien que pour ce moment d'anthologie.
Piacentini joue à merveille des changements de partition. Personnages, points de vue, ton, langage, chaque scène s'adapte au contexte tout en préservant une homogénéité d'ensemble. le tout servi par ton juste, toujours attaché à l'humain, et un style propre, agréable et fluide, travaillé sans paraître ampoulé ni artificiel.

Un très bon policier qui m'a donné envie d'attaquer la série depuis le début. La recette Piacentini comporte beaucoup d'ingrédients, mais fonctionne sans causer d'indigestion.
Lien : https://unkapart.fr/carriere..
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