Pour
Wendell Pierce, acteur de
théâtre et de séries (The wire, Treme, Suits), l'ouragan Katrina, qui, en 2007, dévaste la Nouvelle-Orléans, est un «catalyseur ».
« La tempête m'a révélé quel garçon j'avais été, quel homme j'étais, et celui que je voulais devenir. Elle m'a fait revenir chez moi, à La Nouvelle-Orléans, pour honorer mes ancêtres et les habitants de ma ville natale, ses morts, ses vivants, en donnant tout ce que je pouvais pour faire se relever et reconstruire notre chère communauté ».
Sur un champ de ruine, il incarne Estragon, dans la pièce de
Beckett,
En attendant Godot (d'où il tire le titre du livre :
le vent dans les roseaux) :
« Ne perdons pas notre temps en vains discours. Faisons quelque chose, pendant que l'occasion se présente! Ce n'est pas tous les jours que l'on a besoin de nous. Non pas à vrai dire qu'on ait précisément besoin de nous. D'autres feraient aussi bien l'affaire, sinon mieux. L'appel que nous venons d'entendre, c'est plutôt à l'humanité tout entière qu'il s'adresse. Mais à cet endroit, en ce moment, l'humanité c'est nous, que ça nous plaise ou non. Profitons-en, avant qu'il soit trop tard. Représentons dignement pour une fois l'engeance où le malheur nous a fourrés. »
Cette pièce,
En attendant Godot, hymne à la résistance, est un succès incroyable. Suivra un chant de résurrection et une force collective admirable, pour reconstruire ce quartier détruit : Pontchartrain Park.
« Godot, bien sûr, ne viendra jamais. Vladimir et Estragon sont-ils des héros, ou des imbéciles ? Leur persévérance face à l'absurdité est – elle un signe de leur indomptable volonté de vivre ou de leur suprême idiotie ? (…) Comment qualifieriez-vous ces gens qui ont défilé en musique à travers les ruines de leur ville ? S'agissait-il d'une affirmation de la vie face à la mort, ou seulement de badauds faisant n'importe quoi à un moment qui exigeait au contraire un minimum de gravité ? Que diriez-vous de ces gens qui se sont rendus en voiture dans un quartier dévasté pour regarder une pièce de
théâtre lugubre, s'interrogeant sur le sens de la vie, jouée dans ce qui s'apparentait à un cimetière ? Etaient-ils des sages ou des fous ? »
Elan collectif, et combat personnel pour
Wendell Pierce qui va s'investir corps et âme dans la reconstruction de la maison de ses parents, fiers propriétaires après 30 années de traites, et de leur quartier.
Le roman commence par Katrina, part ensuite un peu dans tous les sens (comme la tempête), et se termine par sa foi, son pèlerinage à Fatima, après quelques larmes (l'élection d'
Obama, le décès de sa mère…)
Wendell Pierce nous livre le récit de sa vie, lui, arrière petit-fils d'esclaves, ses parents, très croyants, ses frères, la communauté noire.
Il cite
Albert Murray « Nous sommes une nation de pionniers, (…) bâtie par des gens qui ont dû apprendre à résister face à l'adversité. Personne n'a autant souffert que les esclaves africains Et la musique qui est née de l'esclavage – le blues et, plus tard, le jazz – est l'expression la plus pure de l'esprit américain ».
Il voit « l'art comme l‘intersection de la conscience d'un individu et de celle d'un peuple ».
Il parle de
Dostoievski, de
Tchekhov, de la Leçon de piano (grâce à laquelle il a percé à Broadway en 1991 avec le rôle principal, et qui démontre pour lui « le pouvoir qu'a l'art afro-américain de lancer un pont entre passé et futur »), de l'impact de
la case de l'oncle Tom (
Abraham Lincoln aurait dit à son auteur,
Harriet Beecher-Stowe : « Ainsi vous êtes la petite femme qui a écrit ce livre qui a déclenché cette grande guerre » )…
Wendell Pierce évoque la magie de la série The wire, dans laquelle il incarne Bunk, un détective. « Quasiment tous les agents et inspecteurs noirs que j'ai rencontrés m'ont dit qu'ils avaient intégré les forces de l'ordre pour défendre leur communauté »
Wendell Pierce n'oublie pas le don du ciel qu'a constitué la série Treme où il incarne Antoine Batiste, un joueur de trombone professionnel. Série qui se passe chez lui, à la Nouvelle-Orléans, où il revient pour les 3 dernières années de la vie de sa mère. L'affiche de la saison trois de Treme : « Ouragans. Inondations. Exil. Crime. Corruption. Trahison. Cupidité. Négligence. C'est tout ce que t'as ? » « Je vois (…) en elle le symbole de la résistance des Afro-américains : esclavage. Pauvreté. Lois Jim Crow. Ségrégation. C'est tout ce t'as ? »
Bénévole à la campagne d'
Obama en 2008, il est en larmes lorsque le Président est élu. « Ma mère, petite-fille d'esclave, qui dans son enfance au bayou avait vu le Ku Klux Klan incendier la voiture de ses voisins, avait pu, de son vivant, se rendre à la Maison-Blanche, invitée par le premier président noir des Etats-Unis. Tout cela en l'espace d'une vie. C'était ça, l'Amérique ».
Pour
Wendell Pierce, « l'art et la religion sont des passerelles ».
Son livre est une immense et salvatrice bouffée d'émotions et d'espoir.
L'espoir que nous ayons tous une place, sur ces passerelles.
Parce que, comme le dit
Beckett,
« L'humanité c'est nous, que ça nous plaise ou non. Profitons-en, avant qu'il soit trop tard. Représentons dignement pour une fois l'engeance où le malheur nous a fourrés. »