AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome fait suite à Péchés Mignons, tome 1 (2006) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. Il s'agit d'une série de gags en 1 à 3 planches, réalisés par Arthur de Pins, pour les dessins et la mise en couleurs. Ce créateur est également l'auteur des séries Zombillénium et La marche du crabe. Ce tome comprend 46 pages de bande dessinée. Les scénarios ont été écrits par Arthur de Pins (18 gags), René Morillon (4), Camille Cerceau (3), Nathalie Routin (5), Clélia Constantine (4) et Ben Ledran (3).

Les 33 gags sont tous centrés sur un personnage récurrent : Arthur, jeune homme proche de la trentaine. Au fur et à mesure des gags, il développe une relation fluctuante avec Clara. Les planches en vis-à-vis qui sont le dos de la première de couverture et la suivante, montrent 23 godemichets à raison de 4 rangées de 3 par page, avec Arthur prenant la place numéro 20. Dans le premier gag, 2 jeunes femmes discutent d'un nouveau au bureau, et l'une d'elle a pu avoir accès à l'historique de son navigateur internet, ce dont elle déduit qu'il représente un beau parti romantique. Gag suivant, Arthur est reçu par une femme chez elle pour une fin de soirée au lit. Les pensées de la jeune femme tournent toutes autour de ses inquiétudes sur l'impression qu'elle fait et sur ses performances. Gag suivant, une jeune femme réalise un micro-trottoir le 14 février sur le thème de la Saint Valentin. Arthur dine avec un copain qui est venu avec sa partenaire du moment. Arthur est sous le charme et lui demande comment il l'a trouvée. le copain indique qu'il s'agit d'une connaissance du lycée. Arthur rentre en contact avec toutes ses copines de lycée dont il se souvient.

Alors qu'Arthur est rêveur au boulot, sa collègue lui demande à quoi il pense. Il indique qu'il regarde les filles passer en bas dans la rue et qu'il imagine à quel rôle féminin elles lui font penser, de Clarice Sterling à Selina Kyle. En train de se promener dans la rue, une collègue de bureau explique à Arthur comment les femmes se donnent de micro-orgasmes en se frottant sur les chaises à roulette de bureau. Arthur raconte à une copine comment il a effectué un voyage sur Vénus, la planète des femmes, comment il a dû apprendre la langue du pays, d'abord à l'aide d'un dictionnaire, puis en allant suivre des cours de vénusien intensifs, dans un centre spécialisé. Arthur a réussi à pécho : il a fait rire une femme et, conformément au proverbe, elle est à moitié dans son lit. Arthur essaye d'emprunter sa Jaguar à son pépé pour son rencard du soir, et il reçoit une fin de non-recevoir. Contre toute attente, il se rend compte qu'il fait beaucoup plus d'effet à sa copine d'un soir en la transportant sur le porte-bagage de son vélo, sur une route pavée.

Il est quasiment impossible de résister à la bonne humeur comique qui se dégage de la couverture, sauf si on est allergique à l'aspect mignon. Arthur de Pins n'a rien changé à sa manière de représenter les personnages. le lecteur peut éventuellement y voir une forme d'infantilisation, où l'individu se fait une image de lui-même avec une tête plus grosse qu'elle ne l'est en réalité, pour donner plus d'importance à son individualité logée dans son esprit, et moins d'importance au reste du corps, comme s'il le jugeait secondaire. L'artiste accentue encore le côté mignon et inoffensif de ses dessins en exagérant la taille des yeux dans le visage, pour plus d'expressivité, et en les représentant comme des yeux de biches pour qu'ils soient plus jolis. Toutes les têtes ont la même forme : celle d'un ballon rond, parfois un peu tassé en forme d'ovale. Toutes les femmes portent du rouge à lèvre et fard à paupière. le nez n'est jamais représenté. Les bouches peuvent se déformer, jusqu'à être de la largeur de la tête pour un grand sourire, ou au contraire se réduire à tout petit cercle, et même ne pas être représentées du tout pour faire comprendre que le personnage est sans voix. Grâce à cette licence artistique, le dessinateur peut faire apparaître une énorme gamme d'expression sur les visages, avec une grande force de conviction et une transcription extraordinaire de l'état d'esprit du personnage. Ces différentes caractéristiques de représentation génèrent un climat de bienveillance généralisé qui dédramatise toutes les situations, et empêche toute forme de méchanceté.

