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EAN : 9791034906949
320 pages
Liana Lévi (06/10/2022)
3.97/5   88 notes
Résumé :
L'enfance de Pia, c'est courir à perdre haleine dans l'ombre des arbres, écouter gronder la rivière, cueillir l'herbe des fossés. Observer intensément le travail des hommes au rythme des saisons, aider les parents aux champs ou aux vaches pour rembourser l'emprunt du Crédit agricole. Appartenir à une fratrie remuante et deviner dans les mots italiens des adultes que la famille possède des racines ailleurs qu'ici, dans ce petit hameau de Charente où elle est née. >Voir plus
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Un famille de paysans dans les années 70.
On les appelle “Panzanis”, car les parents venus s'installer en Charente viennent du pays des “papaveri”*. Leur gagne-pain, leur rempart, sont les vaches. Ces “mucche” comme les appellent les parents, qui semblent des prieuses, silencieuses et patientes, et “entrent à l'étable comme les mémés à l'église, chacune à sa place sans regarder les autres”.....Et qu'on devrait “aimer davantage, comme des personnes, pas seulement comme des remparts contre la pauvreté”.
Ils sont cinq enfants, dont la cadette Pia de dix ans. C'est elle, l'alter ego de l'écrivaine, qui nous raconte cet univers de labeur, où ils arrivent à peine à vivre de leur travail, où les enfants besognent à plein temps à la ferme hors des heures d'école , et même si ce n'est pas la misère totale, le père doit tous les mois se tortiller devant le gars “ impeccable comme un maître d'école en mieux habillé “, le directeur du Crédit agricole, (« Les jours de Crédit agricole, je le sais tout de suite, c'est moi qui cire les chaussures......Papa dit qu'il a plus de dettes autour du cou que la reine de Belgique de perles à son collier.»).
Et puis il y a Joël, le garçon pas comme les autres, et ça c'est une autre histoire. Et enfin les orties, celles du titre, alors là il y a plus d'une histoire .....

Émouvante, touchante cette très belle prose de Pagani, à l'humour subtil. Elle noie la rudesse et la tristesse de cette vie paysanne dans les mots et les métaphores qui irradient le texte, et en deviennent sa force. On sent qu'elle a la nostalgie de cette enfance campagnarde en communion avec la nature et les bêtes, mais où pourtant elle “n'a pas grandi avec du Nutella entre les doigts mais avec la glaise, la sueur, les caresses animales et la sale matière du travail pur “. Bien que dans le fond, ce ne soit qu'une niéme chronique d'une vie rural, le vrai talent d'écrivaine de Pagani en fait une ode à un monde en voie de disparition, celle de la richesse du sentiment d'appartenance au monde de la terre, un monde qu'elle a dû quitter pour un autre, mais auquel elle accepte pleinement son appartenance, même si ce n'est plus qu'au passé.
Je dois cette lecture à Mollymon, que je remercie en passant. Si vous aimez ce genre d'histoires, c'est magnifique, n'hésitez pas.

« ....tout est permis, la vie rêvée, la vie ratée.....Longueur d'un rêve : une nuit et toute une vie. »

*Coquelicot en italien.
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Ce livre sent merveilleusement bon. Il sent la grappa servie dans les tasses de café, il sent la poussière d'été à l'éclatement d'une meule de foin, le vert anisé des orties ramassées, les effluves matinaux de chicoré, l'odeur douceâtre et melliflue de la peau du lait chaud, celle écoeurante des fleurs de pommes de terre.
Il a la riche musicalité de la campagne : les abois des chiens, les sabots des vaches, le tintement de leurs chaines contre les mangeoires, leurs meuglements et leurs cascades d'urine, les cris des tronçonneuses, le bruit perlé des feuilles au vent, la giclée soudaine du lait dans le sceau en fer, les frous frous de la paille propre, les cris des enfants, le sifflet de la Cocotte-minute, le bruit éraillé du moulin à café, le clapotis de la polenta sur la cuisinière.
Et il est assorti de couleurs, souvent vives, rouge sang, rouge coquelicot, vert presque bleu poussant à la communion avec la nature, parfois ternes à l'image de ces petits villages en décrépitude :

« Tout est gris ici, le portail des granges, les volets en bois délavé, les chiens bâtards, les tabliers des femmes et les murs. Avec Nonna, on avance dans la tristesse du soir sans dire un mot. J'ai envie de crier juste pour avoir l'écho de la vie qui pourrait sortir d'une fille comme moi dans ce pétrin d'ennui ».

