Il y a des livres qui vous font des clins d'oeil. L'édition d'abord, très important, car si le livre vous choisit, en quelque sorte, c'est bien le lecteur qui fait les premiers pas dans sa direction : Éditions Corti. Bien sûr, vous viennent alors à l'esprit les noms de
Julien Gracq,
Claude Louis-Combet,
Sadegh Hedayat,
Lautréamont, le suisse
Julien Maret et quelques autres encore, selon votre collection privée. Puis vous faites attention au titre du livre ou à son auteur, mais là c'est bien le titre qui intrigue le plus :
le sage des bois. Comme on nage dans le bassin littéraire, il y a quelque ironie dans ce titre. Et puis l'auteur,
Georges Picard, dont je ne sais pas grand chose pour avoir seulement feuilleté deux de ses
essais dont les titres m'avaient quand même particulièrement accroché à l'époque de leur parution :
Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place, et
de la connerie. Franchement, je ne sais pas pour vous, mais moi, des titres comme ça m'attirent autant que ceux de
Marc Levy ou
Jean d'Ormesson me repoussent... Et vous voilà embarqué dans une lecture inattendue - une aventure quoi ! C'est que ce roman cache un
essai sur l'écrivain-philosophe naturaliste et végétarien
Henry David Thoreau, et, spécialement sur son magnifique livre : Walden. le narrateur revient donc sur sa jeunesse à lui, ce temps où il rêvait de mettre ses pas dans ceux de Kerouac, Robinson, Rousseau et, surtout, Thoreau. le voilà donc sur le départ, mal organisé, peu sûr de lui, ralenti par l'incompréhension de son entourage. Pour vous donner une idée, prenez
Into the wild, le livre de
Jon Krakauer porté à l'écran par
Sean Penn, mais déplacez l'aventure en France et dans une version plutôt candide et comique, et vous avez
le sage des bois dans les mains. Légère mais pleine de rebondissements, souvent drôle, l'histoire vous emmènera au bord de l'étang convoité, symbole de liberté, mais pour peu de temps... en effet une autoroute va bientôt remplacer le petit bois accueillant et son étang ! Et nous voilà en pleine réflexion sur le monde moderne et la place de l'enseignement de Walden ; comme le disait Dagerman dans son magnifique petit opuscule Notre besoin de consolation est impossible à rassasier : "Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l'être humain puisse prouver qu'il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société." Pouvons-nous encore trouver de la liberté dans une France où tout est réglementé et où tout ce qui n'est pas encore interdit n'en est pas pour autant permis ?
Georges Picard signe là un roman initiatique et philosophique, picaresque, qui recèle de citations et presque tout autant de critiques de Thoreau, le tout dans un style aérien et bon enfant, avec une morale (la liberté est en soi et les villes ne sont pas forcement hors la nature, mais une forme de nature) - un livre à mettre entre toutes les mains.