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Critique de Sarindar


Publiée chez Plon en 1961, cette biographie de Pierre 1er, dit Pierre le Cruel, roi de Castille et de Leon de 1350 à 1369, fait honneur à son auteur, Francois Piétri, même si elle manque parfois d'impartialité, et elle reste, à ce jour, l'un des meilleurs travaux écrits sur le personnage.
Pierre 1er de Castille est sur le plan factuel, le fils légitime, mais tard-venu, d'Alphonse XI de Castille, et de Marie, fille d'Alphonse IV le Brave, roi du Portugal. Il est né a Burgos, le 30 août 1334.
Son père, Alphonse XI n'était pas un fidèle époux : il avait pris maîtresse dans l'année qui suivit son mariage, en la personne de Leonor de Guzman, qui lui donna dix enfants ; trois de ces enfants eurent un rôle a jouer dans l'Histoire de la Castille, Henri qui fut fait comte de Transtamare, Fadrique qui fut désigné comme Grand Maître de l'Ordre de Santiago à l'âge de deux ans (!!!) et enfin un certain Tello. Leur mère, dona Leonor, par les faveurs et largesses que lui témoignait Alphonse, était considérée comme la "dame propriétaire" du royaume, ce qui ne pouvait que rendre Marie maladivement jalouse, et sans doute celle-ci monta-t-elle son fils, Pierre, contre la favorite d'Alphonse.
Plus avisé en politique et sur le terrain militaire que dans sa vie domestique, Alphonse XI écrasa la dynastie musulmane des Mérinides à Salado, en 1340, écartant ainsi la dernière menace nord-africaine sur l'Espagne catholique.
Mais quand il mourut en 1350, il laissa son pays à la merci d'une lutte presque fratricide entre Pierre qui était son successeur désigné sur le trône de Castille, et les enfants que lui avait donnés sa maîtresse.
Le jeune Pierre grandit donc avec la rancoeur au ventre et bien tristement entre les murs de l'Alcazar de Séville. Jean Alphonse d'Albuquerque, précepteur et conseiller, guida ses premiers pas, mais le moins que l'on puisse dire, c'est que dom Pedre ne retint pas les leçons de diplomatie et de modération que l'on tentait de lui inculquer, en essayant de lui faire tenir la balance égale entre sa mère Marie et dona Leonor, dont les fils étaient des rivaux possibles.
Sitôt son père mort, Pierre 1er, sans doute conditionné par sa mère, se fit livrer la personne de la maîtresse de ce dernier et la fit enfermer au château de Carmona, tandis qu'il envoyait Fadrique et Tallo en résidence surveillée en Estremadure. Mais Pierre tomba gravement malade, et cet événement encouragea les ambitions d'un certain nombre de prétendants à la couronne de Castille, parmi lesquels Fernand d'Aragon et Jean Nunez de Lara se déclarèrent.
Du coup, Pierre, se sentant en danger, réagit de façon cruelle, d'où le surnom dont on l'affubla. Parmi ses premières victimes, il y eut la maîtresse de son père, Leonor, étranglée et achevée avec une dague par un écuyer, et cela montre de quoi le redoutable Pierre le Cruel était capable. Voulant se mettre hors de danger, Henri de Transtamare et Fadrique 1er allèrent le premier dans les Asturies, le second en Biscaye. Pierre n'a alors qu'une idée en tête : assouvir sa vengeance contre tous ceux, et ils sont nombreux, qui pourraient lui faire payer le meurtre de Leonor. Ces ennemis, réels ou fantasmés, vont tomber par dizaines : ceux des amis de son père qui se montrent trop favorables à Leonor, les partisans de Jean de Lara, tant qu'il en reste, ou encore le fils de ce dernier qui est mis à l'abri des entreprises criminelles de Pierre.
Bien qu'il soit indubitablement le fils et le successeur légitime du roi Alphonse XI, Pierre se sent contesté par une part importante de la noblesse et pour asseoir sa légitimité, il convoque les Cortès, qui sont théoriquement seules habilitées à confirmer son installation sur le trône. En contrepartie, Pierre interrogea les Cortès afin qu'ils fissent connaître leurs revendications et leurs doléances. Contrairement à ce que disent certains qui voudraient nous faire croire que le Cruel aurait pu être un bon roi, le libéralisme dont il sut, par force, faire preuve à cette occasion n'est pas à mettre au compte d'une tendance naturelle ou d'une sage vision politique, mais plutôt à celui d'un vulgaire opportunisme, ce que montre bien François Piétri. Il renforça momentanément les droits des municipalités, favorisa et soutint la montée en puissance de la bourgeoisie citadine et prit sous son aile protectrice les Juifs, parce que c'était son intérêt bien compris et qu'il payait de cette façon le prix de la reconnaissance formelle par les Cortès de son droit à régner. Il rallia aussi à lui certains nobles en leur promettant de maintenir pour eux une complète exemption fiscale. Mais tout cela n'était que leurres comme l'a bien montré François Piétri.
La suite est plus connue, et fait que la Guerre de Cent ans entre France et Angleterre s'est un moment exportée en Castille, à la faveur de la guerre de succession qui s'y déroulait. le roi de France, Charles V le Sage, soutint la cause d'Henri de Transtamare, et le roi d'Angleterre épousa celle de Pierre le Cruel. le roi, profitant de l'occasion pour vider le territoire français des redoutables bandes de soudards des Grandes Compagnies, les plaça sous l'autorité de Bertrand du Guesclin pour aller faire la guerre en Castille contre dom Pedre. Cette armée fut d'abord vaincue par Pierre le Cruel, soutenu, pour la circonstance, par les troupes anglaises du Prince Noir, Édouard de Woodstock, fils du roi Édouard III d'Angleterre, ce qui se traduisit par la défaite de Najera en 1367, entraînant la fuite provisoire d'Henri de Transtamare, qui franchit les Pyrénées et alla se terrer dans la forteresse de Peyrepertuse, au coeur des Corbières. Mais le Transtamare était loin d'avoir dit son dernier mot. Une fois de plus aidé par du Guesclin, il revint en force en Espagne en 1369, vainquit les forces de Pierre 1er près de Calatrava, et contraignit ce dernier, pris au piège, à s'enfermer dans le château fort de Montiel. le lieu est cerné, et, pris dans cette souricière, Pierre n'a plus d'autre choix que de se constituer prisonnier. Nous sommes le 13 mars 1369, et le dernier acte du drame se joue là, en pleine nuit : Pierre ne pourra plus jamais nuire à personne, car Henri de Transtamare le tue de sa main, et, par ce geste, s'ouvre le chemin qui va le conduire tout droit vers le trône de Castille.
Au-delà de ces épisodes sanglants et de cette série d'événements, il convient de remarquer que cette intrusion des Français dans la politique castillane comportait un enjeu de taille : c'est qu'elle avait besoin de la puissante flotte de Castille pour faire échec à la marine anglaise sur la façade ouest de la France, et ce renvoi d'ascenseur allait permettre de reconquérir le port de la Rochelle sur les Anglais, succès naval rarissime côté français, ce qui mérite d'être noté.