Les sensations enfantines d'un lieu, celui de la campagne charentaise, d'une période, les années 70, sont restituées avec sensibilité et émotion, avec sensualité. Sensations rassurantes et éternelles pour celle qui comprend si bien les paysages et les gens, la petite Pia, qui n'est autre que l'auteure.
A la lecture de ce livre, senteurs, sons, couleurs, se sont fourrées dans ma tête telles des graines semées dans le terreau fertile de ma mémoire de quadragénaire. L'écriture de Paola Pigani, écriture de dentelle, y a fait éclore de petites fleurs sépia, des fleurs de nostalgie, poussées entre les interstices, faisant surgir ce qui s'était immiscé en moi. J'ai l'impression d'être comme les tiroirs de l'armoire de la grand-mère de Pia, où « il y a du bruit à l'ouverture et à la fermeture. Les souvenirs crient de voir le jour ».

Les parents de cette famille paysanne installée en Charente viennent d'Italie. Leurs modestes revenus proviennent du lait des vaches, ces vaches qu'on « devrait aimer comme des personnes, pas seulement comme des remparts contre la pauvreté », ces vaches avec leur pis gonflés qui ballottent entre leurs pattes, « lourdes et lentes de tout leur lait et de la fatigue des prés ». Ils sont cinq enfants dont Pia âgé de 10 ans qui nous raconte son univers, un univers aimé mais dur ; c'est en effet un univers d'éreintant labeur, où les enfants aident quand ils ne sont pas à l'école, un monde coincé entre le rien et le peu « Entre ceux qui vivent de rien et ceux qui vivent de peu, il n'y a pas beaucoup d'envieux par chez nous ». Elle nous relate, de son point de vue d'enfant, l'arrivée des quotas laitiers avec les directives de la PAC, l'importance croissante des normes d'hygiène, la grande sécheresse de 1976, le dépeuplement progressif quand les anciens partent. Elle nous raconte de façon poignante son déracinement en pensionnat, son amour vibrant pour sa terre, pour ses habitants.

Même le tragique d'une inondation devient beau sous la plume envoutante de Paola Pigani : « le temps s'est envasé mais c'est beau de me sentir perdue dans ce village que je connais par coeur. C'est beau les saisons qui ravagent et recréent des horizons. le soleil se déclare au fur et à mesure que je m'éloigne du bourg et des champs d'eau ».

Ce récit c'est aussi une course contre la perte de l'enfance, contre ce qui est en train de changer dans la société, ce monde en voie de disparition, irrémédiablement, la petite Pia le sent confusément, de façon viscérale, instinctive, et essaie de retenir le temps :

« Mes doigts se dépêchent, s'enfuient dans le vert, cherchent à reconnaître l'enfance petite, la couleur innocente. Je sens bien qu'il y a autre chose, cette noirceur qui pousse en dessous. Plusieurs couches de saisons et le courage d'y croire encore au pays des parents, à tous ces gens autour qui durent. Un troupeau, des hectares de terre à travailler. Papa et maman sont usés et rien qui balaie la peine de vivre sauf les rires qu'ils s'inventent parfois ».

