Quand la 20th
Century Fox offre en 1968 à Franklin Schaffner l'opportunité d'adapter au cinéma "
La Planète des Singes",
Pierre Boulle rencontre fortune et gloire au-delà de ses rêves les plus fous et son oeuvre change de dimension pour entrer dans l'éternité : plus qu'une franchise très populaire et très lucrative, "
La Planète des singes" devient un mythe universel aux nombreux avatars et à la postérité immense ! (et Hollywood prospecta du côté de la SF française dans l'espoir de trouver d'autres pépites, mais les éditeurs franco-français refusèrent de négocier avec eux parce que la SF c'est de la merde et que cela ne marchera jamais au cinéma... quand on voit que Richard Fleisher a réalisé "Le Voyage Fantastique" avec un bout de "
Retour à 0" de
Stefan Wul parvenu aux États-Unis on peut légitimement se demander si la SF française n'est passé à côté de son destin à cause des bobos et des intellos bien de chez nous)
"Homme parmi les singes" est le 2e volume d'une collection appelée "Les Archives de
la Planète des singes", et reprend les épisodes écrits pour
Marvel Comics dans les années 1970 qui arrêta brutalement la série pour des raisons que la raison ignore (peut-être un litige juridique avec la Fox sur le partage des royalties ?). le lecteur en a pour son argent, car si c'est pas donné c'est bien rendu : le livre-objet est autant copieux que somptueux avec 370 pages, 19 épisodes, préface et postface du spécialiste Rich Handley et les magnifiques illustrations de couverture toutes en couleurs de l'excellent Bob Larkin. Bref, des heures de bonheur de perspective pour les spécialistes et les nostalgiques mais pas que ! Mais de quoi cela parle en sachant que je pars du point que tout le monde connaît ou doit connaître l'histoire du roman d'origine ou à défaut celle du premier film... (et si vous avez peur de spoilers passez directement au dernier paragraphe ^^)
Cet album commence par l'adaptation en six épisode du film "
La Planète des Singes" (1968), et le journaliste Ulysse Merou est donc remplacé par l'astronaute George Taylor dont l'équipe survit à 75 % à un crash interstellaire (ah ça on spoile pas mal en parlant davantage de temps que d'espace ^^)… le critique Talyor, le curieux Dogde et le pessimiste Landon explorent leur nouvel environnement, et découvre des humains revenus au stade animal avant de découvrir des singes ayant remplacés les humains au sommet de l'évolution. Pris pour des bêtes sauvages tous sont capturés, et Taylor enrage qu'une blessure à la gorge l'empêche de prouver qu'il est « intelligent », mais en fait c'est ce qui lui sauve la vie !
(indemnes Dodge et Landon sont remis aux autorités suprématistes et fondamentalistes qui refusent qu'un humain puisse égaler le singe dans l'échelle de l'évolution : Dodge est tué et empaillé tandis que Landon est chirurgicalement lobotomisé) Taylor a la chance d'être transféré au labo du Docteur Zira partisane de la cause animale (avec la société protectrice des hommes et le comité contre la vivisection), et la scientifique chimpanzée alter ego simiesque de Diane Fossey victime des préjugés racistes et sexistes des siens découvre avec stupéfaction qu'elle est aussi victime de ses propres préjugés spécistes. le passage est excellent car on inverse les situations avec un Homme Blanc qui doit subir tout ce qu'il a infligé à ceux qu'il jugeait inférieurs, hommes ou animaux : on est dans le choc des civilisations et la satyre du spécisme, du racialisme, du fondamentalisme et du suprématisme sont féroces, et seraient aujourd'hui impossibles aux USA avec le poids des lobbys christianistes et impérialistes ! Alors que la découverte zoologique de Zira vient confirmer les théories archéologiques de son Cornélius, les deux amants et Taylor sont convoqués au tribunal orang-outang de Zaius à la fois ministre de la science et ministre de la foi pour être jugés pour « hérésie ». le passage judiciaire n'est pas sans rappeler la Controverse de Valladolid IRL : la raison ne peut convaincre la religion, et la tolérance ne convaincre la haine (très intéressante cette case qui reprend les trois singes de la tradition asiatique : celui qui ne veut pas voir, celui qui ne veut pas entendre, et celui qui ne veut pas parler)… Mais la Team Taylor finit par s'échapper pour se rendre dans la Zone Interdite pour faire éclater la vérité. L'intérêt est décuplé par le fait que Zaius n'est pas un politicard suffisant et haineux qui ne défend que son pouvoir et ses privilèges (suivez mon regard), mais être tourmenté qui connaît déjà la plus grande partie de la vérité et qui essaye de défendre son peuple de lui-même, de l'humanité et des erreurs du passé : « Mon Dieu… C'est pas vrai… Ils l'ont fait ! ILS L'ONT FAIT ! Ces maudits FOUS ! »
Le tout est illustré par
Herb Trimpe et
George Tuska influencés par
Jack Kirby et Roy Thomas : c'est parfois naïf mais toujours expressif, bref ds bons dessins des années 1970 !
