Un ouvrage choisi, acquis le 21 août 2018- Librairie Caractères/ Issy-les-Moulineaux- ****Repris lecture juillet 2021
« Rien n'est vrai, tout est inventé, mais l'enfant est baptisé. Il a tôt compris que la vérité n'existe pas, qu'il faut lui préférer l'entre chien et loup de l'invention.D'autres en auraient perdu la raison. Il y a gagné le battement de l'imagination. “(p. 79-80)
Une lecture passionnante sur l'histoire de la filiation de
Aragon, et une mise en avant d'une femme oubliée : la vraie mère d'
Aragon ! Je ressors de cette lecture à la fois attristée par le sort ingrat de
Marguerite Toucas-Massillon, la mère du « grand homme »,
Aragon, à qui il n'a même jamais présenté sa femme,
Elsa ! et à la fois , reconnaissante à
Nathalie Piégay, qui a fait revivre cette femme, qui écrivait, traduisait, se battait pour garder indépendance et dignité ! Elle fut reléguée, mise dans l'ombre à la fois par l'homme qu'elle aimait,
Louis Andrieux, journaliste , préfet de police , homme politique…et par son fils…
La « Femme invisible » : le titre est des mieux choisis !
J'ai appris différentes choses sur
Aragon dont sa relation passionnée avec
Nancy Cunard… qui précéda sa rencontre avec
Elsa Triolet, comme son apprentissage de la langue russe avec sa « muse »…
J'avoue qu'
Aragon ne sort pas vraiment grandi de ce récit… L'obsession de l'écriture, au point de « dévorer » tout ce qui peut le nourrir ; je me permets de transcrire l'extrait suivant qui en dit long sur ses rapports aux autres et à ses intimes…
« [
Aragon ] Il écrit. Il dévore. Il détruit. Il s'alimente à ce qu'il dévore et à ce qu'il détruit, il ramasse tout, les brindilles, les planches flottées, les restes calcinés, les bois verts et les charbons noircis puis il rassemble tout dans le grand bûcher de l'écriture, pour qu'ils y flambent (...)
A
Elsa, il a pris beaucoup plus qu'un titre de roman. Une longue lettre qu'elle lui avait adressée, une lettre en forme de réquisitoire, où elle dit sa solitude, la solitude de la femme que le poète mythifie et néglige, l'isolant dans des châteaux impuissants de mots, de vers et de rimes, elle qui ne doit jamais le précéder, ni le ralentir, ni le suivre, ni le déranger, ni le laisser seul, une femme qui a vécu des années seule à ses côtés. Ces mots n'auraient jamais dû sortir de la chambre, il les prête à l'un de ses personnages , Blanche, comme si elle les avait écrits à son mari, Gaiffier. Il efface
Elsa. (...) lui, l'écrivain, passe pour l'auteur des mots fictifs. Alors pour finir il passe sous silence les mots terribles d'
Elsa : "Même ma mort c'est à toi que ça arriverait" (p. 329) »
Une biographie où on sent fortement combien
Nathalie Piégay s'est investie dans son « personnage » et s'y est attachée !... Elle réussit à nous communiquer sa curiosité et son empathie envers
Marguerite Toucas-Massillon, la mère du « grand homme »… je ne peux m'empêcher de joindre à cette expression, quelque ironie acide…!
« J'arrive à la fin de cette histoire. Une histoire de famille dans laquelle tous écrivent. (...)
Avec ces livres publiés, et tous les romans de Marguerite, j'ai voulu raconter la vie de cette femme. Parce qu'elle a écrit, elle aussi, comme son fils, son frère, comme Andrieux,
Elsa et Nancy |Cunard ], j'ai pensé que je pourrais mieux la saisir et que la zone d'invisibilité qui l'entourait se réduirait. Dans ma famille, les femmes étaient vraiment invisibles, hors de l'histoire, de celle qu'on raconte. (p. 310)”
Hormis les magnifiques
poèmes d'amour à
Elsa, superbement interprétés par
Jean Ferrat, je n'ai jamais lu de romans d'
Aragon. Il serait souhaitable que je le fasse pour dépasser mes à-prioris et mes résistances envers cet écrivain... que je traîne depuis trop longtemps !
[*****Biographie de
Louis AndrieuxLouis Andrieux (1840-1931) a été le premier préfet de police de la République, après la chute du Second Empire, mais aussi député, ambassadeur de France à Madrid, directeur de journal, écrivain. Défenseur d'importantes réformes sociales (divorce, droits de la femme), il est l'auteur d'une dizaine de livres parmi lesquels : La Paix et la République (1871), La Révision (1889), La Commune à Lyon en 1870 et 1871 (1906), A travers la République (mémoires, 1926)... Ses Souvenirs d'un préfet de police ont paru en 1885. Il est le père " naturel " de
Louis Aragon.]