Un livre de
Pascal Picq, préhistorien renommé avec un titre alléchant sur le couple Neandertal/homo sapiens qui laisse augurer que l'on va assister à un furieux débat nourri des dernières découvertes en paléontologie qui peu ou prou sont de nature à faire perdre de sa superbe à l'homo sapiens.
L'homo sapiens, c'est-à-dire vous chers lecteurs babeliens mais bien au-delà, constitue l'unique espèce du genre homo (on parle là de biologie). Dans un passé pas si éloigné (-30 000 ans, hier à l'échelle géologique), il existait d'autres hommes, d'autres espèces : Neandertal bien sur, l'homme de Florès (cet incroyable petit homme dit « le hobbit »), Denisova dont j'ai appris l'existence avec ce livre.
Or, la disparition de ces hommes correspond à l'apparition et à l'essor de l'homo sapiens.
L'explication académique en vigueur est que ces hommes, en définitive étaient trop crétins pour être dignes d'écrire l'histoire, incapables de s'adapter.
Outre que cette qualification de « sous hommes » a une sinistre connotation historique, la thèse orthodoxe n'est pas sans rappeler ce qui se disait il n'y pas si longtemps au sujet de la disparition des dinosaures, trop bêtes, trop gros pour s'adapter…On sait aujourd'hui qu'il a fallu cette météorite XXL conjuguée aux projections gazeuses toxiques des trapps du Deccan en Inde pour avoir raison de ces petites bêtes. Des fossiles de « petits » dinosaures (théropodes prédateurs) datés de la limite de leur période d'extinction ont été retrouvés sur la cote sud de l'Australie, alors attachée à l'Antarctique, preuve que ces animaux avaient su évoluer à leur environnement.
Par ailleurs, l'ADN de néandertal a été décodée en 2013.
Dans ce contexte, on pouvait légitimement attendre beaucoup de ce livre.
Deux parties constituent la charpente de ce livre, qui à la lecture de la dernière page se révèle quelque peu branlante, faute de véritable cohérence.
La première partie « Adresse à homo sapiens » semblait pourtant inspirée, Mme Neandertal ressuscitée à partir de l'ADN, interpelle homo sapiens. On se réjouit d'avance de cette nouvelle version des « lettres persanes » de
Montesquieu. Mais très vite malgré quelques traits d'humour inspirés, le propos est desservi par les arguments « à la hache » pas vraiment polie (oui trop tentant le jeu de mots). L'omniscience académique de
Pascal Picq n'est évidemment pas en cause mais précisément en qualité d'éminent spécialiste de la paléontologie il occupe une place privilégiée pour savoir que la recherche livre en permanence des résultats à la pérennité très relative.
Ainsi pour l'East Side Story d'
Yves Coppens autour de la mythique Lucy…. Cette belle histoire après les découvertes d'Abel et de Tourmaï du « mauvais » coté de la vallée du rift en Ethiopie s'est enlisée dans les sables du Tchad. L'aventure pré-humaine et la séparation singe/homme n'a pas été dynamisée par la fracture foret/savane comme l'a reconnu avec élégance
Yves Coppens lui-même.
Et que dire d'Ardi dont les restes de plus de 4 millions d'années semblent attester qu'il marchait ? Or Ardi vivait avant la séparation à l'intérieur de la famille des primates. Autrement dit, le critère de la station debout, comme de l'usage de la parole ou d'outils ne sont définitivement pas un critère pour qualifier l'homme.
Reste ce qui pourrait véritablement caractériser l'homme, l'art, le sacré et aussi le mal c'est-à-dire l'intention de nuire à son prochain, à la vie. Qu'est-ce qu'être sapiens, comment être sapiens ?
Pascal Picq ne répond pas à l'interrogation de son titre.
A partir des dangers mortels objectifs qui menacent l'espèce humaine
Pascal Picq déroule un argumentaire pour le moins contestable faute de preuves archéologiques décisives.
Pascal Picq part du principe que Neandertal a disparu par épuisement de l'espèce, incapable de s'adapter de se régénérer et il établit un parallèle avec les défis contemporains de l'homme.
Cette thèse sur la disparition de Neandertal demande pour le moins à être étayer s'agissant d'un homme qui a vécu pendant des dizaines de milliers d'années dans des conditions difficiles voire extrêmes et qui a laissé des traces attestant de sa créativité.
