Et je vis là un des plus grands mystères de la nature humaine : dans un bouquet d'arbres, près du petit temple, une femme se tenait debout, le visage exalté. Elle étreignait une statue de pierre cunéiforme. Elle priait, quel dieu je l'ignorais alors. Je compris que j'assistais à un très grand mystère. Je ne dérangeai pas cette femme, cette femme ceinte d'un obi - la ceinture japonaise - en forme de papillon, chaussée de petits bancs de bois, et le visage resplendissant d'une beauté qui m'était incompréhensible. Et je pensai alors qu'il me faudrait raconter dans un récit comment le Japon avait entraîné, attiré, noyé, dissous l'étranger, comme aurait pu le faire un marécage, comme aurait pu le faire un sylvain ou quelque être de ce genre : de tout mon cœur je voulais pénétrer l'âme japonaise, son quotidien et son époque ; j'avais devant mes yeux le fantastique de ce quotidien, de la vie courante, des gens, et je ne comprenais rien, ne pouvais ni comprendre ni interpréter quoi que ce fût ; et je sentais que ce pays qui m'était inaccessible m'engloutissait comme un marécage, soit qu'il renfermât en effet de grands secrets, soit que je fusse en train d'enfoncer des portes ouverts que la police gardait précisément parce qu'elles n'ouvraient sur rien. Le thème auquel se sont confrontés les écrivains qui sont allés au Japon, celui de la non-fusion de l'âme de l'Orient avec celle de l'Occident, de l'homme occidental happé, englouti, déformé par l'Orient, atteint du mal qu'on pourrait nommer febris orientis, et néanmoins, plus tard, rejeté par l'Orient, ce thème se présentait maintenant également à moi.
Par la suite, après cette aube dont j'ai parlé, il y eut encore des jours dans le soleil, dans le vent, au sein de la terre fleurissante, à se promener dans les montagnes et à fuir devant la police.
J'ai vécu au Japon pendant plusieurs mois, mais le peuple japonais, lui, subit le voisinage de ce cosmos depuis des millénaires : par conséquent il doit s'y habituer et peut-être s'y est-il habitué ? Par conséquent, il a appris à le combattre, à le circonvenir, à façonner sa propre vie en fonction de lui ; les os brisés et les dizaines de milliers d'hommes carbonisés, réduits en cendres, ne le sont pas en vain. L'ensemble du monde légendaire du peuple japonais repose sur les tremblements de terre, le peuple japonais en est-il seulement conscient ?... Les légendes sur l'origine divine du peuple japonais ont été engendrées par... les volcans. Il serait bon que les sociologues viennent de temps en temps s'asseoir quelques instants au bord du cratère d'un volcan fumant, plonger leur regard dans ce trou cosmique que représente le cratère et ne jamais, en aucune façon, cracher sur la sociologie engendrée par les volcans.