Ion est un rhapsode (poète, ou plus exactement déclamateur de poésie ) ; il dialogue avec Socrate, et lui dit qu'il n'y a qu'Homère qu'il peut bien interpréter. Pour Hésiode, par exemple, il n'y arrive pas.
Socrate lui explique que certains poètes sont inspirés par les Muses, filles de Zeus : c'est une faveur divine. Homère est favorisé des dieux !
C'est normal, car dans « Apologie de Socrate », en buvant la ciguë, il se réjouit d'aller visiter Homère là-haut…
« Comme les prêtres Corybantes qui rentrent en transe en dansant, ainsi font les poètes lyriques : c'est quand ils n'ont plus leur raison qu'ils se mettent à composer ces beaux poèmes lyriques. »
Cependant, après avoir abondé dans le sens d'Ion, Socrate le teste :
Il lui sert une maïeutique à sa sauce, avec un système « algorithmique », des questions fermées avec deux réponses possibles ; il le pousse dans ses retranchements.
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J'aime les dialogues de Socrate mis en scène par Platon, car il tourne autour du pot, autour du problème de son interlocuteur ;
en général, l'autre est orgueilleux, et avec sa maïeutique, Socrate arrive à le faire avouer qu'il est impossible qu'il soit supérieur en tout à tout le monde : ici, est-il supérieur au cocher concernant la conduite d'une voiture ? d'un pêcheur concernant l'attitude des poissons, etc.. ; cependant, exaspéré, l'orgueil de Ion se dévoile : il se déclare l'égal des meilleurs stratèges !
Alors Socrate lui pose la question qui tue :
Mais pourquoi donc la démocratie grecque, qui a tant besoin de stratèges, n'a-t-elle pas fait appel à toi ?
Coincé, Ion s'en tire par une pirouette … Et Socrate dit qu'il agit comme Protée qui change de forme quand il a un problème ( d'où, sans doute, le terme « protéiforme 😊 )
N'y a-t-il pas plein de personnes qui s'en tirent par des pirouettes ?
Dialogue de genre probatoire, l'Ion a ainsi pour fonction d'évaluer l'art des rhapsodes. Observant que son interlocuteur se trouve incapable de parler pertinemment des poètes autres que celui auquel il se dédie, et que cette observation vaut pour tous les autres rhapsodes, Socrate conclut que leur activité n'est pas le fruit d'une science, car la science offre à son détenteur la capacité de juger tous les objets d'une même nature. Il en va ainsi pour les poètes eux-mêmes, qui ne peuvent être bons que dans un genre particulier, et non dans tous les arts poétiques. Leur don serait donc le fruit d'une possession par les muses, qui transiterait jusqu'au public par l'intermédiaire des rhapsodes, comme expliqué dans la parabole des anneaux aimantés.
L'Ion nous éclaire un peu plus sur la relation ambiguë que Platon entretient avec les poètes. Il ne s'agit pas d'un rejet de principe de leur art, qui prend d'ailleurs une place importante dans ses dialogues, mais bien d'une critique de leur absence de savoir. Il est pour lui inadmissible que de tels individus, complètement ignorants des choses dont ils parlent, jouent un rôle si crucial dans l'éducation des Athéniens. Leur enseignement n'étant le fruit d'aucune méthode, il n'a aucune valeur et doit donc être banni de la Cité. L'importance d'une méthode pour accéder au savoir constitue à mon sens l'idée centrale de ce dialogue.
Platon dans tout son art. Un Ion particulièrement inapte à répondre correctement aux interrogations de Socrate (comme dans la plupart des discours socratique me direz-vous), pour progressivement démontrer la faiblesse de la création littéraire, et plus généralement de la création artistique. Il est vrais que, pour une passionnée d'art comme je suis, la pensée de ce livre est difficile à accepter. Mais il faut reconnaître que beaucoup d'arguments sont bel et bien fondés (qu'est l'artiste, si ce n'est qu'un simple imitateur ne maîtrisant que très peu les sujets dont il traite?). Il me semble qu'aimer la littérature n'empêche en rien d'ouvrir les yeux sur certaines réalités tels que celles-ci, et que même, au contraire, cela peut permettre de prendre un recul nécessaire pour encore mieux apprécier les oeuvres littéraires, et les oeuvres artistiques plus largement.
Ce dialogue de Platon est assez méconnu, sans doute parce que la théorie qui y est développée ici n'a pas la force des grands livres comme La République ou le Banquet et qu'elle peut même sembler assez anecdotique. Toutefois, cela reste un ouvrage très intéressant à découvrir, d'autant plus que la vision de l'art, et plus particulièrement du rôle de l'artiste, que donne ici Socrate est tout à fait en contradiction avec celle de notre société actuelle - en particulier avec l'art moderne qui a tendance à considérer très rapidement n'importe quelle initiative comme de l'art ! de plus, c'est un livre assez court et, comme la plupart des dialogues socratiques, dans lequel les idées sont abordées de manière assez simple et concrète.
Comme les prêtres Corybantes qui rentrent en transe en dansant, ainsi font les poètes lyriques : c’est quand ils n’ont plus leur raison qu’ils se mettent à composer ces beaux poèmes lyriques.
"Socrate à Ion:
Nous disons donc, en résumé, que le même reconnaîtra toujours, entre plusieurs personnes parlant des mêmes sujets, qui en parle bien et qui mal; ou, s'il ne reconnaît pas qui parle mal, évidemment il ne reconnaîtra pas davantage qui parle bien, du moins sur le même sujet."
Les poètes ne sont rien que les interprètes de dieu.
Car c'est chose légère que le poète, ailée, sacrée.
Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?