Ce témoignage c'est enfin l'amour de Pia pour son prochain, quel que soit son âge, quelle que soit sa différence. Une ode aux mélange des générations, un éloge du vivre ensemble, à l'image de l'affection qu'elle témoigne pour les petites mamies au sourire qu'elle aimerait amener avec elle, ou à l'amitié qu'elle ressent pour Joël, bossu :

« Je voudrais qu'il se déplie, le bossu, qu'il soit plus grand que nous tous.
Il vit toujours dehors, à saluer tous les passages, le facteur, le laitier, les troupeaux, les tracteurs. Il doit saluer le vent aussi. C'est un garçon-paysage avec une colline sur le dos qui absorbe les cris des chiens du vieux Ferdinand, les moqueries des récréations, le roulis des saisons. On le voit souvent sortir d'une grange, des buissons ou d'un fossé avec un drôle de sourire qui oublie le poids de sa bosse. Moi, je suis sûre que c'est la bonté qui dépasse de sa colonne vertébrale, un mystère de roche humaine ».

Les mots de Pia, loin de ressembler « à ces petits noeuds durs qui brillent comme sur les fils barbelés autour des prés » sont percutants de beauté, d'émotion, de délicatesse, de trouvailles. Une vibration animiste les enlace pour former un émouvant témoignage de la condition paysanne en France dans les années 70, une photographie de la France rurale de cette période, celle de la fin des Trente Glorieuses, notamment une photo en demi-teinte des agriculteurs non propriétaires de leur ferme et de leur terre, lourdement endettés, soumis aux cadences infernales du productivisme agricole à coup d'engrais et d'ensilage, d'élevage de poulets en batterie. « Avec les meilleurs voeux de bonheur du Crédit agricole qui nous serre un peu le cou ou la ceinture, ça dépend des jours ».

Le titre énigmatique s'éclaire alors, le parallèle avec le magnifique « Des souris et des hommes » de John Steinbeck, parlant lui aussi d'ouvriers agricoles, le parallèle est là, les parents émigrés rêvant eux aussi d'un lopin de terre à eux, d'une maison à eux, d'une agriculture humaine…En attendant, ils n'ont que les fossés et les palisses où ils peuvent cueillir gratuitement les orties pour les mélanger ensuite dans la nourriture pour les bêtes. « Il suffit de les prendre par la douceur et la peau ne sent rien. Je mets mes bras en cercle pour tenir le haut du sac. Nonna le remplit sans rien dire ».

Après une telle lecture, nous avons en bouche le caillé des superlatifs murmurés, et « le dire des arbres et du vent » que nous désirons alors écouter, seuls, sur les talus, le soleil couchant nous faisant un peu larmoyer, une tâche de bonheur sur le front, et des souvenirs devenus d'un coup si vivants…
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Nostalgie d'un passé, qui nous semble si proche et qui nous a construit, peu à peu, en avions- nous l'intuition, sinon la conscience?

Dans les années 70, être enfant d'immigrés, en Charente, c'est ne pas échapper aux sobriquets, macaroni, panzani. C'est aussi pour l'auteur vivre dans l'ombre d'une demeure, habitée par une demoiselle, dont on est les fermiers. Et accepter sans la plus petite arrière-pensée cet état des choses. C'est normal, c'est ainsi. Ce n'est que plus tard lorsque la nécessité de rejoindre le collège que les différences se dessinent avec ce qu'elles impliquent de conséquences : lutte ou rejet, fierté de ses origines ou énergie consommée pour les cacher.

Les pages défilent avec l'enfance, éphémère comme un bouquet de fleurs des champs, et l'auteure sait parfaitement y insérer ces repères dérisoires avec lesquels on se construit une image du monde restreint : a t-on ou non Tout l'univers?

C'est aussi le chant du cygne d'un secteur qui se bat désespérément, pot de terre contre pot de fer, happé par le chant des sirènes d'une organisation qui les dépasse : les agriculteurs vivent la fin d'un monde à visage humain.


Superbe récit d'enfance, où l'on voit poindre la future écrivaine, la poétesse qui écrit déjà sans imaginer alors que cette attirance pour les mots ne la quitterait jamais.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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L'auteur se remémore son adolescence au sein d'une famille de modestes agriculteurs de Charente, dans les années soixante-dix, alors que le monde rural en pleine mutation voit peu à peu disparaître les petites exploitations et mourir les villages.


