AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de GeorgesSmiley


Même si je n'y suis jamais allé, je sais que l'Argentine est un beau pays, le plus européen des pays d'Amérique du Sud. Argentina, de l'italien argentine, « argent », comme pour souligner les malheurs du pays, miné par ses difficultés financières qui affament les plus pauvres et ruinent la classe moyenne tandis que les vrais riches continuent de festoyer. de Peron et son Evita si romantique (Don't cry for me, Argentina) au couple Kirchner (Madame succédant à Monsieur à la tête du pays) en passant par les sinistres généraux dont la bêtise (s'attaquer à l'Angleterre de Maggie Thatcher sans en avoir les moyens) égalait presque la méchanceté (les Mères de la place de Mai), l'Argentine de ces cinquante dernières années reste le plus beau cas d'école de la faillite d'un état qui avait tout pour y échapper et du malheur subit par son peuple. Perpétuellement sous perfusion et donc sous tutelle du FMI, la vie quotidienne argentine reste suspendue au taux de change dollar-peso, au taux d'inflation et à un chômage endémique. Rassurez-vous, le roman de Claudia Pineiro n'est pas un traité d'économie. Mais si les difficultés financières du pays ne sont que le petit bruit de fond de son histoire, il n'est pas inutile de les avoir à l'esprit pour mieux appréhender la psychologie de ses personnages. Les entrefilets économico-politico-financiers qui jalonnent son récit en portent témoignage.
Claudia Pineiro nous invite dans l'Argentine à l'abri, celle qui ne manque pas d'argent, celle qui, au début du roman, voit même avec plaisir la crise financière pousser à la hausse les prix de l'immobilier qu'elle possède. Bourgeois aisés, couples glamour, parents attentionnés, ils vivent dans leur magnifique « country » clôturé et gardé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils jouissent du calme et de la beauté du golf inclus dans leur domaine, si près et si loin du monde réel, à quelques pas de Buenos Aires, mais isolés de son bruit, de sa saleté, de sa pauvreté et de son insécurité. La finesse de la critique sociale (analyse des rapports dominants-dominés entre les maîtresses de maison et leurs domestiques, stéréotype de la famille idéale, isolation sociologique et physique des riches tentant de se constituer un havre de prospérité et de sécurité dans un pays en déroute financière où la précarité et la misère croissent aussi vite que la délinquance) est remarquable, tandis que l'intrigue, riche et complexe, fait lentement monter la tension. A l'intérieur de ce microcosme privilégié et protégé les masques vont peu à peu tomber : les amis n'en sont plus vraiment, les couples chancellent, les faibles et les différents sont rejetés, les situations florissantes périclitent, l'argent qui coulait abondamment se fait plus rare et plus dur à gagner. Certains n'hésitent pas à se salir les mains pour continuer à se remplir les poches, tandis que d'autres se réfugient dans le déni et la fuite en avant …
Les apparences commandent, chacun se devant de maintenir à tout prix ce niveau de vie privilégié fait de domestiques dociles, de jardins immaculés, de maisons luxueuses, de voyages choisis, d'écoles privées. L'allégorie est brillante car surgit en filigrane derrière le besoin de paraître et la vanité des personnages, tout le problème de l'Argentine qui vit au-dessus de ses moyens depuis tellement longtemps. C'est formidablement bien observé et restitué sans nuire à l'intrigue. Claudia Pineiro a beaucoup de talent et un style que j'avais déjà apprécié dans Bettibou. Je suis désormais un de ses afficionados.
Pour terminer en beauté, illustrons le propos avec ce petit dialogue, écologiquement correct, entre deux « housewifes » dont l'une seulement est désespérée, autour d'un dilemme cornélien entre ray-grass et silicone :
« Teresa sortit de sa poche une bobine de fil de couleur ocre et, avec le concours de Lala, elle attacha la plante. "C'est du fil de sisal recyclé ; ne laisse jamais personne utiliser dans ton jardin autre chose que du matériel biodégradable." Lala l'aida à nouer l'attache du papyrus. "Tu t'imagines, les siècles passent, nous aussi, et le plastique, lui, il reste là. En parlant de plastique, tu ne devais pas te refaire les nichons cette année ?" "Oui, mais je vais attendre un peu que Martin soit moins obsédé par le fric, sinon il va me faire une crise de nerfs." "Attends pour la silicone, mais pas pour la pelouse. D'ici quelques mois, il aura retrouvé du boulot et, dans ton parc, ce sera la misère."
Commenter  J’apprécie          281



Ont apprécié cette critique (26)voir plus




{* *}