Jadis radieux, son sourire se transformait en grimace. C'était la constante pénurie d'argent qui l'avait dépouillée de sa jeunesse et de son beau sourire. L'argent faisait toujours toute la différence.
Sa mère couchait avec des hommes mariés, la mienne était une honnête femme fidèle à son mari qui a élevé cinq mioches jusqu'à en crever d'épuisement. Et maintenant, la fille de la traînée a tout ce dont une fille peut rêver pendant que je suis obligée de travailler pour vivre péniblement au jour le jour. Elle a donc été adoptée dans des conditions plus que douteuses. Et le secret a été bien gardé pour qu'elle ne sache ni d'où elle vient ni qui elle est en réalité. C'est dur mais pas plus dur que ce que j'ai vécu après la mort de maman et quand, dix-huit mois plus tard, papa a trouvé une autre femme et est parti aussi loin qu'il le pouvait sans tomber dans un océan.
Encore petite, Gwen avait vu le reflet de son visage dans une fenêtre. Quand elle bougeait dans un sens, l'image disparaissait. Elle reparaissait si elle bougeait dans l'autre sens, mais déformée. Ce phénomène avait provoquer en elle des pensées à la fois troublantes et fascinantes qu'elle avait soumises à sa nourrice.
Elle avait une bouche superbe, une dentition irréprochable, et savait s'en servir. Son image, vue tous les matins dans le miroir, justifiait son sentiment de supériorité. Contrairement aux mèches ternes et informes de Gwen Wright, sa chevelure était une masse d'ébène soyeuse et ondulante. D'épais cils de velours soulignaient ses grands yeux bleus, presque violets. Elle avait un teint de porcelaine, un nez aussi parfaitement modelé que ses lèvres. Quant à ses formes, eh bien... disons simplement qu'elles n'avaient jamais eu de mal à attirer l'attention des garçons. La beauté de Jewel était un talisman auquel elle faisait appel quand elle voulait se donner confiance. Non qu'elle en ait eu besoin pour nouer une conversation avec ce laideron aussi gauche que muet, qui ne savait que lancer des regards de regret au livre que sa bonne éducation la contraignait à délaisser.
Son visage, sans être vraiment laid, était insipide, ses traits quelconques le genre de visage qu'on voit partout dans les rues et qu'on ne reconnaît pas quand on le revoit. Elle avait des cheveux roux d'une nuance délavée et des yeux vaguement marron, sans plus d'éclat que le reste. Il n'y avait de brillant sur sa personne que le bracelet d'or qu'elle portait à un poignet et la montre en or à l'autre.
Envier est le propre de la nature humaine.
HÉRODOTE
Le café du soir au petit salon était un rituel que Cassie honorait toujours avec plaisir. Du temps de son adolescence rebelle, Gwen le considérait parfois comme une ennuyeuse corvée, car c'était pour sa mère une occasion de plus de se retrancher derrière le mur d'un cérémonial ridicule accompagné de bavardages creux et prétendument amicaux.