Pia est la dernière-née d'une famille de cinq enfants, surnommés les Panzanis parce que les grands-parents sont venus d'Italie. La ferme et ses vaches laitières suffisent à peine pour joindre les deux bouts, au prix d'un travail incessant auquel participe activement la fratrie. L'enfance de Pia est pauvre et travailleuse, mais heureuse, au sein d'une tribu turbulente et unie, au contact de la nature et des animaux, dans un village qui connaît l'entraide.


Pia grandit, part en pensionnat à l'heure du collège puis du lycée, se retrouve confrontée à une société éloignée des préoccupations des « ploucs » en pleine crise. Déchirée entre sa fidélité à ses racines et l'appel du large, la jeune fille voit avec impuissance se déliter l'univers de son enfance : son frère et ses soeurs partent chacun leur tour vers leurs destins, les plus âgés et les plus fragiles des êtres chers disparaissent, personne ne reprendra la ferme familiale.


Le récit aux mille détails authentiques observe sans juger et avec humour les petits et grands évènements du quotidien, dans une ode à un monde en voie de disparition, pleine de tendresse et de nostalgie : c'est avec une infinie tristesse que s'impose sans recours l'incompatibilité entre l'énergie et les rêves de la jeune génération d'un côté, la déliquescence d'un univers condamné de l'autre.


Récit personnel et intime, servi par une langue souvent surprenante par ses trouvailles, Des orties et des hommes est un roman sensible et touchant, où l'émotion contenue rivalise avec l'humour, pour évoquer le passage du temps et l'éphémèrité de la vie.


Prolongement avec la petite histoire des orties, dans la rubrique le coin des curieux, en bas de ma chronique sur ce livre sur mon blog :
https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/06/pigani-paola-des-orties-et-des-hommes.html

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Des orties et des hommes est un roman autobiographique dans lequel est racontée l'enfance semi sauvage d'une petite fille de dix ans. On y comprend vite que Pia le personnage principal n'a pas grandi avec du Nutella entre les doigts au goûter, mais avec « la glaise, la sueur, les caresses animales et la salle matière du travail pur ».

« Nous, le temps qui passe, les saisons on s'en fiche, du moment qu'on les relie aux choses de la vie, aux récoltes. Pourtant je grandis, je porte déjà des robes de Dora avec des chaussures d'Adamo. Je ne me regarde jamais dans la glace et je ne suis bien qu'en pleine terre. »

De « son pays perdu de l'enfance », dans une mise en lumière des gestes du quotidien d'une ferme charentaise des années soixante-dix, les yeux de cette enfant à la fois libre et loyale écrivent sur un cahier d'essai des pages et des pages sur le travail de la terre et la vie des animaux, donnant ainsi beaucoup de dignité à la rude vie d'exploitant agricole.

La survie de sa famille d'Italiens exilés nous est dessinée sous la forme d'un récit très intimiste rendu ultra sensible grâce à une plume ciselée mais aussi poétique là où, vu le contexte, on s'attendrait à autre chose de plus chaotique. C'est d'ailleurs toute la gageure de ce type de récit que d'être à même de déposer ça et là tant de douceur.
« Mais qu'a-t-on à gagner à vivre loin des arbres et de nos bêtes ? » se demande-t-elle lorsqu'avec l'âge elle est obligée de partir découvrir d'autres cultures que la sienne, notamment au pensionnat. Alors, une colère souterraine sera exhumée de ses retranchements intellectuels pour l'accompagner ensuite partout où les cloisonnements de caste projetteront moults injustices et dysfonctionnements sociaux.

« La pension, c'est les soeur grises ou les professeurs raides comme des branches mortes ».

Ce qui éclaire aussi ce texte original, c'est la plongée dans la question des racines, du déterminisme social, de l'exil (des grands-parents et parents entre autre). La langue se dessine de manière imagée dans la lignée de Raymond Depardon.

