Énorme déception ! Ni
Pascal Picq ni
Philippe Brenot ne sont biologistes, et ni l'un ni l'autre ne sont anthropologues – il faut croire qu'un paléoanthropologue peut ne pas l'être –, mais ce n'est pas le problème : dans un tel ouvrage, personne n'a les connaissances couvrant tout le champ d'étude. le problème est qu'on est en droit d'attendre de chercheurs de la rigueur scientifique non seulement dans leur spécialité, ce qui est un minimum, mais aussi dans leurs inévitables incursions dans les disciplines connexes.
Or le livre est approximatif dans ses formulations (y compris les titres, parfois éloignés de ce qu'ils introduisent), porte nombre de jugements arbitraires (des rapports plus fréquents correspondraient à une exigence vis-à-vis du partenaire ?), ne fournit à peu près jamais de références (si ce n'est des autoréférences !), généralise en permanence et hâtivement à des ensembles flous, rabâche à l'envi (y compris ses erreurs), comporte des incohérences (la verge qui prend de 2 à 4 cm d'un chapitre à l'autre, les fesses rebondies propres à l'homme ou largement répandues chez les mammifères…) – et contient beaucoup d'âneries. Ainsi du crapaud accoucheur portant les oeufs fécondés dans sa bouche (et non sur son dos) ; ainsi de l'Australie atteinte par Homo Sapiens il y a au moins 50 000 ans, mais… l'Océanie il y a moins de 30 000 ans ; ainsi de la conclusion que l'espérance de vie ne dépassant l'âge de la ménopause que depuis peu, il n'y avait pas de grands-mères pour éduquer les mères dans les temps anciens (tout démographe sait que l'allongement de l'espérance de vie ne signifie pas, si ce n'est à la marge, l'allongement de la vie, mais l'accroissement du nombre d'individus survivant à des âges avancés. En d'autres termes, on ne vit pas « plus vieux », on vit vieux « plus nombreux ») ; ainsi de la légende du concile de Mâcon, non seulement reprise, mais enflée, puisqu'il aurait conclu que les femmes n'avaient pas d'âme, ce que personne n'a jamais soutenu ; ainsi de la trahison éhontée de la pensée de
Françoise Héritier ; ainsi des femelles des mammifères généralement endogames alors que les mâles seraient exogames (confusion entre l'exo- ou l'endogamie d'une part, et la matri- ou la patrilocalité d'autre part, cette confusion étant dupliquée tout le long du livre !). Sur ce point, comment des scientifiques peuvent-ils imaginer qu'un sexe soit endogame quand l'autre est exogame ! Non seulement les auteurs n'ont pas pris le temps et la peine de faire les recherches nécessaires, certes longues et fastidieuses, mais leur éditeur, qui nous a habitués à mieux, n'a pas cru devoir soumettre leur texte aux spécialistes qui leur auraient épargné ce ridicule (même les corrections de langue ont laissé passer des énormités, la plus belle devant être « rarement sans celui du plaisir », au lieu de « rarement sous celui du plaisir » !). Il est plus étonnant de voir un paléontologue résumer la sortie des eaux à environ 350 millions d'années, celle-ci ayant été un processus sensiblement plus complexe.
Les deux premiers chapitres sont effarants d'anthropomorphisme, dans le vocabulaire, dans la description des situations et des comportements, dans la valorisation de bon ton des femelles ; ce n'est pas toujours de l'humour (et cela vaut mieux, tant il est convenu). On ne peut contester qu'un crime d'honneur est « odieux » (encore qu'un anthropologue, seul peut-être, doive d'abord suivre
Marc Bloch : « entre comprendre et juger il faut choisir »), mais à quoi rime d'appliquer ce qualificatif à un éléphant de mer ! Va-t-on lui faire la morale ?
Soit dit en passant, étant aussi peu scrupuleux, les auteurs auraient pu se passer d'avoir la dent dure pour ceux qui pensent différemment, qu'ils se trompent effectivement ou pas : l'hôpital stigmatise la charité. On aurait aimé que l'énergie et la place utilisée à démolir les autres, en plus de celles des répétitions, soient consacrées à étayer des pétitions de principe gratuites.