Cet album continue par l'adaptation en six épisode du film "Le Secret de
la Planète des singes" (1970)... Et on ne va se mentir malgré quelques bonnes idées et une fin choc, c'est beaucoup moins bien ! Alors qu'est-ce qui ne va pas ?
- le comic suit fidèlement le film, jusque dans ses aspects les plus ratés car il n'y avait nul besoin ici de remplacer George Taylor par John C. Brent (le papier ne devant pas pâtir des impératifs de production cinématographiques IRL)… le deuxième recherche le premier, mais comment peut-il savoir que ce dernier est le seul survivant de son expédition ? Nous sommes dans la grosse incohérence des familles, mais en plus on squeeze le choc des civilisations car le nouveau venu ne s'étonne guère de la culture simiesque et les représentants de la culture simiesque s'étonnent beaucoup moins de Brent que de Taylor...
- OK on a remplacé l'action man aux cheveux bruns par un action man aux cheveux blonds, mais en ne mettant en scène Taylor qu'au début et à la fin du récit on jette à la poubelle toute l'évolution psychologique de Taylor qui était très intéressante… Désespéré de l'humanité, il espérait trouver quelque chose de mieux qu'elle parmi les étoiles mais il trouvait quelque chose de pire qu'elle car née et inspirée par elle… Et il trouvait l'espoir avant qu'on ne lui retire :
c'est tout naturellement que celui qui a été traumatisé par l'holocauste nucléaire en provoque un nouveau !
- auparavant Zaius était celui qui ne voulait surtout pas qu'on déterre les secrets du passé, parce qu'il ne sait que trop bien où ceux-ci on mené, ici Zaius chevauche en tête et est celui qui déterre les secrets du passé pour arriver à la nouvel apocalypse tant redoutée
- on entre dans un schéma récurrent au sein de la sage avec un chef militaire gorille qui veut destituer le chef politique orang-outang… alors je sais bien qu'on veut dénoncer le fascisme des années 1930 militariste et nationaliste et le néo-fascisme des années 1970 militariste et nationaliste mais c'est complètement incohérent : les humains étaient considérés comme des animaux au pire nuisible aux récoltes, mais ici ils sont considérés comme l'Ennemi qu'il faut abattre pour assurer la Destinée Manifeste du peuple simiesque (à la fois immigrés qu'il faut chasser et étrangers dont il faut s'emparer des terres pour augmenter son espace vital, et bien évidemment les pacifistes qui ne sont pas d'accord avec cela sont une 5e colonne qu'il faut éliminer)
- le concept des mutants psioniques, monstrueux survivants du cataclysme, qui en parallèle des singes fondamentalistes ont développé ont une civilisation intégriste adorant comme divinités les bombes qui ont fait d'eux ce qu'ils sont devenues est très cool, et on va encore plus loin dans l'opposition Élohims / Morlocks de "La Machine à voyager dans le temps"… mais je n'ai pas compris comment le bastion centenaire pour ne pas dire millénaire des surhommes s'effondre comme un château de cartes avec autant de suicidaires en puissance !
Le pire, c'est que tout cela est illustré par les dessins magnifiques d'
Alfredo Alcala artiste de la réduite mais prestigieuse école philippine, et au sein des années 1970 en plein revival dixneuvièmiste il nous fait du
Arthur Rackham mais en mieux avec des graphismes fins et clairs, précis et détaillés ! (il faut absolument que je lise ses épisodes de Conan le Barbare ^^)
Cet album se termine par 3 épisodes d'une série inédite intitulée "Le Royaume de l'Île des Singes" et on utilise le décor de la saga pour développer des récits très Sword & Planet à la "Flash Gordon" : décidément
Doug Moench est un gros geek et il s'amuse comme un petit fou quand on le laisse jouer avec la SFFF et la culture populaire… On passe à la narration à la première personne avec la bonne volonté, le deuxième degré mais aussi la naïveté de Derek Zane, un Géo Trouvetou geek qui pour entrer à la NASA invente une machine à voyager dans le temps pour retrouve les 4 astronautes du film. On est carrément dans le pastiche de "La Machine à voyager dans le temps", et l'auteur comme le narrateur l'assume parfaitement ! ^^
Alors avec un Roi Arthur orang-outang, un Gauvain gorille et un Robin des Bois chimpanzé on pioche chez
H.G. Wells,
Mark Twain,
Walter Scott,
JRR Tolkien et grosso modo on voulait aller vers la Quête du Héros aux mille et un visages avec un jeune homme qui réalise ses rêves d'adolescent mais qui doit devenir adulte pour affronter les responsabilités de la réalité : on commence comme dans "
Un Yankee à la cour du Roi Arthur" et on voulait aller vers "John Carter", mais Marvel a tout laissé tomber au milieu du gué… C'est bien dommage, d'autant plus que des dessins de Rico Rival qui collent bien au ton du récit sont de bons graphismes des années 1970 !
Indispensable pour les fans : j'attends le tome 3 avec autant de curiosité pour les épisodes inédits que d'impatience pour les épisodes classiques !