Le Retour a été créé à Londres par la Royal Shakespeare Company à l'Aldwych théâtre, en 1965, et présenté l'année suivante à Paris dans une adaptation d'
Eric Kahane, mise en scène par
Claude Régy. Moi je l'ai vu au théâtre de l'Odéon à Paris fin 2012 dans une mise en scène de
Luc Bondy et une traduction de Philipe Djian et là ça décoiffe. La superbe Emmanuelle Seigner était accompagnée de Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory,
Jérôme Kircher et de l'excellent Micha Lescot.
Je me suis penchée sur le texte pas toujours audible au théâtre (Bruno Ganz a un accent) et le choc des cultures est là dans un style provocateur : Pinter sait grossir les évènements pour rendre les retrouvailles des membres d'une famille anglaise particulièrement grinçantes voire violentes. Pintérien quoi !
Et puis il y a la présentation de la pièce qui permet d'apprécier le texte sur le fond :
« À relire Pinter aujourd'hui, un demi-siècle après la création du Retour et moins d'une décennie après son prix Nobel, sa véritable stature et son originalité prennent un relief nouveau. Il suffit d'entrer chez
lui pour passer dans un autre monde au verso de nous-mêmes, du côté de notre part inavouée, en un point où se rejoignent le rêve et l'insomnie. Voyez
le Retour, qui s'ouvre sur le silence d'un individu lisant le journal. Homme et espace sans qualités ou presque, banalité d'un jour que rien ne distingue, telles sont les données initiales. En quelques scènes, ce trompe-l'oeil va devenir une toile de
Lucian Freud ou de
Francis Bacon – « une île de la solitude », dit
Luc Bondy – et cela sans qu'aucun élément visible ne soit modifié, sans que soit versée une seule goutte de sang, uniquement par le rapport des corps, le tranchant des paroles, la charge d'une violence comprimée à l'extrême. Car le « retour » est aussi un retournement : tous les jeux sociaux, familiaux, professionnels, matrimoniaux tels qu'ils se jouent couramment sont subvertis sous nos yeux, tantôt par degrés minuscules, tantôt par brèves et brusques saccades (le temps dramatique de Pinter est d'ailleurs inséparable de sa vision : immobile puis jaillissant, c'est un temps venimeux d'animal et de prédateur, un temps de serpent). À une telle partition, il faut des interprètes qui sachent tenir et relancer les mille nuances d'un registre qui s'étend de la vague allusion à la menace la plus précise, du sous-entendu presque anodin à l'attaque frontale.
Luc Bondy aime ces oeuvres mystérieuses qui frôlent et puis foudroient, suggérant plus qu'elles n'affirment. Pour aborder la subtile musique de chambre pintérienne, il en a commandé une version nouvelle à un traducteur qui parle couramment tous les dialectes de la tension :
Philippe Djian. »
Challenge Nobel illimité