Un colis de documents hérités et une visite au nouveau cimetière de Neuilly, "aux pieds de la Grande Arche", mettent l'auteure-traductrice sur les traces de sa tante paternelle. Mais il s'agit de plus que d'une biographie familiale ou d'une recherche généalogique : par une texture de croisements multiples et d'allers et retours entre Rosie Pinhas et Anna Guéron, se révèlent deux variantes possibles d'une évolution familiale qui tire ses origines de l'arrivée de l'ancêtre séfarade Itshak Tsarfati (Isaac le Français) dans la ville ottomane d'Andrinople au XVe siècle, et finit par se rejoindre à Paris.
Deux sont les points historiques cruciaux dans le récit : la tentative de reconstitution presque archéologique d'Andrinople juif, et les péripéties tragiques vécues par la branche de la famille établie à Paris pendant les années de l'occupation nazie : spoliation, délation, déportation, mais aussi engagement volontaire du fils unique de l'héroïne dans la Résistance et l'armée de Libération et sa mort au front.
Un point psychologique et familial contrastant entre les deux figures : la tentative d'adoption de la France par Anna, laquelle, à travers les années noires, passe aussi par la conversion au christianisme ; et, pour Rosie - dans son périple triparti entre Turquie, France et Israël - , la relation "d'inscription de sa part d'étrangère" dans cette même France par la traduction, stade ultime d'une adoption de et par la langue.
Dans les deux destins, tout ce que compte d'aléatoire un destin. Mais aussi ce qu'il possède de déterminant pour l'avenir : à l'instar de leurs points communs que sont l'héritage ottoman-turc de leur judéité et - particulièrement - l'école stambouliote de Notre-Dame de Sion, vraie clef de voûte des deux parcours.
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J’ignore jusqu’à aujourd’hui la cause de cet amour fou pour cette orthographe, de cette jubilation enfantine à conquérir l’arbitraire souverain de la langue. Peut-être que l’écriture phonétique du turc me paraissait d’une facilité enfantine et que la difficulté du français était à la mesure de celle de grandir ?
Lentement, subtilement, gentiment même, au fils des années d’école primaire, de l’apprentissage des rudiments d’histoire et de géographie, le turc m’avait débarqué sur le rivage : ma religion, mentionnée sur mon acte de naissance, « musevi », qui signifie mosaïque, s’interposait entre moi et la communauté nationale.
C’était après la guerre, dans les années cinquante, au temps du chewing-gum, du swing et de la modernité. Etre juif représentait une maladie mortelle à laquelle on avait réchappé de justesse et dont il ne fallait pas trop parler.
Un destin de deuils et de chagrins avait balayé ce chatoiement crépusculaire de l’Entre-deux guerres, dans les Balkans ottomans voisins de l’Empire austro-hongrois.
Samedi 6 août 2022, dans le cadre du banquet du livre d'été « Demain la veille » qui s'est déroulé du 5 au 12 août 2022, Rosie Pinhas-Delpuech tenait une conférence intitulée : Demain/La Veille, une fonction grammaticale vitale en hebreu.
« Il y a quelques mois, j'ai publie une sorte de roman sur la naissance incertaine et balbutiante de l'hebreu moderne. A travers la traduction et l'ecriture, ma vie est liee au destin de cette langue et de la societe qui la parle depuis cent ans seulement. A travers les deux – une langue, une communaute humaine – je m'interroge tous les matins sur qui je suis, qui nous sommes tous ensemble dans le monde. Ce tout petit pays et sa langue sont pour moi comme un prototype d'humanite, une petite scene ou se jouent nos destins petits et grands. Periodiquement, j'y retourne, j'ecoute, je regarde, de toutes petites choses, des modeles en miniature. de la Bible aux auteurs modernes que je choisis de faire passer en francais, de la traduction a l'ecriture, qu'est-ce qui dans l'hebreu, langue ancienne-nouvelle, m'interroge en permanence sur ce qui fut et ce qui sera, sur une utopie peut-etre encore en cours, bancale, dissonante, precaire ? »
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