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Citations sur L'angoisse d'Abraham (11)

Dans les quartiers, le nettoyage de Pâques des Éthiopiens relève d’une entreprise cosmique. Ils soulèvent tout, ils chassent partout le moindre grain de poussière susceptible de contenir du levain.On les sent capables d’aller épousseter la voûte céleste et ses lampadaires.
p.161
(Jérusalem)
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À défaut d'en voir un, l'Arabe était entré dans le tableau comme l'ennemi abstrait d'un manuel d'histoire. Sans haine, sans parti pris, des fusils de part et d'autres d'un lac, d'une colline, d'un mur de barbelés.Un pays ensoleillé, effervescent. en guerre avec un peuple invisible.C'etait en 1966, j'avais aperçu la queue de la comète, les derniers éclats d'un projet humain , fabriqué avec des rêves fous. L'été suivant en 1967, les frontières de l'utopie voleraient en éclats, la figure de l'autre ferait violemment irruption dans l'image.
p.62
(Un pays =Israel)
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Si je me posais toutes ces questions à cette heure-là de la nuit, c’était parce que je me demandais par quel obscur et illisible destin, après maints allers-retours entre deux continents, entre le Levant et le Ponant, je me trouvais dans ce petit train de Bourgogne, à côté de l’Orient-Express qui m’avait transportée d’Istanbul en France en 1965, sans tapis rouge ni pont de la rivière Kwaï. Le train reliait Istanbul à Milan – et plus au-delà à Vienne – en passant par Sofia, Belgrade, Ljubljana, Trieste et Venise. À l’époque, les voyages en avion étaient chers, les bagages limités, et je partais étudier à Grenoble avec des livres et des vêtements pour un long hiver. J’étais inscrite en propédeutique de lettres, le mot m’était encore inconnu, aujourd’hui je l’aime autant que celui de prolégomènes. Sous leurs apparences pédantes, tous deux signifient l’humble préparation à un savoir. Nous avions quitté la gare de Sirkeci par un après-midi d’automne à la lumière rasante. Les parents, les mouettes, la mer, les navires étaient restés le long du quai qui longe le port et nous avions fait cap vers le soleil couchant, vers l’Occident. Depuis, j’ai maintes fois éprouvé la nature fatidique et quasi vengeresse des mots. Tôt ou tard, ils vous rattrapent au collet et vous rappellent leur pouvoir obscur sur votre destin. Car chacun sait que l’Orient-Express avait été conçu à l’origine pour transporter en Orient les Occidentaux épris d’orientalisme, et non les Orientaux assoiffés des Lumières de l’Europe. Parti de Londres, Paris ou Vienne à destination de Constantinople-Istanbul, il déchargeait une partie de sa cargaison au pied du sérail des sultans et, faisant traverser le Bosphore en quelques coups de rame à ceux qui voulaient pousser plus loin l’exotisme, les déposait à la somptueuse gare de Haydarpaşa d’où le TaurusExpress les conduisait jusqu’à Alexandrie en Égypte. Le train traversait alors une région tourmentée, l’ancienne Palestine ottomane, appelée Terre sainte par les pèlerins chrétiens, et Eretz Israël par les Amants de Sion, ces jeunes révolutionnaires russes, barbus et chevelus, amoureux de l’hébreu, qui prônaient la vie communautaire et l’égalité des sexes sur la terre de leurs ancêtres. Sans le savoir, par mille détours aveugles du destin, c’est en fait vers eux que je m’acheminerais un jour, en commençant par leur tourner le dos.
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Il n’y a pas longtemps, j’étais à la gare de Bercy. J’attendais le train de 22h38 pour Sens dans l’Yonne. Bercy est une annexe de la gare de Lyon, elle ne dessert que quelques gares en Bourgogne et, plus récemment, en Auvergne. Pendant un temps, elle a hébergé aussi les trains pour Milan, Venise et Rome. Sur le modeste tableau d’affichage, le TER pour Laroche-Migennes côtoyait le Stendhal et le Palatino. Entre comices agricoles et Chartreuse de Parme, ça faisait rire et rêver. Aujourd’hui, dans le hall venteux, on croise des hommes de sécurité avec leurs chiens muselés, parfois des jeunes encapuchonnés, et quelques voyageurs pas tout à fait provinciaux ni tout à fait banlieusards. Construit sur une plateforme au-dessus de la rue, c’est un espace atypique, intime malgré son isolement, le train que je prends aussi, à peine quelques wagons où il fait bon lire, somnoler. On traverse quelques gares de campagne, les voyageurs disparaissent dans l’obscurité, je reste un peu seule, j’ai un peu peur, mais j’aime ce voyage nocturne, ce dernier train. Parfois, quand il fait encore jour, je m’installe dans le premier wagon avec vue plongeante sur les rails à travers la cloison de verre et par-dessus l’épaule du conducteur. Il y a ce moment où, en quittant la gare, on passe devant des espèces de miradors, comme dans les prisons ou dans les camps. Puis le train traverse un certain nombre de nœuds ferroviaires. Il pourrait sinuer et aller plutôt vers la droite, vers la gauche, vers le milieu. L’observateur ne le sait pas jusqu’au dernier moment. Le train s’engage, choisit, jusqu’à l’embranchement suivant. Et on se dit que c’est comme dans la vie, un rien vous fait basculer d’un côté ou de l’autre.
