FLEUR DU JAPON
Fille en fièvre dans un drap d’eau
S’ouvre se ferme s’épanouit
Comme une fleur japonaise.
Le jeu simule une treille
Tout autour de la peau qui luit
Tout au long de la peau complice
Feuilles rouillées feuilles mortes
Sous la chute des soupirs.
Pétales vains papillonneries
Entre deux gouffres de sommeil
Les ailes dorées des caresses
Ne remuent que poussière
Leurs grâces caduques
Ne nous arrêteront plus.
Mais les eaux brunes du regard
Où dort le bruit de la mer
La terre fauve au fond des yeux
À la lisière de la personne
Aux bords glacés de l’être
Et de la nuit de tous les temps.
Perdre pied gagner l’air
Dans la nuit des bois de la mer.
Une autre vie à d’autres tempes
Dans le noir de toute la vie
Une autre vie obscurément
Sève ruisselant vers la rose
Glace qui casse au printemps
Tourterelles envolées
Dans la crasse d’un ciel de suie.
Puis le sang reflue en ce corps
Qui se croyait le cœur du monde.
NUITS
Des nuits parfois sont mornes.
Les jardins n’ont plus d’odeur
Il n’est plus de frisson aux feuilles
Le ciel bas est plus rouge entre tant de portiques
Les places sont hantées de spectrales statues
Qui passe en vain s’y hâte.
Des nuits s’appesantissent à l’égal de nos jours.
Nuits d’une vieille ville
Trop vieille
Sans oiseaux sans licornes
Sans cavaliers ni dames folles
Ni faons blessés ni biches ni loups-cerviers
Ni sang frais sur les murs des palais ancestraux.
Les jeux de mains les jeux de mots sont feux
Jeux de mots jeux de mains où l’amour s’égarait
Parmi les cascades les lucioles les pierreries
La mousse des dentelles rompues
Les écharpes de soie jetées sur des yeux fiers
Les rires sous les pluies de pétales.
Nuits comme un théâtre de velours défunt
Où s’exaltent nos souvenirs diminués.
Matins étayés de béquilles.
Il reste un goût de cendre et de pourri
Un goût de fleurs croupies d’eaux fanées
Ce goût d’être déçu qui nous plaît plus que tout.
André Pieyre de MANDIARGUES – Un siècle d'écrivains : L'amateur d'imprudence (DOCUMENTAIRE, 2000)
Émission « Un siècle d'écrivains », numéro 249, intitulée « L’amateur d’imprudence », diffusée sur France 3, le 7 décembre 2000, et réalisée par Evelyne Clavaud.