Alors que les gags pourraient fonctionner avec des dessins simples et rapides, Arthur de Pins réalise des dessins descriptifs avec un fort niveau de détail et un sens épatant du détail. Il suffit pour s'en convaincre de regarder la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis avec les 23 sextoys. L'artiste ne s'est pas contenté de dessiner des formes à la va-vite sorties de son imagination. Il est allé consulter un catalogue spécialisé et il a un peu enjolivé certaines formes. Il les a représentés en utilisant l'infographie, avec un souci du détail et du volume. Pour faire bonne mesure, il y a glissé un canard en plastique pour faire faire bonne mesure, non, plutôt pour un effet comique. Tous les gags ne se prêtent pas à de nombreux détails, mais à chaque fois, De Pins prend soin de représenter l'environnement, les accessoires : les façades d'immeuble de la rue, le modèle de table de différentes terrasses de café, le mobilier de bureau, la banderole d'accueil au spatioport de la planète Vénus, la pelouse et les arbres d'un jardin public, les légumes dans les cagettes d'un marchand de quatre saisons, la mer et les mouettes en contrebas d'une falaise, les skieurs qui passent sur une pente enneigé à l'arrière-plan du tire-fesse, les chaussures sur les rayonnages dans un magasin, les spectateurs tous différents dans les gradins pour un match de tennis, les déguisements à une soirée costumées, les couvertures de parodies de magazine de la presse féminine. Il peut également arriver dans certains gags que l'arrière-plan soit assez minimaliste et identique parce que la prise de vue est en plan fixe. le lecteur peut également prendre plaisir à observer les différentes tenues des personnages, toujours variées.

La participation de 5 autres auteurs induit une variété dans les gags. L'humour repose essentiellement sur du comique de caractère et du comique de situation. Il n'y a que 2 gags qui reposent uniquement sur un humour visuel, dont un dénué de texte ou de dialogue. Arthur de Pins et les autres auteurs jouent sur le décalage entre les attentes des personnages et la réalité, ou sur les présupposés du lecteur qui s'attend à ce que le gag prenne telle direction et qui se rend compte qu'il n'en est rien. Il est bien sûr question de sexe dans chaque gag, mais seuls 3 gags comprennent une représentation de l'acte. La nudité féminine ou masculine est présente dans 12 gags sur 33. du fait des caractéristiques des dessins, cette nudité n'a rien de pornographique, et est vaguement érotique, les situations étant plus titillantes que le détail du dessin souvent de petite taille. Enfin, la représentation mignonne des personnages et la narration bienveillante tiennent à l'écart toute forme de méchanceté, de moquerie, et encore plus loin toute impression scabreuse ou malsaine. Il s'agit à chaque fois de situations entre adultes consentants et majeurs débarrassées de volonté de domination ou de sadisme.

La dédramatisation induite par les dessins ne rend pas les gags insipides pour autant. Arthur de Pins et les autres auteurs mettent en scène le sentiment d'insécurité ou d'infériorité des individus, le décalage entre leurs attentes et la réalité, ainsi que le décalage entre les attentes de 2 partenaires. À l'occasion, ils savent intégrer une référence culturel ou une autre, que ce soit au film [[ASIN:B000EYK156 40 ans toujours puceau]] (2005, de Judd Apatow en page 9), ou au livre [[ASIN:2290029122 Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus]] (1992) de John Gray, à l'autrice Anna Gavalda, à la mode du ticket de métro, aux principaux magazines de la presse dite féminine, à l'émission Qui veut gagner des millions. Au fil des gags, le lecteur voit également se profiler des préoccupations très concrètes des partenaires : la recherche de l'homme idéal, le symbole de la Saint Valentin commenté par 8 personnes qui y voient autant de choses différentes, la misère sexuelle, le plaisir féminin, les différences de mode d'expression entre les femmes et les hommes, la peur de l'émasculation, le tabou du sang menstruel, les conventions sociales de la galanterie, l'image idéalisée de la femme, à la convention sociale de l'épilation féminine (et pourquoi pas les hommes ?), à la répartition des tâches ménagères, et bien sûr au plaisir sexuel parfois plus intense et moins compliqué en solitaire qu'à deux. Ces réflexions ne viennent pas supplanter la nature comique des gags ou le plaisir des yeux pour les dessins, mais elles sont bien présentes dans la nature des gags.

Avec ce deuxième tome, Arthur de Pins propose au lecteur de nouveaux gags, sans aucune impression de répétition. Il s'avère toujours aussi inventif, en autres grâce à la participation d'autres auteurs. En outre, ces gags bénéficient d'une mise en images soignée et roborative, avec une apparence mignonne qui permet de tenir à l'écart le graveleux et le glauque. Pour peu qu'il y soit sensible, le lecteur se rend vite compte que chaque histoire repose sur des questionnements très perspicaces sur les difficultés des relations entre femmes et hommes.
Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}