Vous faîtes donc partie des perles qu'on enfile, dans les dîners en ville, une anecdote en chasse l'autre, vous logez au panthéon du potin, et on vous le fait savoir comme s'il s'agissait d'un trophée.
Après tout il n'est jamais trop tard pour commencer son adolescence.
Eprouver c'est exister un peu.
Vous vous préserviez comme on soigne un décor, vous ne pouviez pas les décevoir. Mais vous ne vous demandiez pas s'il était normal de croire qu'on peut décevoir ses parents. Après tout on ne déçoit qu'à l'aune d'un idéal, d'une image fixe, d'une idée. A-t-on une idée de ses enfants ?... On attend de ses enfants qu'ils se débrouillent pour être heureux. Dans l'idéal. N'est-ce donc pas ce que vos parents attendaient de vous ? Comment auriez vous pu les décevoir ? Par quel chemin sinueux vous êtes vous un jour convaincue que vous les décevriez en devenant vous-même. C'est-à-dire autre qu'eux....
L'absence parfois revient en pointes de douleur.
Un métier que vous auriez aimé exercer : copiste. Qui n'est pas équivalent à copieuse. Mais qui révèle une lourde pathologie quon appelle l'empathie. Vous savez être tous les autres sauf vous-même.
Vous,vous n'écrivez plus à la première personne.Vous écrivez sur "vous",et "vous" est un autre.
(p. 119)
L’appel de l’extérieur s’est imposé avec violence. Mais vous n’avez jamais complètement franchi le seuil. Pour cela, il aurait fallu vous défaire des autres, ceux qui gardent la mémoire et vous enferment à l’intérieur. La porte est étroite, vous aviez tant aimé ce livre de Gide que votre père vous avait conseillé. Faut-il laisser vos parents au seuil pour entrer seule dans le canyon sinueux et abrupt de l’âge adulte ? Non, vous les voulez pour vous, grandes figures qui continuent de vous tenir la main – mais c’est pour vous empêcher de sortir.
Pourquoi vouloir à tout prix préférer? On n'est pas obligé de choisir.
On pouvait se voir, se toucher, s'appeler « papa maman chéris » sans oreilles indiscrètes, en toute liberté. Au-dehors, il fallait se cacher. Et quand son père la conviait à marcher dans les rues de Paris, elle appelait à la rescousse les mille stratégies pour se cacher en se montrant. Par le regard, elle éloignait les autres. Il suffisait de les regarder pour qu'ils ne la voient pas. Les voir les transformait en pierre. La toute-puissance du regard qui rend le regard lui-même invisible.