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Critique de isabelledesage



Dans ce premier roman, Nathalie Piégay enquête sur la mère cachée de Louis Aragon qui est l'auteur d'un livre jamais édité, intitulé Sous le masque. Ce roman, nous permet de revisiter à la fois l'oeuvre et l'existence d'Aragon à travers ses écrits, sa vie familiale où règnent mensonges et secrets, la guerre et son engagement politique. Mais tout au long de ce livre à la fois ancré dans le présent de la narratrice-chercheuse et dans le récit fictif découlant des ses découvertes, Nathalie Piégay tente de saisir la personnalité et la vie de Marguerite Toucas-Massillon, personnage qui n'a de cesse de l'obséder et pour lequel elle s'est passionnée. L'écrivain montre au lecteur le cheminement de ses recherches qui amènent son lot de questionnements prenant une tournure personnelle voire, existentielle. Il me semble que ce long et conséquent travail de recherches dans le but de découvrir le vrai visage de celle qui n'apparaît qu'en « bas de pages » est peut-être une façon détournée et délicate de parler de soi, une sorte d'autobiographie indirecte qui permettrait à Nathalie Piégay de revenir sur ses origines, de considérer la fuite irrévocable du temps à un moment de sa vie où l'on se tourne sur son passé de part des événements personnels ou tout simplement à un certain âge. Les écrits de Marguerite, sa discrétion, sa place à l'ombre d'Andrieux et de Louis Aragon, ses photographies et sa correspondance ont touché l'auteur qui laisse entrevoir des souvenirs de son enfance, sa famille, sa ville d'origine (Lyon ou est aussi né Andrieux), ses enfants, l'homme « qui l'accompagnait » (au début du roman mais qui n'apparaît plus par la suite) ou encore ses origines sociales évoquées à mots couverts : « "Mode et roman", "Les Dimanches de la femme" et les romans à l'eau de rose de Marguerite me rapprochent de ma grand-mère et de mes tantes plus que le Paysan de Paris, le Fou d'Elsa ou La Mise à mort. Ces vieux magazines pour dames sont si semblables aux numéros de Modes et Travaux que je feuilletais, des après-midi durant, pendant les grands vacances, avec ma cousine Sophie. [...] J'éprouve toujours la même fascination pour les mots des métiers, jardinier, menuisier, couturière ou cuisinière, pour la précision de la langue, qui rappelle celle du geste, mesuré, appliqué, celui qui donne le résultat attendu, pile poil comme on disait, ça tombe juste [...] ».
Ce récit questionne aussi l'intérêt de l'art, sa place, sa fonction dans la société, entre engagement, innovation ou pure distraction (Louis Aragon a reproché à sa mère d'écrire des romans à l'eau de rose, romans qui lui ont permis de vivre et de donner du plaisir à celles qui en avaient besoin). Peut-être que de la même façon, Nathalie Piégay s'interroge sur la place de la recherche littéraire et de l'enseignement dans nos sociétés où les compétences deviennent plus importantes que la connaissance, la langue française est noyée sous l'omniprésence des anglicismes, la réflexion se délite au profit de la consommation d'articles courts, d'images, de videos, l'histoire de l'humanité se résolvant le plus souvent à l'instant présent. Si ce récit à l'intérêt de nous montrer le travail d'un chercheur tout en nous faisant découvrir la vie cachée de Marguerite, il nous donne ou nous redonne envie de lire Aragon, qu'il s'agisse de ses romans ou de ses poésies. Ce récit nous fait réfléchir à la vie, à l'histoire et rend hommage à la littérature, à la langue et au plaisir de lire.
« J'ai oublié certains gestes, j'ai refusé d'en apprendre d'autres, mais je rêve encore, avec Marguerite, sur maroufler, cheminer, repiquer, sur les noms des points de broderie que ma mère m'avait appris, les jours échelle et les points Palestrina, sur les abeilles et les mouches qu'on fait pour stopper une fente de jupe, sur le passé plat ou le passé empiétant. Les tricots et les chandails, les gilets de corps et les cache-nez, le nylon et le tergal ont disparu des magazines de couture, et tant d'autres sont apparus, les sweats en polaire et les tops en viscose, en modal et en lyocell, les kits et les sets. On apprend désormais avec Modes et travaux à customiser, à faire un coussin vintage, un snood à pompons et, après le crochet et le tricot, on se met au scrapbooking et à la décopatch… Tout a changé et rien n'a changé ».

Enfin, le personnage de Marguerite et celui des soeurs, ces femmes dont on ne peut décrire l'existence que par celles des hommes, les non-mariées, mal-mariées, filles-mères, les passionnées, silencieuses, secrètes, me fait beaucoup penser aux soeurs, servantes ou tantes dévouées et discrètes des romans de Claude Simon. Nous reviennent en mémoire ces femmes qui parcourt les villages à la recherche de la tombe du cher disparu dans L'Acacia ou bien Batti, servante mutique et totalement dévouée au général dans Les Géorgiques. Nathalie Piégay, spécialiste de Louis Aragon et de Claude Simon avait dressé un portrait touchant de Batti dans le cadre d'un essai universitaire.
Il semble que Nathalie Piégay soit très sensibles à ces femmes qui n'ont pas eu droit à la parole, qui n'ont pas eu la place qui leur revenait, à celles qui toute leur vie sont restées fidèles à un amour sans avenir, à la chair de leur chair, à leur frère, à leur père, les femmes de l'ombre.















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