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« […] "ariri" signifie "désenfanté", écrit-il en traduisant par le mot français du XIe siècle dans son commentaire en hébreu. Mais "ariri" vient aussi de "er", dit Rachi, qui signifie lucide, vigilant. Je vais, je marche, comme tu me l'as ordonné et j'ai acquis de la lucidité, je vois ce qui se passe. Le mot "ariri", poursuit Rachi, signifie aussi "ruine", "destruction". Et aussi "ébranlement". Je suis lucide et ma lucidité me ruine et m'ébranle. Je suis proche de la mort, lucide et stérile. » (p. 224)
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« C'était vers midi, nous nous sommes assises dans la cuisine, je me suis entendue lui dire d'une voix blanche, à peine un filet atone dont j'ai le souvenir auditif, que je n'avais plus de mots dans aucune langue, que ce n'était pas de l'aphasie, que je pouvais former des phrases l'une après l'autre, mais que j'étais comme morte debout. » (pp. 193-194)
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« Et un jour, ce fut le départ. Comment il a été possible, ça ne s'explique pas, ça se vit obscurément, comme un écart, une inquiétude, une trahison irréparable. Comment on peut tourner le dos à ce qui fut bon pour soi et reprendre le chemin de l'étranger, de l'hostile, la réponse est à chercher plus loin peut-être, longtemps après, dans ce que cette perte a ouvert sur un horizon inconnu. » (p. 183)
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Déta­ché de la terre par des siècles d’errance, inter­dit d’en possé­der, de la travailler, le Juif est histo­ri­que­ment une créa­ture urbaine. Parmi les notions élémen­tai­res qui me faisaient défaut par tradi­tion et culture profonde, la terre, la patrie, le drapeau, n’étaient pas les moin­dres. Toujours hôtes d’un pays étran­ger, d’abord de l’Espagne puis de l’empire otto­man, la terre était pour nous une notion abstraite, hostile, excluante. Nous étions des loca­tai­res avec des biens mobi­liers, trans­por­ta­bles : ceux qui se logeaient dans le cerveau et éven­tuel­le­ment dans quel­ques vali­ses. La terre appar­te­nait aux autoch­to­nes, ils avaient construit une nation, puis planté un drapeau, et nous étions les hôtes, dési­ra­bles ou indé­si­ra­bles selon les jours.
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Mon souve­nir de l’aéroport de Lydda-​Lod en 1966 recoupe certai­nes photos des « Récits d’Ellis Island » de Geor­ges Perec et Robert Bober. Les mêmes baga­ges bour­rés et, fice­lés, inélé­gants, les mêmes visa­ges un peu figés par l’attente , l’angoisse, l’excès d’émotion. En 1966, l’aéroport de Lod est un lieu unique au monde où des retrou­vailles sont encore possi­bles entre morceaux de puzz­les disper­sés sur la surface de la terre ou manquants.
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ls(les Russes blancs) ravi­vaient auprès de ces derniers, et surtout des Juifs, la mémoire des guer­res, des horreurs qui les accom­pa­gnent, du déclas­se­ment qu’entraîne tout dépla­ce­ment forcé, de l’exil d’un peuple qui avait la nostal­gie de sa terre, de sa langue et d’une chose tout à fait indé­fi­nis­sa­ble que Dostoïevski- qui écrit « L’idiot » au cours d’un long exil à l’étranger- « le besoin d’une vie qui les trans­cende, le besoin d’un rivage solide,d’une patrie en laquelle ils ont cessé de croire parce qu’ils ne l’ont jamais connue ».
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