Une erreur assez commune pour être pardonnable est que les femmes « ignorent leur période d'ovulation ». Ce qui est vrai de femmes occidentales ne l'est pas forcément dans d'autres cultures ; pour me limiter à un cas que je peux attester, certaines Africaines connaissent assez leur corps pour indiquer à leur partenaire de s'abstenir durant l'ovulation (ou au contraire de la mettre à profit), et ce avec une fiabilité bien supérieure à la méthode Ogino.
Comment peut-on confondre inceste et pédophilie, qui ont pour seul rapport de se recouper en partie ? Comment peut-on parler d'inceste dans un livre sur le sexe sans aucune idée de la révolution lévistraussienne (évidemment, quand on n'a pas compris de qu'était l'exogamie…) ? Comment peut-on benoîtement écrire que « dans notre espèce, 10 à 15 % des enfants proviennent d'un adultère » ? Sur la base d'une « statistique de l'espèce » ? Y compris Habilis, limitée à Sapiens ? Avec des chiffres valides quels que soient le milieu social, la culture, l'ethnie, le pays ? Incluant strictement les enfants adultérins ou tous les enfants « illégitimes » (la part des uns et des autres nous intéresserait…) ? Incluant l'adultère des femmes et celui des hommes (contrairement à l'exogamie, l'adultère peut être simple ou double…) ? Qu'elle ait une racine dans une quelconque étude scientifique, un quelconque sondage ou une estimation au doigt mouillé… une telle formulation est caractéristique de l'amateurisme du livre. On pourrait multiplier les exemples : quelle étude permet de généraliser « l'activité sexuelle intense des couples nouvellement formés durant 3 à 5 ans », faisant ensuite place à l'attachement ? Et quant au décalage temporel important entre l'orgasme masculin et féminin affirmé sans nuance : quid des femmes ayant couramment 2, 3, 5 orgasmes avant celui de leur partenaire (bizarrement reconnu par les auteurs… pour les seules femmes qui « culturellement, en ont entendu parler » [sic]) ?
Naturellement, tout n'est pas à jeter dans cet ouvrage, et je ne cherche pas à dire qu'on n'y apprend rien. le problème est que faute d'éléments précis et rigoureux auxquels on pourrait s'accrocher, rien ou à peu près n'est exploitable sans contrôle. Quelques chapitres font exception : le chapitre 3 de la première partie
Pascal Picq est ici dans son domaine de compétence et cette partie présente une tout autre densité ; les chapitres 2 et 3 de la seconde, qui rendent plus factuellement compte des étapes de la connaissance de la sexualité, spécialement celle de William Masters et
Virginia Johnson. Hélas, à peine cet historique refermé, on plonge dans une nouvelle énormité : celle d'une sexualité tabou dans « toutes les sociétés traditionnelles » où « les pulsions [auraient été] canalisées » et où l'intimité n'aurait été vécue « que dans le secret conjugal ».
Plus généralement, on ne saurait reprocher aux auteurs de constater la domination masculine ni d'en contester le bien-fondé ; ce qu'on peut leur reprocher, c'est de confondre une approche moraliste et néo-bien-pensante avec une approche scientifique… qui du coup cesse de l'être. « Ce qui nous importe le plus, c'est de savoir si nous sommes normaux ou déviants, conformes ou révolutionnaires… » Tout est à peu près dit…
L'ensemble laisse une impression très désagréable : celle d'un ouvrage de vulgarisation journalistique mal maîtrisé et débordant de subjectivisme, d'un sexypédia dont on aurait retiré la seule légitimité : le contrôle et l'amendement par les pairs. C'est à se demander si
Pascal Picq et
Philippe Brenot, qui doivent valoir mieux que ça, l'ont vraiment écrit. Où sont la rigueur et l'érudition d'un
Lévi-Strauss faisant progresser ses idées au fil d'innombrables exemples référencés et de déductions d'une précision mathématique, sans que pourtant le plaisir à le lire pour un non-spécialiste en souffre ?