Aujourd'hui j'ai l'humeur primesautière, je ne saurais dire pourquoi... Ah si ! Je crois le savoir. Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« - C'est contrepèterie ! » Toute la classe s'est mise à rire.
Cette fois c'est la petite Isa qui, de son air polisson, a voulu amuser la galerie et damer le pion au petit Pat qui n'en n'est pas revenu. Il a fallu que ce soit de nouveau la petite Anna qui lui rappelle d'un air à la fois tendre et légèrement moqueur: « Mais non, mercredi ce sont les histoires de Berni. »
« La petite Nico ne sera pas parmi nous ce matin, a dit Sandrine la maîtresse d'école. Sa maman nous a appelé pour nous dire qu'elle avait le Covid. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement. » Il y a eu des murmures de déception parmi les visages qui se regardaient d'une moue un peu triste. Puis la maîtresse a ajouté :
« Aujourd'hui nous accueillons une nouvelle élève, la petite Fanny. Elle a fait un geste pour accueillir la petite Fanny un peu intimidée, celle-ci est venue rejoindre le cercle des élèves qui s'est élargi pour lui faire une place. La petite Doriane lui a offert un de ses chocolats tandis qu'un peu effrayée, la petite Fanny ne cessait de contempler l'étrange caméléon posé sur l'épaule de son voisin, le petit Paulo. À sa manière, l'animal a pris la couleur d'un joli bienvenu.
J'ai montré aux enfants la belle couverture du livre que j'avais prévu de leur lire :
Pourquoi les princesses devraient-elles toujours être tirées à quatre épingles ?
On y voit une jeune fille aux gestes gracieux dont l'immense chevelure se déploie et s'envole dans les airs. C'est elle la princesse.
« Les enfants, leur ai-je dit, ce matin nous allons faire tomber les stéréotypes ! »
- J'aime pas les stéréotypes, s'est exclamée la petite Francine.
- C'est quoi un stéréotype ? a demandé alors le petit
Jean-Michel.
Les bras ballants, j'ai regardé Sandrine, son visage légèrement inquiet m'a fait comprendre que je venais d'utiliser un mot compliqué pour ses élèves et qu'ils risquaient vite d'être perdus. Une petite explication s'imposait. J'ai donc tenté une première approche.
« Un stéréotype, ce sont des préjugés, des clichés, des idées toutes faites, pas toujours exactes et qui empêchent d'imaginer autre chose.
- C'est quoi des préjugés ? a alors demandé la petite Chrystèle d'un air mi-intrigué, mi-espiègle.
Je voyais autour de moi des visages énigmatiques, qui fronçaient les sourcils, des yeux qui me scrutaient, interloqués.
Je sentais le sol se dérober sous mes pieds. J'étais en train de ramer. J'ai tenté d'ébaucher une explication à la va-comme-je-te-pousse...
« Souvent dans les contes traditionnels, les histoires se terminent toujours de la même manière. Ce serait bien d'aborder aujourd'hui une histoire qui casse les codes... »
Sandrine s'est approchée de moi dans l'idée de venir à ma rescousse, elle a alors proposé aux enfants : « nous allons chercher ensemble des exemples que tout le monde connaît. »
La petite Doriane s'est alors avancée et a dit d'un air presque révolté : « Par exemple, dans les contes le loup est toujours méchant, c'est pas juste. » Tout le monde a alors applaudi tandis que la maîtresse d'école acquiesçait. À propos de loup décalé, la petite Domm en a rajouté une couche, à propos d'une histoire que ses parents lui avaient racontée et qui s'intitulait « le loup en slip ». Ça a bien fait rire la petite troupe... !
Il y eut alors plein d'autres idées toutes aussi intéressantes les unes que les autres qui furent jetées à la volée.
« Les garçons ne pleurent jamais. »
« Les filles sont nulles en maths. »
« Maman fait la vaisselle pendant que Papa regarde le match de foot à la télé. »
« Les filles jouent à la poupée. »
« Les garçons puent des pieds. » C'était le petit Pat qui venait de s'exprimer.
« Ah non ! Ça, c'est pas un préjugé ! C'est une chose vraie ! » a répondu alors la petite
Anne-Sophie. Et toutes les filles se sont mises à rire.
La petite Gaëlle a alors dit : « Tous les contes se terminent par : ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. C'est un peu dépassé, je trouve. »
Je voyais plein de visages qui opinaient du bonnet et voilà que toutes cew expressions me remettaient en selle vers mon histoire. Et j'ai commencé à ouvrir les pages du livre : « C'est comme les princesses qui doivent absolument épouser des princes ou bien être tirées à quatre épingles ». Alors les élèves se sont rapprochés de moi pour mieux écouter...
Le récit se passe tout d'abord dans une bibliothèque. C'est l'heure du conte, Lise, la bibliothécaire, devant un parterre d'enfants attentifs, commence : « Il était une fois… » C'est sans compter sur la réactivité et la curiosité de son auditoire : « Ça ressemble à quoi, un royaume ? », « Pourquoi les princesses doivent-elles toujours se marier ? », « Et pourquoi avec un prince ? Pourquoi pas un garagiste ou un médecin ? » Et puis quelqu'un d'autre vient s'en mêler, un chat qui dit d'un air faussement désabusé : « J'observe que dans les royaumes comme ailleurs, ce sont toujours les riches qui ont la meilleure part du gâteau ». Au fil des interruptions et questions, Lise la bibliothécaire est alors amenée à faire évoluer ce conte a priori classique vers une autre histoire… bien plus décoiffante qu'elle n'y apparaissait au début, loin des clichés !
J'ai aimé ce roman illustré et la manière astucieuse de l'autrice,
Jo Witek, pour dénoncer les stéréotypes, sexistes ou sociétaux, présents dans les contes traditionnels à travers une habile et astucieuse mise en abyme... Les dessins pétillants de
Maurèen Poignonec illustrent à merveille ce propos décapant. C'est un excellent album pour inciter les enfants à devenir des citoyens et citoyennes critiques et engagés.
Devant les élèves de la classe de Sandrine, je racontais l'histoire d'une bibliothécaire, Lise, racontant elle-même un conte à des enfants du même âge...
Je me suis alors reconnu dans cette bibliothécaire devant un parterre d'enfants curieux et prêts à en découdre avec les idées toutes faites...
« Pourquoi c'est une bibliothécaire qui raconte l'histoire ? » a demandé alors le petit Paul. « Pourquoi ce n'est pas un bibliothécaire ? » Les enfants se sont regardés les uns les autres, je sentais que brillaient déjà dans leurs yeux ébahis mille autres questions pour faire changer les choses...
Tandis que Sandrine continuait d'animer le fil des discussions, je me suis alors tout doucement esquivé sur la pointe des pieds, je devais déjà préparer l'histoire de mercredi prochain. J'avais tout simplement l'âme primesautière en sortant dans la rue, savourant la lumière étonnée de ce joli mercredi d'automne.