Et maintenant, que penser de Pierre le Cruel, appelé ainsi par les partisans d'Henri de Transtamare, tandis que les soutiens de Pierre préfèrent le surnommer le Justicier ?
Le théâtre, la littérature et L Histoire eurent beau essayer, dès 1730, de corriger cette image négative du personnage, de gommer la réalité, de réhabiliter ce monarque sanguinaire, de le faire passer pour un grand roi garant des libertés de ses sujets, c'est l'adjectif Cruel qui a continué de prévaloir. Même si certains croient dur comme fer, en dépit des évidences, à une légende un peu plus dorée, fabriquée après coup, il est impossible de masquer les crimes ignobles dont Pierre s'est rendu coupable.
le concernant, il existe à mon sens trois pièges : chercher à le blanchir ou en faire une victime alors qu'il garde les mains couvertes de sang ; ne pas reconnaître qu'avec de la bonne volonté cet homme aurait pu éviter tout cela ; enfin que si toutes ces choses avaient été comprises, Pierre aurait pu régner dignement, car il avait aussi des qualités.
Il est vrai toutefois, comme le soulignait plus récemment Frédéric Alchalabi, que c'est sa défaite militaire et politique qui a disqualifié pour longtemps Pierre le Cruel et permis à ses ennemis de le noircir plus encore. Mais de là à le faire passer pour quelqu'un qui n'aurait agi que dans son droit et à bon droit, c'est d'un cynisme comparable que de prétendre que la fin peut justifier les moyens, ce qui n'est certainement pas acceptable, vu ce qui s'est fait et comment cela a été fait.

François Sarindar, auteur de : Jeanne d'Arc, une mission inachevée (2015).
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