En ce qui concerne Neandertal, sur la même page (p.99)
Pascal Picq peut, sans désemparer, écrire :
« Il y a eu évidemment des conflits entre microbiotes mais rien de dramatique. Même pas un génocide organisé (…) »
et
« Il s'agit d'une banale extinction entre deux espèces dont les niches écologiques ne sont pas assez distinctes pour éviter la concurrence pour les mêmes ressources et les mêmes abris. »
Sur la base de ce raisonnement, on pourrait considérer que la persécution des Indiens aux Etats Unis par les blancs pour s'approprier les terres des territoires de vie des indiens, de leur niche écologique ne constituent pas une forme de stratégie d'épuration ethnique. Selon
Pascal Picq il y a bien eu, rivalité et bataille pour la maitrise des ressources. La concordance de l'occupation spatiale d'homo sapiens et du recul de Neandertal milite à l'évidence pour ce scénario beaucoup plus que pour une inadaptation de Néandertal. Une fois le processus engagé, il est évident que la taille critique de la survie de l'espèce s'est posée, isolement, consanguinité….Mais ce serait la conséquence et non la cause première.
Par le truchement de Mme Néandertal Picq dénonce le comportement suicidaire de l'homme contemporain, homo destructor comme le disait le regretté
Théodore Monod, et accuse en vrac, le systême éducatif, la philosophie ….mais le feu ne prend pas, il s'agit de silex mouillés car le lecteur ne sait pas trop ce qui est véritablement sur la sellette. Quelle philosophie est négative ?
L'auteur oppose les scientifiques et les philosophes, accusant ces derniers de ne rien connaitre aux découvertes de la science et de se cloitrer dans la métaphysique. Il faudrait ne pas brider la science, faire sauter les verrous du conservatisme du principe de précaution. Assurément, s'intéresser aux découvertes, mesurer les enjeux est une nécessité mais de là à donner les clés aux scientifiques…. Il existe des acteurs puissants prêts à récupérer ces découvertes et à faire courir à la terre entière des dangers mortels, la vache folle, l'amiante, le nucléaire…
Le scientifique n'est plus le professeur Tournesol. Comme le développe le philosophe
Jean Pierre Dupuy dans son livre «
la marque du sacré », le scientifique doit de son coté venir à la rencontre des humanités et prendre ses responsabilités, ne pas se cacher derrière le politique, ne pas rester enfermé dans sa niche de spécialiste bien confortable.
L'homme a cru qu'avec la Raison, la mort de Dieu il pouvait se passer de toute transcendance, du sacré, erreur fatale.
« Si vos ancêtres cro-magnons s'étaient comportés ainsi nul doute que la Terre serait aujourd'hui néanderthalienne » p.33
Au risque de choquer, j'aurais tendance à répondre que la Terre ne s'en porterait peut-être pas plus mal…..
Et c'est faire peu de cas de l'intelligence de Neandertal, qui faut-il le rappeler avait un plus gros cerveau que le notre. Ce n'est pas le poids du cerveau qui à lui seul détermine l'intelligence mais au cas d'espèce, si j'ose dire, tant que l'on ne disposera pas de points de repère fiables sur les causes de la disparition de Neandertal (A cet égard, le fait qu'une petite partie de l'ADN de Neandertal ait été recyclée dans nos gênes apporte plus d'interrogations que de réponses me semble t-il) on ne peut pas préjuger de ce qu'aurait pu être une Terre néandertalienne.
Je ferai beaucoup plus court sur la seconde partie qui suit cette « adresse à homo sapiens », t « A l'est d'homo » Il s'agit d'une sorte d'état des lieux de l'archéologie dans les territoires du sud de l'ex URSS, en particulier le long de la Mer noire qui semble avoir été une zone très fréquentée à partir d'homo erectus (les lecteurs de Jean M.
Auel sont en territoire familier). C'est un peu décousu ; si bien sur le lecteur prend connaissance au détour d'une page d'une information, l'ensemble manque de liant tant à l'intérieur de cette partie que vis-à-vis de la première. Certes, on discute toujours préhistoire, Néandertal, mais les zooms sur des savants russes du passé frisent l'anecdotique.
Au total un livre intéressant mais décevant, typiquement le livre à emprunter dans votre médiathèque préférée et à quitter sans regret.