« Est-ce que ce pays est trop petit ou bien trop grand ici ? »
Hélas, même si j'ai apprécié la teneur et l'effort d'écriture précédemment décrits, les bruits du « froufrou de la paille propre et de la cascade d'urine des vaches » m'ont lassée assez rapidement. Les cris des frères et des soeurs dans la cuisine, le tac-tac du sifflet de la cocotte-minute… ne m'ont pas passionnée.
« Comment trouver sa place dans une vie en vrac ? » n'est-il pas finalement la grande question que chaque personne équipée d'un minimum de sensibilité s'est posée à un moment ou à un autre ? Rien de transcendant là-dedans, parce que l'auteure a fait le choix de pas aller au fond des choses (comme le fait si bien Annie Ernaux) préférant le travail de la langue avant tout, et la beauté des images littéraires.

Certes, la fraternité et le respect qui existent entre ces gens-là, malgré la douleur et la dureté de leur quotidien et les conflits inhérents au monde agricole sont touchants, mais j'ai trouvé que ce texte manquait aussi de rythme.
Pour moi, cette chronique intime n'explore pas suffisamment les âmes des uns et des autres, restant trop en surface des faits et des actes qu'ont recueilli les yeux et les oreilles de l'enfant PIA.

C'est donc un sentiment de déception que je ressens à l'issue de cette lecture trop longue pour moi, même si je suis certaine que cette lenteur peut plaire à d'autres.


