Chaque matin, ils s'engouffrent dans l'usine qui avale tout: les vestes éliminés, les visages fatigués, leur peau perméable, leurs poumons sans filtre, les grossesses avancées,les chaussures sales, On se presse, se bouscule ventre des poignées de mains lassent, espérant rester fermes malgré l'angoisse du renvoi qui plane sur les retardataires lorsque le patron voudra se débarrasser de plusieurs d'entre eux. Personne ne fait le signe de croix avant de pénétrer dans l'arène.
Être pauvre, c’est savoir se jeter sans état d’âme dans un ailleurs. Plier sa vie dans une valise en carton bouilli, entre quelques vêtements et des rêves de second choix.
Quelques hommes sortent leur montre à gousset, leur seule fortune. Leur femme n’a pas besoin d’heure, conditionnée par le rythme des enfants
Saisir un regard, une épaule, un poignet comme autant de chances d'être roi, d'être reine. Dans la lumière des lampions, se laisser enrôler par le son des accordéons. Se reconnaître autre dans l'autre, décrassé, la peau prête à sentir des effluves de naissance, un geste envolé à travers le coton de la chemise ou de la robe. Un glissement sur les hanches. Il est temps de se montrer sous les guirlandes, dans le faisceau des regards. Et dans cette nuit d'été brailler tous ensemble.
Elle parle à une soeur d'usine, égale en âge, de même condition, de même aventure, de même exil. Elle la savait supérieure en espoir, en joir. Cette part s'en est allée, Szonja voudrait en recueillir un peu, juste un peu. Pour puiser un courage insensé, s'imaginer vivre plus fort, tenir le coup, venger un jour cette vie trop courte.
Tous enchaînent la danse de l'oubli. Des corps radieux dans des cordages de misère. Leur dimanche ne sera qu'une poignée d'heures, une petite suée de gaité sous les aisselles et sur le front.
Habitué à entretenir les liens entre eux et l'Eglise catholique, garante de leur moralité qui les tient à l'écart du péril syndicaliste politique,ce prêtre se met un point d'honneur à assister aux messes de mariage, aux baptêmes BET aux enterrements.nIl prétexte la nécessité de traduire dans la langue natale la parole évangélique pour s'assurer de la fidélité des ouvriers paroissiens.
Peut-être cette main gauche recevra-t-elle l'anneau d'or, qui la projetera dans une autre vie.
Pacifistes, militaristes, rouges, curés brassent la cervelle des vulnérables qui n'attendent que du travail régulier et ne voudraient pas se faire remarquer.
Parce que rien n'éblouit cette mémoire, sinon les traces de l'effort humain. Prologue.