Lien : http://justelire.fr/des-orti..
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critiques presse (3)
LeMonde
08 mars 2021
Dans un long poème en quatre chants, Paola Pigani rend hommage à son père, déjà évoqué dans son roman « Des orties et des hommes ».
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeSoir
20 juin 2019
Paola Pigani plonge dans son enfance, en Charente dans les années 70. Entre un monde paysan qui se meurt et la liberté des grands espaces. Des orties et des hommes est le beau roman d’une nostalgie heureuse.
Lire la critique sur le site : LeSoir
LeMonde
26 avril 2019
Avec ce roman autobiographique, l’écrivaine et poète dit ce qu’elle doit, reconnaissante, à sa jeunesse dans une ferme charentaise.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
Pour la vente du lait, on préfère y aller à deux pour compter la monnaie. Les mémés de Cellefrouin sont gentilles même avec leurs bises piquantes. Ce soir, c’est le type qu’on n’aime pas, celui qui passe tous les dimanches sur sa mobylette pour aller voir son film cochon à Chasseneuil, la ville des magasins. Sous le béret de traviole, ses yeux sont bombés et brillants comme son bidon en aluminium. On ne le regarde jamais en face. Je verse le lait sans dire un mot. Il aime bien m’impressionner pour que je rougisse. Un jour, je mettrai de la mort aux rats dans son lait. À condition d’en trouver de l’incolore.
(La narratrice une gamine de 10 ans)
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À notre retour, la journée clapote doucement avec la polenta dans la marmite. On vit en rond mais on a déjà le cœur séparé. Demain, la maison se videra. Les parents travailleront sans nous. Nos devoirs, nos pensées seront tendus vers le lointain. Inévitable. Nous irons au-delà des frontières tendres de Cellefrouin. La rivière, le château, la charmille ne nous appartiendront plus. Nous nous en écarterons à mesure que tomberont nos dépouilles de gamins. Déjà on ne court plus sur la route qui descend au bourg, plus personne ne saute à chaque entrée d’une voiture dans la cour. On n’a plus la joie des chiens. On ne crie plus pour s’interpeller. On ne siffle plus entre nos doigts. On a laissé l’enfance sauvage pendue dans un séchoir à maïs vide, là où on se planquait pour manger des Carambar.
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Je vais chez le cordonnier avec Mila. Lui, c’est presque notre ami. On peut rester des heures dans son atelier, à suivre ses gestes, sans parler. Il a toujours accrochés aux lèvres un mégot de Gitane ou des clous minuscules qu’il tire au fur et à mesure. Il n’y a pas de place pour les mots. C’est un magicien des vieilles godasses, il leur redonne des années de vie même si ce n’est pas ce qu’on espère. On préférerait en avoir des neuves. Les odeurs de colle et de cuir lui font un mélange de mystère tout autour. Je le trouve drôle avec son vilain crâne couvert de graviers.
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Un troupeau, des hectares de terre à travailler. Papa et maman sont usés et rien qui balaie la peine de vivre sauf les rires qu'ils s'inventent parfois.
Quelque chose remue pourtant dans la commune et les esprits depuis des mois.
Ça bout de colère et de fraternité suite à l'histoire d'un fermier menacé d'expulsion sur l'exploitation où il travaille. Un paysan sans terre, comme papa qui n'a jamais pu avoir assez d'emprunt au Crédit agricole pour s'installer vraiment dans une exploitation à lui. Un fermier obligé de louer. Le propriétaire a voulu s'en débarrasser pour faire le cultivateur à son tour. Les gens disent qu'il ne sait pas ce que c'est un sillon droit, ce cumulard, ni tenir une fourche. Il travaille avec des lunettes et un stylo dans un bureau de notaire. Il a déjà un salaire chaque mois et il veut lui ôter le pain de la bouche à son fermier !
Ça fait grand bruit dans tout le canton et là, on tend l'oreille, même les voisins, ceux de la ville et les Parisiens. En France, le droit de fermage date de 1946. Quest-ce que c'est vraiment ? Tout le monde s'intéresse. On sait ce que c'est ne rien posséder et travailler juste pour rester à la surface de la vie. D'une ferme à l'autre ça gronde entre les verres. Les hommes, les femmes, les enfants, on comprend qu'on n'est pas que des bouseux et que la parole, on sait la prendre.
Dans le comité de défense, il y a deux gars d'ici. On est fiers de les voir aux informations régionales à la télé. Des réunions se tiennent un peu partout. Des voitures se remplissent pour aller brailler aux portes de la préfecture, des tribunaux. On ne parle pas que de misère et de mauvais rendement sur nos terrains argileux. On revendique le droit au travail contre la propriété foncière. Ça s'accélère, l'horizon qui se déchire pour laisser passer la révolte, le nouveau vocabulaire, et là, le Tout l'Univers ne me sert à rien, j'en ai étalé plusieurs, douze numéros. J'essaie de comprendre, mais je tombe sur les moujiks en Russie soviétique. Le nombre d'hectares dans leurs kolkhozes ou leurs sovkhozes, ça me donne le tournis et puis ça date de vieux.
Alors j'écoute les copains de papa, Luc et les autres. Quand je peux, je vais chercher la Charente libre au pied du lit des parents. Le soir, on lit des articles qui traitent de l'affaire. On compte tous ceux qu'on connaît. On se sent guerriers.
Dora et Adamo n'en peuvent plus. Ils veulent aller aux manifestations, mais avec le pensionnat ce n'est pas possible. Ils se contentent de distribuer des tracts à la foire de Chasseneuil. Ce ne sont pas les gros qui font vivre le pays, mais les petits paysans avec leurs familles qui remplissent les écoles et les épiceries, ça on en est tous sûrs.
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Ce matin,autour du hameau,l'air est transparent. Une lumière qui nous rend tous égaux dès qu'on a le pied à terre,à s'égailler dans la ferme, à demander des nouvelles d'un tel, à remarquer les motifs de la toile cirée neuve,les cartes des cousins d'Italie,à lire les journaux.Évidemment, on demande pour -le pain sur la planche-,qu'est-ce qu'on peut
faire ? Chacun retrouve une parcelle de soi où tendre la main,se rendre utile.On se croise les bras chargés, on se chambre,on râle. Ça fait combien de temps qu'on n'a pas occupé tout l'espace,ici à la ferme,tous ensemble ? Pour un peu,on s'offrirait un petit verre de foie de morue à l'apéritif.
(p304)
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Videos de Paola Pigani (10) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paola Pigani
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
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